En Angleterre, toutes les skateuses connaissent Lois Pendlebury. C’est elle qui, dans les années 2000 leur a ouvert la voie dans le monde très masculin du skate. Alors quand presque du jour au lendemain on la voit quitter les bowls pour garder un troupeau de moutons à 2000 mètres dans les Alpes françaises, on s’interroge. Percy Dean, rédacteur en chef de feu « Document Skateboard Magazine », une référence dans le milieu, est donc allé voir dans les alpages ce qu’est devenue cette rideuse hors pair. Soutenu par Element, marque emblématique de skate, il en a tiré un film de 4 minutes, shooté comme une séquence de skate, rapide et concentré. De quoi nous donner envie d’en savoir plus.
Encens, belle lumière et séance de yoga, dans la petite cabane de Lois Pendlebury, ancienne skateuse devenue bergère, l’ambiance est idyllique. Gros plan sur une petite bibliothèque : entre deux livres de conjugaison française, des guides du dressage du border collie, merveilleux chien de berger. Lois en compte trois, dont Red, son chien de tête, son meilleur ami ces derniers temps. Dehors, il est secondé par Brutus et Big Dog, de solides bergers d’Anatolie, et cinq patous, dont deux femelles, Flora et Fleure – les loups ne sont jamais bien loin. Déjà quatre saisons que Red est aux côtés de la bergère et lui voue une amitié inconditionnelle, sans se demander comment cette Anglaise est arrivée là.
« Longtemps les bergers étaient suspectés d’être des sorciers. Juste parce qu’ils étaient loin de la ville et des règles, qu’ils étaient libres », raconte la jeune femme « Je viens de Bradford (nord de l’Angleterre, ndlr), ville célèbre au XIXe siècle pour l’industrie de la laine. Ca doit être dans mon sang de travailler avec des moutons ». Ça peut tenir comme explication, à moins qu’on aille chercher un peu plus loin. « J’ai quatre frères, j’ai grandi avec des garçons. Des quatre, j’étais de loin la plus aventureuse. Alors je faisais comme eux pour m’amuser. Et comme aucune autre fille ne faisait ces trucs de garçons, je le faisais toute seule. En fait, la plupart du temps, les activités des hommes sont vraiment marrantes. C’est eux qui font tous les trucs marrants. Je n’essayais pas vraiment d’aller à contre-courant parce que j’étais une fille, je voulais juste faire ce que j’avais envie de faire, c’est tout ».
« Quitter la scène du skate, un traumatisme »
Très tôt, pour elle, s’amuser comme les boys ce sera faire du skate. Une passion qui durera vingt ans et où elle va s’imposer comme l’une des meilleures au Royaume-Uni. « Je l’ai fait parce que c’est ça qui m’intéressait, pas du tout pour faire genre parce que les femmes y étaient rares », poursuit-elle. « Ça collait juste à ma personnalité et mon envie de faire quelque chose de physique et d’être dehors. Le skate m’a ouvert les yeux sur le monde, les voyages, la musique, l’art. Le skate c’est aussi la communauté, les amis. C’est ça le skate, ça te montre les choses sous un angle nouveau. Alors quand j’ai dû quitter tout ça, ça a été un vrai traumatisme pour moi. Mais avec les années, j’accusais le coup, et je m’étais blessée à la hanche. Est arrivé un moment où je n’étais plus au niveau des filles skateuses. Je voyais les potes participer à des events où j’aurais pu aller autrefois, j’étais vraiment contente pour elles, j’avais eu ‘so much fun’, mais c’était fini pour moi. Ca m’a pris du temps pour surmonter ce traumatisme. Mais j’ai découvert d’autres choses ».
Autre chose. Ce sera « La Bergère », « The Shepherdess », en anglais. Le titre du court métrage mis en ligne ce mercredi 22 novembre, que lui a consacré l’Anglais Percy Dean. Ex skateur lui même, ce journaliste la connait bien pour avoir suivi sa carrière dans « Document Skateboard Magazine » qu’il a longtemps dirigé avant de passer derrière la caméra pour le compte des plus grands noms du sport, notamment Element, marque qui a mis la main à la poche pour que son film, shooté en deux jours, existe.
Deux jours, c’est peu, mais suffisant, explique le réalisateur rencontré à Paris vendredi dernier pour la première du documentaire. « je ne sais pas faire du long, sans doute l’habitude de filmer du skate où tout est très rapide et où tu dois aller à l’essentiel. J’ai essayé de le monter en huit minutes, mais j’avais l’impression de tirer à la ligne. On reste un peu sur sa faim ? Oui peut-être mais certaines choses sont comme ça, des moments à prendre comme ils sont . Et puis je ne me vois pas forcer le trait et me lancer dans une grande bio de Lois. Pendant ces deux jours passés avec elle, l’été 2022, j’ai capté ce que j’ai pu attraper au vol. La caméra, elle connait, mais elle n’aime pas trop se dévoiler. J’ai pris ce qu’elle m’a donné, quelques confidences ».
« A 2000 mètres, les vibrations sont différentes »
« Bergère, c’est plus qu’un job, c’est un mode de vie, c’est une vocation très ancienne qui a changé avec le temps mais ca reste, à la base, nourrir les animaux, faire en sorte qu’ils soient en sécurité et explorer mon territoire de 300 hectares », raconte Lois. Mais c’est beaucoup plus aussi. « Quand tu vie à 2000 mètres d’altitude, les vibrations sont différentes. Tout semble plus clair. J’aime les challenges de ce job, où tu as des questions de vie ou de mort parfois. Du coup, ça t’oblige à avoir du recul sur les choses, et tout ne semble pas si important. Ici, tu ne t’occupes pas de savoir ce que les gens pensent de toi. Ici les problèmes sont tangibles. Les challenges sont physiques. Tu apprends à avoir confiance en toi. Souvent les gens me disent : je ne pourrais jamais faire ce travail, j’ai besoin de voir du monde. Moi il y a des jours où je ne vois absolument personne, et ça me va, je ne me sens pas seule. Ça peut être dur parfois, ça peut faire remonter les idées les plus noires. Mais ça peut aussi te donner une chance de murir, de grandir. Je ne pourrais pas vivre ici seule, sans les animaux. C’est de la compagnie, ils ont tant de personnalité. Quand tu parles à un animal, en fait tu te parles à toi-même non ? Avec les animaux, on est gentil, on parle doucement. On doit aussi le faire avec soi même je pense. Être berger, c’est une vie, une passion qui te remplit autrement que le skate. Alors, oui c’est dur et il y a des jours où tu es crevée mais il y a tant de beauté chaque matin : les paysages, les fleurs sauvages ».
Vision presque idyllique, emballée dans un film qui donne envie de rejoindre Lois, là-haut en Savoie pour voir comment c’est « en vrai ». Las, la bergère est redescendue des alpages il y a quelques semaines pour filer du côté de Limoges où elle suit une formation « niveau 4 » en élevage ovins dans un CFA (Centre de Formation d’Apprentis). Sérieuse donc. Mais le temps de quelques jours, son passé la rattrape et c’est au cœur de Paris, dans le quartier du Marais, qu’on l’attend pour la première de « La Bergère ». Dans la boutique d’Element présentant la dernière collection, « Nature Calls« , un écran, du Beaufort d’été, de la Corona (!) dans un bac et des skateurs. Avec nous, ils vont attendre longtemps. Pas de quoi stresser qui que ce soit ici, la bière est fraiche et tous savent que la ponctualité n’est pas le propre des skateurs. Fidèle à sa légende et à la tradition, Lois ne pointera son nez qu’à 20h30… elle promenait Red, son border collie. D’un sourire éblouissant – sa dent de devant explosée lors d’une récente chute de skate est tout juste réparée – elle se fait immédiatement pardonner et, oui veut bien répondre à quelques questions… on n’est plus à ça prêt pour le film.
« La 1e saison? Ah oui, ça a été dur ! »
Red ne la quitte pas d’une semelle ; « C’est la première fois pour lui dans une grande ville, il aime bien, il peut faire pipi partout, parce qu’il y a beaucoup d’odeurs ! Mais il est un peu fatigué, un peu blessé, il a trop donné pendant la dernière saison. » Est-ce qu’elle se reconnait dans ce film ? « Je n’aime pas trop me voir à l’écran, je ne suis pas très à l’aise avec ça. Mais j’aime ce qu’a fait Percy. J’ai accepté qu’il me filme parce que je veux partager cette vie avec mes amis et ma famille qui ne peuvent pas être là. Ça leur a pris du temps pour comprendre mes choix. Le premier challenge pour eux, c’était mon choix du skate. Mais bon, moi quand j’ai une idée dans la tête, je la suis. Les troupeaux, l’estive, j’ai découvert tout ça en 2020. Je ne te fais pas un tableau, tu vois le contexte. J’y suis montée avec un ami, et tout de suite ça m’a intriguée, ça a soulevé plein de questions en moi ; Comment pouvait-on vivre ainsi ? On est 2023 et ça fait quatre saisons que je fais. Ce n’était pas mon idée de départ, mais j’ai enchaîné les estives. L’année dernière, j’ai dit à mon patron, que je voulais arrêter – Lois ne possède pas de troupeau, elle s’en occupe le temps de l’été seulement pour le compte de propriétaires, ndlr – et puis j’y suis remontée. C’est un job qui ne s’arrête jamais, mais en même temps, tu n’as pas de boss, tu es libre, mais ce n’est pas toujours simple. On peut facilement faire des erreurs qui peuvent avoir de graves conséquences. La 1er saison ? A oui, c’était dur ! En France on a une expression pour ça. Dans le métier de berger, la première année, tu cours; la deuxième, tu gardes ; la troisième, tu regardes. C’est tellement vrai. Ca veut dire qu’avec le temps tu as suffisamment de confiance, et que tu as compris les mouvements du troupeau. Mais on dit qu’il faut trente ans pour devenir un vrai berger.
Là-haut, j’ai entre 1200 et 1400 moutons, des Merino d’Arles, et une chèvre, Loulou. Je peux compter sur les adultes qui reviennent d’une année sur l’autre et qui mènent le troupeau, mais il y a aussi les agnelles. Pour elles, c’est la première fois en montagne, et elles font des bêtises ! Le film montre le bon côté de cette vie, mais il y en a qui sont moins « nice ». Les attaques de loups, par exemple, c’est un challenge, c’est une source de conflit pour moi car je suis partagée quant à la conduite à tenir face à eux. Et puis tu mets un peu ta vie perso entre parenthèses pendant cinq mois. Tu peux perdre le contact avec certains amis, certains liens. D’autant que l’été, toi tu es là-haut, alors que c’est le moment où ça bouge, avec les festivals, la plage… ». Je dis ça, mais en même temps, je ne suis plus complètement dans ce monde-là, pas comme avant. Quand je quitte les montagnes, elles me manquent. Ailleurs, même dans la vallée, les vibrations ne sont pas les mêmes. Là-haut, la vie est si paisible. Tu es satisfait, tu as un job qui a du sens ». Là-dessus, Red s’impatiente un peu et dans la salle aussi. La projection de « La Bergère » doit commencer. Mais avant, « une bière Lois ? » lui propose-t-on. « Quelle question ! Tu sais à qui tu parles ?! », répond-elle, hilare.
Pour en savoir plus sur la collection « Nature Calls » d’Element, visitez www.elementbrand.fr
Photo d'en-tête : Percy Dean / Element