Là-haut, je me sentais libre et forte », raconte Marion Poitevin, 37 ans, cheffe équipe secours CRS montagne, guide haute montagne et présidente du club ‘Lead the Climb’, dans son autobiographie, « Briser le plafond de verre », disponible en librairie dès demain, jeudi 8 septembre : le témoignage vibrant d’une femme exceptionnelle qui a réussi à faire sa place dans un milieu très masculin. Exemplaire.
Si sa passion de la montagne lui a d’abord permis de se libérer des préjugés de genre véhiculés par la société, Marion s’est ensuite heurtée, en voulant gravir les échelons, au plafond de verre. Difficile en effet de faire sa place dans un monde exclusivement masculin. Répondant avec brio à l’appel des montagnes, l’alpiniste a su réaliser une série de premières bien particulières, 1e femme alpiniste à intégrer le Groupe Militaire de Haute Montagne, 1e femme formatrice à l’École Militaire de Haute Montagne pour les Chasseurs Alpins, la 1e femme secouriste CRS montagne et 1e femme cheffe de l’équipe secours CRS montagne.
Que vous connaissiez ou non son histoire, on découvre enfin Marion sous une autre facette, sans doute plus apaisée. On se laisse rapidement absorber par ce récit fluide et assez cash qui ne lui vaudra peut-être pas que des amis. L’alpiniste n’ayant pas peur d’égratigner certains de ses collègues masculins. Une liberté de ton à l’image d’un parcours bousculant tous les clichés. De quoi ouvrir la voie à d’autres femmes sur un terrain encore trop miné.
Il y a quelques mois, à l’occasion de sa nomination à la tête de l’équipe secours CRS montagne, nous l’avions d’ailleurs interviewée sur sa trajectoire fulgurante et ses engagements, Pour Outside, elle était revenue sur les étapes d’une vie sur les sommets.
Marion Poitevin : l’alpinisme, « ça m’a permis de faire face à tout ce qu’on nous dit, que les femmes sont des êtres faibles et fragiles »
Vous pourrez peut-être croiser Marion en montagne, en Savoie où elle est cheffe d’une équipe de secours CRS, ou bien dans les Hautes-Alpes, vers la Grave, où elle pratique le métier de guide. Son modèle ? Lynn Hill, première athlète a avoir libéré le paroi du Nose en 1993 en prononçant la fameuse phrase : « It goes boys » (« c’est bon les gars, vous pouvez y aller, ndlr »). « Depuis le collège, avec les barèmes de sport, on nous fait intégrer que le niveau des filles ne peut pas être plus fort que celui d’un garçon. Lynn Hill a mis tout le monde d’accord : les femmes pouvaient faire aussi bien que les hommes, voire mieux ».
La montagne ? « C’est là-bas que je me sentais le mieux »
Arrivée en Haute-Savoie à l’âge de six ans, Marion est issue d’une famille de sportifs. « Mon papa était moniteur de plein air. Il pouvait enseigner le ski, l’escalade, le canoë-kayak, le parapente, la spéléologie. Comme mes parents étaient profs, ils nous emmenaient pendant les vacances pratiquer tous les sports outdoor. On ne s’ennuyait pas trop. Par contre, la montagne, c’est venu de moi. Je faisais beaucoup d’escalade, dans une classe sport créée par le père de Sandrine Levet (championne du monde de bloc en 2003, ndlr). Bénéficiant de l’ambiance sportive dans cette discipline, j’ai fait un peu de compétitions. Je n’ai pas insisté, je n’étais pas assez forte. J’aurais pu entrer en équipe de France, mais il aurait fallu travailler très dur. Je voyais bien que je n’avais pas le potentiel pour gagner une Coupe du monde. Je pense que si, malheureusement, j’avais été douée en escalade, je me serais enfermée là-dedans. D’ailleurs, je commençais à m’ennuyer dans les gymnases et au pied des falaises : je voulais aller plus haut.
Assez rapidement, j’ai fait des grandes voies, je suis partie en montagne et finalement, c’est là-bas que je me sentais le mieux. On habitait aux pieds des montagnes, à La-Roche-sur-Foron. J’ai eu envie d’aller voir au-dessus des sommets, puis derrière et encore derrière. Mon père connaissait les techniques d’évolution en alpinisme – même si elles dataient d’avant ma naissance, pas super sécure. Je l’ai un peu harcelé pour qu’il m’emmène faire une course en haute montagne. À mes 16 ans, nous sommes allés à la pointe Isabella Charlet-Straton (3 761 m) puis au refuge du Couvercle ». Là-haut, elle découvre un moyen de s’émanciper de la pression sociale.
« Ado, il faut avoir des jambes déjà rasées, pas de poils sur les bras, il faut que tu te maquilles un petit peu, que tu sois habillée à la mode. En montagne, tu as cette liberté, tu peux transpirer, t’arrêter faire pipi quand tu veux, t’habiller comme tu veux. Surtout, tu as cette force physique, qui te donne une grande confiance en toi. Grâce à l’alpinisme, je n’avais pas peur. J’avais de grosses épaules, j’étais capable de porter des gros sacs pendant des heures entières, je courais très vite, je ne craignais rien. Ma mère me disait : « Tu peux sortir le soir, aller où tu veux, tant que tu mets des chaussures avec lesquelles tu peux courir ». J’étais forte. Ça me faisait du bien. Ça m’a permis de faire face à tout ce qu’on nous dit, que les femmes sont des êtres faibles et fragiles ».
Après une expérience difficile au GMHM, Marion reste dans l’armée, devient la 1e femme instructrice des chasseurs alpins avant de rejoindre la police et de se spécialiser dans les secours. « À l’armée, je me sentais coincée, on me disait que je n’avais pas le potentiel de monter en grade, de passer le BE ski alpin. On m’a mis beaucoup de bâtons dans les roues. Un jour, j’ai vu que la police recherchait des guides de haute montagne pour faire de la formation – ce que je faisais pour les chasseurs alpins. Rapidement, je me suis retrouvée à faire du secours en montagne – même si je n’étais pas forcément attirée par ce métier qui m’effrayait un peu.J’avais perdu beaucoup d’amis en montagne, une moyenne de deux personnes par an, pendant dix ans. Dans le massif du Mont-Blanc, la quantité et la violence des accidents, c’est extrême. Ailleurs, ça me faisait moins peur, surtout parce que je connaissais moins de monde. Au fur et à mesure de la formation, j’ai trouvé ça hyper intéressant ».
Lead the Climb ? « Je voulais enseigner l’alpinisme »
Au milieu de ces expériences professionnelles, Marion est devenue guide, en 2014. « Je ne voulais pas uniquement emmener des gens en montagne, je voulais leur enseigner l’alpinisme. À la base, le métier de guide n’est pas orienté vers la formation – même si certains, comme moi, se spécialisent. C’est culturel. Pendant longtemps, les guides ont craint de perdre des clients en enseignant l’autonomie aux gens. Moi je pense que les gens auront toujours besoin des guides : ils n’ont pas le temps d’acquérir un gros bagage technique pour faire de grosses courses, ils travaillent à côté. J’aime montrer à des gens comment on s’encorde pour aller en glacier, pour descendre en rappel, leur faire comprendre la montagne, pourquoi on passe par tel ou tel endroit, d’où la création de ‘Lead the Climb’ ».
Au fil des mois, Marion se rend compte que les femmes veulent pratiquer la montagne entre elles. Mettant à profit ses compétences de guide, elle crée de stages ‘Lead the Climb’. « Un jour, mon compagnon, salarié au CAF, est venu avec moi sur une journée et m’a dit « visiblement les filles ont besoin de pratiquer entre elles. Au CAF, on doit répondre au besoin des adhérentes : il faut que tu viennes, que tu crées un club ». Au début, ce n’était pas facile. Traditionnellement, les clubs alpins, reposent sur du bénévolat. Mais je voulais que les guides encadrent les sorties, pour être sûre que les filles progressent et se forment ».
L’idée de Lead the Climb ? Faire progresser les femmes en alpinisme, le tout en leur faisant gagner en autonomie en montagne. « Les participantes aiment le concept de leadership. Elles disent haut et fort : « j’aime bien être en montagne mais je préfère être en tête, c’est plus stimulant et gratifiant ». Ça ne les empêche pas d’aller avec des garçons en montagne ». Pour rejoindre ‘Lead the Climb’, rien de plus simple : il suffit de prendre une adhésion au club. Différents niveaux sont proposés sur les stages. Le plus facile ? « Neige glace. Pour le terrain d’aventure, il y a des prérequis. Pour le ski de randonnée, il faut savoir descendre en toute neige. On propose également du ski free-ride pour travailler la technique de descente ». En quatre ans, 300 femmes ont déjà suivi ces formations.
Photo d'en-tête : CRS Montagne/Marion Poitevin