La nouvelle vient tout juste de tomber ce matin. L’Etat français est reconnu coupable pour son « action défaillante » dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. C’est une première en France, dans le cadre du procès engagé par « l’Affaire du Siècle » il y a deux ans. Une cause soutenue par 2,3 millions de Français, qui avaient signé une pétition record en 2018 – et qui pourra dorénavant faire aussi office de jurisprudence en matière de droit environnemental.
C’est une victoire historique. Il y a deux ans débutait « l’Affaire du Siècle », un mouvement contre l’inaction climatique de l’État, mené par l’organisation « Notre Affaire à tous », la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France. Lancée par un recours en justice pour « carence fautive » du gouvernement contre le dérèglement climatique, cette affaire avait enfin été entendue le 14 janvier lors d’une audience au tribunal administratif de Paris.
La rapporteure publique avait donc reconnu l’État fautif de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre – une décision historique qui donne grand espoir aux défenseurs de l’environnement. Et pour cause, « il y a de fortes probabilités que le tribunal suive l’avis de la rapporteure publique », a expliqué Maître Emmanuel Daoud, avocat de « Notre Affaire à tous ». Une estimation qui s’est finalement avérée ce matin, alors que le juge vient de rendre son verdict en faveur de « l’Affaire du Siècle ».
« Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité », rapporte le communiqué de presse. Un préjudice qui « se manifeste notamment par l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques », dont l’Etat « devait être regardé comme responsable d’une partie de ce préjudice dès lors qu’il n’avait pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. »
Quelles sont les conclusions ?
« S’agissant de la réparation du préjudice écologique, le tribunal a souligné qu’une telle réparation s’effectue prioritairement en nature, les dommages et intérêts n’étant prononcés qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation. Il a rejeté pour ce motif les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire de ce préjudice », décrit le communiqué.
« En revanche, le tribunal a considéré que les requérantes étaient fondées à demander la réparation en nature du préjudice écologique causé par le non-respect des objectifs fixés par la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation, les juges ont prononcé un supplément d’instruction, assorti d’un délai de deux mois. Enfin, le tribunal a estimé que les carences fautives de l’Etat dans le respect de ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique portaient atteinte aux intérêts collectifs défendus par chacune des associations requérantes. Il a ainsi condamné l’Etat à verser aux associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme et Greenpeace France la somme d’un euro demandée par chacune en réparation de leur préjudice moral. »
Désormais, les organismes de « l’Affaire du Siècle » ont donc deux mois pour éplucher un mémoire de l’État, reçu ce midi, récapitulant les mesures à établir pour respecter les objectifs de réduction carbone. Selon les avocats qui se sont exprimés lors de la conférence de presse suivant le délibéré, « il y a peu de chance que l’État fasse appel, cela nuirait plus à son image qu’autre chose maintenant qu’il a été jugé responsable. »
Un impact international
Ce procès s’inscrit dans la continuité d’autres recours similaires engagés dans d’autres pays. Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France et ancienne ministre de l’Écologie, a rapporté avoir engagé « avec nos collègues d’Oxfam Espagne et Greenpeace Espagne un recours sur le modèle de l’Affaire du Siècle », qui pourrait être influencé par cette affaire.
Cela fait également plusieurs années que des contentieux climatiques contre les États se multiplient. On a beaucoup parlé de l’action climatique d’Urgenda, aux Pays-Bas, où la Cour Suprême a imposé à l’État de réduire de 25% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici fin 2020. En Irlande, c’est le plan national d’atténuation qui a été révoqué par le juge, car il a considéré que l’association avait raison sur le fait que ce plan n’était pas assez précis pour respecter les objectifs. Ça a été aussi le cas en Colombie, où la justice colombienne a reconnu un droit à la forêt amazonienne. Au Pakistan, un agriculteur a reproché l’échec de son gouvernement à appliquer la politique nationale relative au changement climatique, et les juges sont allés dans ce sens-là en reconnaissant la léthargie de l’État dans sa mise en place de la politique nationale.
Autrement dit, le délibéré tombé aujourd’hui en France est maintenant une référence internationale, qui donne d’autant plus de poids à ce mouvement mondial. Cette affaire pourra servir de jurisprudence pour les centaines d’autres recours menés à travers le monde, mettant en cause la responsabilité des États pour leur inaction contre le réchauffement climatique.
Retour en quelques dates clés qui ont marqué ce mouvement
- Décembre 2018 : le coup d’envoi
Le 17 décembre 2018, Notre Affaire à tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France et Oxfam France s’unissent pour accuser le gouvernement de « carence fautive » pour son « action défaillante » dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Pour appuyer leur requête, les quatre ONG lancent la pétition « Climat : stop à l’inaction, demandons justice », qui devient la pétition en ligne la plus signée en France avec 2,3 millions de participants. Dès lors, l’État a deux mois pour répondre.
- Mars 2019 : lancement du recours au tribunal administratif
Le ministère de la Transition écologique, avec François de Rugy à sa tête, réplique par une lettre de dix pages, comportant les actions menées par l’État pour lutter contre le dérèglement climatique. Une réponse qui ne satisfait pas les ONG environnementales, qui envoient un recours devant le tribunal administratif de Paris. Leur objectif : contraindre le gouvernement à « mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique ou d’en pallier les effets [et] de réparer le préjudice écologique », et demandent la reconnaissance d’un préjudice moral. Une décision suivie d’une manifestation géante à travers la France, qui aurait réuni, selon les organisateurs, « plus de 350 000 personnes dans 220 villes. »
- Décembre 2019 : 27 000 témoins du changement climatique
Voilà un an que l’Affaire du Siècle est lancée, mais traîne. Les organisateurs appellent les personnes qui les soutiennent à poster sur les réseaux, avec le #TémoinDuClimat, les conséquences directes du changement climatique sur le vie quotidienne. Parmi les 27 000 témoignages publiés, les plus fournis en preuve ont été joint au dossier pour appuyer le recours en justice.
- Juin 2020 : l’État réfute les accusations
Le 23 juin, l’État rejette les arguments des quatre ONG et dépose un « mémoire de défense » – il affirme avoir respecté l’Accord de Paris et ne reconnaît pas sa faute. Les organisateur de l’Affaire ripostent avec un « mémoire en réplique » en septembre, en attente de l’audience qui s’est tenue aujourd’hui.
- 14 janvier 2021 : la première audience du procès
Suite à la première audience qui réunissait tous les partis, la rapporteure publique s’était prononcée en faveur de « L’Affaire du Siècle », reconnaissant la faute de l’État dans l’inaction climatique et son préjudice écologique. « C’est une avancée juridique sans précédent qui, on l’espère, sera suivie par le juge. Ça s’inscrit dans le sens de l’histoire du XXIème siècle, dans la construction de nos droits climatiques, de nos droits environnementaux », expliquait Cécilia Rinaudo, coordinatrice de « Notre Affaire à tous », lors de la conférence de presse suivant l’audience.
Photo d'en-tête : L'affaire du siècle