L’UTMB Group semble avoir choisi 2024 pour franchir plusieurs paliers marquants. Après avoir facilité l’accès aux courses pour les athlètes en situation de handicap, renforcé son positionnement face à la lutte antidopage, placé Hoka plutôt que Dacia au naming, les dirigeants de l’incontournable circuit de trail viennent d’annoncer le gonflement significatif du prize money (déjà à parité). Une décision prise pour marquer son soutien à la professionnalisation du trail et des athlètes élites dans leurs carrières. Décryptage des impacts potentiels d’une évolution sensible également sur d’autres évènements majeurs.
Multiplication du nombre d’épreuves, de participants, augmentation des frais d’inscription et des prize money… Le boom du trail – pour le meilleur ou pour le pire – n’a échappé à personne. Il va désormais de pair avec la professionnalisation de cette discipline.
Tout va vite, trop vite selon certains puristes qui voient dans cette exponentielle croissance une fracture avec les valeurs fondamentales de cette pratique résumées dans le cadre de « l’esprit trail ». C’est d’ailleurs ce que déplorait Nicolas Darmaillacq, organisateur de la SkyRhune, qui annonçait en mars dernier la dernière édition de cette épreuve mythique.
« C’est une forme d’abandon face à la professionnalisation du trail » nous expliquait-il. « Et à toutes les dérives qu’elle peut entraîner. On arrive au bout. Parce que ça devient trop exponentiel, je trouve. Le trail est vraiment en train d’évoluer à la vitesse grand V. Et ça s’éloigne totalement de mes idéaux. […] Car l’argent n’emmène que de mauvaises contreparties. On parle de plus en plus de dopage, de système d’entreprise, de bénéfices, et ça, ça me gêne. Ça dénature la pratique. […] Des dérives vont forcément arriver. Et ce ne seront pas les premières. Le cas des Kényans à Sierre-Zinal est parlant [les deux vainqueurs de l’édition 2022 ayant été mis en cause pour dopage, ndlr]. Ces gens-là ne viennent pas faire ces courses-là parce qu’ils aiment le trail. Ils viennent parce qu’il y a de l’argent ».
Des prize money multipliés par d eux
Et de l’argent, il y en a de plus en plus dans le trail running. Notamment en ce qui concerne les prize money. C’est sur ce dernier point que l’UTMB Group a décidé de positionner un peu plus de deux mois avant l’emblématique rassemblement chamoniard. Les dirigeants du célèbre circuit de trail running viennent d’annoncer une nouvelle qui devrait ravir les meilleurs coureurs élites : le gonflement significatif des primes offertes à la tête de la course.
« Il était très important pour nous d’augmenter les prize money afin d’appuyer notre engagement pour le sport et pour les communautés » explique Frédéric Lénart, Directeur Général du groupe UTMB. « Nous sommes fiers de soutenir les athlètes, femmes et hommes, dans l’accomplissement total de leur passion et dans la possibilité de vivre de leur sport ».
Concrètement, l’UTMB Group multiplie dès à présent ses prize money par deux. Les vainqueurs femme et homme de l’épreuve reine de 170 km et 10 000 D+ autour du mont Blanc recevront chacun 20 000 euros. « À l’exception de cette course fondatrice, UTMB World Series récompense de la même façon les performances de chaque athlète, quelle que soit la distance parcourue » précise l’organisation. « Ainsi, franchir la ligne d’arrivée d’un 50K, d’un 100K ou d’un 100M lors d’un Major du circuit permettra d’accéder aux mêmes récompenses, le circuit visant à féliciter équitablement chaque athlète, reconnaissant que les distances les plus courtes nécessitent le même niveau de dévouement et de persévérance ». Autre nouveauté : l’élargissement du spectre avec un prize money pour les dix premiers (pour la grande finale à Chamonix), contre les trois premiers jusqu’ici. À noter que la parité hommes-femmes, principe fondateur instauré par l’entreprise dès la mise en place des premières primes en 2018 (dont le montant s’élevait à 2000 euros pour les vainqueurs), sera respectée.
Un essor financier qui n’est pas sans rappeler celui du marathon
Ce nouveau prize money représente une enveloppe de 500 000 euros sur l’ensemble du circuit UTMB (pour l’année 2024 seulement, puisque les courses antérieures à cette annonce n’ont pas été concernées). Un sacré budget qui semble devenir la norme dans le monde du trail.
Car à titre de comparaison, les Golden Trail Series offrent aujourd’hui un total de 300 000 euros de primes sur l’ensemble de leurs courses. De leur côté, les organisateurs des Skyrunner World Series, un circuit renommé de courses en montagne, avaient également annoncé début 2024, une augmentation significative des primes pour la saison 2024. Le prize money total atteint désormais 227 000 euros, avec 20 000 euros pour les vainqueurs du classement général après l’ultime épreuve, le SkyMasters, le 16 novembre.
Une croissance exponentielle qui n’est pas sans rappeler celle du marathon. À Paris, en 2024, l’homme et la femme les plus rapides de la course ont empoché (chacun) 30 000 euros (contre 20 000 euros en 2014). « Le premier des deux à franchir la ligne d’arrivée touche 5 000 euros supplémentaires »précisent Les Echos. « Et cette somme peut encore grimper s’ils font tomber les records établis à l’occasion des précédentes éditions. Dans ce cas, ils touchent 5 000 euros en plus ».
Et ce ne sont pas les seuls à être gratifiés : les douze premiers de chaque catégorie sont également récompensés. « Les deuxièmes homme et femme gagnent 22 000 euros chacun, les troisièmes, 15 000 euros, et les quatrièmes, 10 000 euros. Des sommes dégressives en fonction du rang d’arrivée et qui sont les mêmes pour les hommes et les femmes. Au total, les organisateurs prévoient une enveloppe de 204 000 euros de récompense ».
Vers une diversification des profils de traileurs
Cette politique incitative permet aux athlètes de mieux vivre de leur sport, mais elle apporte également son lot de défis. Professionnalisation et démocratisation allant souvent de pair, le nombre croissant de participants questionne sur les problématiques d’impact environnemental, tant d’un point de vue d’empreinte carbone (transport des traileurs jusqu’au lieu de l’événement) que d’impact sur la biodiversité.
Se pose également la question de la diversification des profils d’athlètes – et des motivations. Un dernier point qui inquiète les fervents défenseurs de l’esprit trail. Tous citent l’exemple de l’arrivée des Kenyans sur les épreuves des Golden Trail World Series en 2022. Avec ses 31 kilomètres, le format court de Sierre Zinal était idéal pour ces athlètes venus des hauts plateaux, plutôt adeptes des semi-marathons et marathons sur route.
Et très vite, on en avait déduit, avant d’apprendre que les deux premiers allaient être mis en cause pour dopage, que sur ce profil de course peu technique, leur domination était évidente, et ce, malgré un manque d’expérience. Mais de là à voir des Kenyans briller sur des trail plus longs, de type UTMB, il allait falloir du temps, en avait-on conclu.
Car plus la distance s’allonge, plus les athlètes des hauts plateaux semblent éprouver de difficulté à s’aligner aux côtés des meilleurs mondiaux. Il ne serait toutefois pas si étonnant de les voir tenter l’aventure, même si d’un point de vue financier, il demeure encore complexe pour eux de s’aligner sur une course. L’augmentation des montants des prize money, véritables moyens pour eux de sortir de la pauvreté, pourrait-il davantage les y inciter ?
Article publié initialement le 19 juin 2024 à 13h41, mis à jour 17h31.
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