N’est pas Alex Honnold qui veut. Or, depuis le vertigineux « Free Solo », documentaire 7 fois oscarisé, la tentation de passer au solo intégral compte de plus en plus d’adeptes. Et commence à faire des victimes. Dernière en date, un grimpeur de 29 ans, décédé samedi après-midi dans le Massif de Belledonne. L’occasion de rappeler que « l’escalade suprême, sans artifice, un engagement total psychologique, physique » dont parlait Patrick Edlinger, grimpeur mythique des années 80, reste une mise en danger extrême où l’erreur n’a pas sa place.
Popularisée par Patrick Edlinger en 1982 dans « La vie au bout des doigts », un film réalisé par Jean-Paul Janssen, diffusé sur Antenne 2, la pratique du solo intégral est de l’escalade minimaliste. Réduit au strict minimum, l’équipement se compose d’une paire de chaussons et d’un sac à magnésie. Le solo intégral offre une vision différente de la performance : la difficulté réside dans l’engagement et la prise de risque. Aucune corde. Donc aucun moyen de retenir une éventuelle chute. L’issue peut être fatale, comme le prouve l’accident qui s’est produit samedi 10 juillet.
Massif de Belledonne, un bruit alerte. Les témoins préviennent les secours qui à leur arrivée ne peuvent rien faire mis à part constater la mort du jeune homme de 29 ans. Quelques heures plus tôt, il s’était élancé en solo intégral dans la Voie Gaspard, près de Chamrousse. Une ascension sans difficulté majeure, cotée en 4c max. Pas exigeante sur le papier mais dangereuse : faire une voie en solo, ce n’est pas banal. Même si les médias et les réseaux sociaux mettent en lumière cette pratique aussi impressionnante que dangereuse, le solo intégral, qui selon certains devrait être interdit, compte peu de pratiquants.
Un engagement maximum
Discipline largement médiatisée avec le film « Free Solo » réalisé par Jimmy Chin et oscarisé en 2019, le solo intégral est une pratique marginale et qui doit le rester. Ce documentaire retrace l’ascension de la voie « Freerider » par le grimpeur professionnel Alex Honnold. Neuf cents mètres d’escalade sans corde sur El Capitan (parc national du Yosemite), ça ne s’improvise pas. Au niveau physique, mais surtout mental.
Question essentielle : la gestion de la peur. Alors Alex Honnold, une tête-brûlée ? Non, un athlète qui sait s’écouter. « En général, si quelque chose me fait vraiment peur, je ne le fais tout simplement pas », explique l’athlète au National Geographic, producteur de son documentaire « Free Solo ». « Je ne suis obligé à rien. Je ne fais ça que pour mon propre plaisir. Si j’ai peur, soit je passe plus de temps à me préparer, soit je ne le fais pas. J’ai fait des voies où je me suis retrouvé en train de me demander ce que j’étais en train de faire là. Alors je suis redescendu et je suis rentré chez moi. C’est dans la retenue que réside la plus grande partie de la bravoure. Parfois ce n’est juste pas votre jour. C’est le plus important avec le solo intégral : savoir abandonner ».
Rappelons par ailleurs qu’une préparation intensive de deux ans a été nécessaire à l’athlète américain avant de se lancer dans cette ascension hors normes : il a appris chaque mouvement par cœur, du pied jusqu’au sommet de la voie qu’il a répété au préalable de nombreuses fois en étant encordé. Ce qui maintient Alex Honnold en vie, bien plus que ses capacités physiques, ce sont sa concentration et sa stabilité émotionnelle, éléments indispensables lorsque l’engagement est maximum. Pas de place pour la moindre erreur, sinon c’est la chute… souvent fatale.
À ce jeu extrême, « il n’est pas étonnant de perdre la vie… » confie Tommy Caldwell, grimpeur professionnel américain. En 2009, un des grands plus grands soloistes au monde, l’Américain John Bachar, est mort après une chute lors de sa pratique du solo intégral en Californie, non loin de chez lui. Plus récemment encore, en 2019, Austin Howell, spécialiste du solo intégral aux milliers de vues sur Instagram, est lui aussi décédé, après une chute de 24 mètres en Caroline du Nord.
Photo d'en-tête : Amy Gatenby