Avaler les 171 km et les 10 000m de D+ du parcours de l’UTMB en moins de 20 heures : Pau Capell avait mis la barre très haut en août dernier, dans le cadre de son projet « Breaking 20. Lui qui, en 2019, avait remporté haut la main la course mythique en 20h19, courait cette fois seul face à lui-même et au chrono. Une pression énorme sur laquelle il revient dans ce film de 10 minutes.
L’athlète se souvient de ses débuts en trail, un sport recommandé par son médecin suite à une blessure. Pour lui, c’est la révélation : « courir, c’est la liberté. Un sentiment unique », raconte Pau Capell après avoir touché au foot, au tennis et au paddle. « Quand j’avais 20 ans », poursuit-il, je suivais l’Ultra-Trail du Mont-blanc depuis mon ordinateur. Et j’ai dit à ma famille : Je veux gagner cette course ! ». En 2019, sa meilleure année, il accomplit son rêve. Pour Pau, c’est : « le plus moment de ma vie ! ». Une victoire qu’il doit à sa force de discipline et à son courage », commente la Brésilienne Fernanda Maciel, grande figure du trail, interviewée dans le film.
En 2020, faute de course officielle, l’athlète convainc son sponsor, The North Face, de tenter l’UTMB à nouveau, en solo, et sous la barre des 20h. Un double défi quand on court seul l’un des trails les plus exigeants au monde. La course sera éprouvante : solitude, chute et fatigue. Au Grand Col Ferret, il perd du terrain et finit en 21 :17 :18 sous une pluie battante. Très éprouvé.
Six mois plus tard qu’en pense-t-il ? « 2020, c’était une année folle. On a essayé. Mais on est humain après tout. Parfois on parvient à battre un record, et parfois non », raconte l’athlète qui s’estime pourtant chanceux d’avoir pu tenter ce défi. Quid de l’UTMB 2021 ? « Si la course se tient. Je serai là ! Sinon, ne vous inquiétez pas, je reviendrai ». On y compte bien !
Interview : Pau Capell commente sa tentative de record
Le 30 août dernier, quelques heures après sa course, le champion espagnol répondait à nos questions et notamment sur la notion d’échec et de succès. Une réflexion riche d’enseignements.
Pour un athlète qui vient de courir pendant plus de 21h non-stop avant d’enchaîner quasiment dans la foulée des dizaines d’interviews, Pau Capell, 29 ans et une allure toujours aussi juvénile, a l’air étonnement reposé. « Je suis physiquement fatigué », confie-t-il, mais je dois surtout assimiler tout ce que j’ai vécu au cours de ces derniers jours ».
Pau, dans le cadre de ton projet « Breaking 20 », soutenu par The North Face, ton objectif était de passer sous la barre des 20h sur l’UTMB, course que tu connais bien. Tu as mis 21h17, soit presque une heure de plus qu’en 2019, année de ton record. Le ressens-tu comme un échec ?
De nos jours, la conception de l’échec s’utilise de manière très vaine. Je suis convaincu qu’il n’y a rien qui soit, dans l’absolu, un échec ou un succès. Dans le cas précis de ce projet, l’échec aurait été de ne pas terminer la course, ce qui n’a pas été le cas. Sans compter qu’avec ce temps de 21h17, l’année dernière je serais quand même monté sur le podium. Enfin, c’est le 6e meilleur temps dans l’histoire de l’UTMB. Compte-tenu des conditions, c’est purement incroyable.
De l’extérieur, un athlète est souvent vu comme un être surhumain, mais ce n’est jamais qu’un être comme les autres, avec ses failles, comme tout un chacun. Aussi, je crois que j’ai fait un bon temps malgré tout, même si je reconnais avoir fait des erreurs qui m’ont empêché d’atteindre le « Breaking 20 ».
(James Poole)
Qu’est-ce qui t’a donc manqué pour réussir ?
Je crois que ce projet était très ambitieux, vraiment. Or quand tu es au milieu de ces montagnes immenses, et que tu es seul, totalement seul, envisager de boucler ce parcours très long en 20h … C’est très difficile. Mais cela peut se faire, et ça se fera tôt ou tard. Mais dans le cas présent, je crois bien que je suis parti trop vite. Bien trop quand il s’agit de gérer une course de plus de 170 km. J’ai mené un rythme trop rapide jusqu’au 90ekm. Si j’avais eu affaire à une course courte de 30 ou 40 km, tu fonces et c’est plié, mais 170 km … Au final tu le payes. Et moi je l’ai payé dans la dernière partie de la course !
Par quelles sensations et sentiments es-tu passé pendant cette course en solo ?
Je me suis senti très bien pendant la première partie, où je pensais que j’avais toutes les chances de réussir le « Breaking 20 ». Mais par la suite la fatigue m’est tombée dessus. Physiquement mais surtout mentalement. Ça a été très dur de récupérer après ça pour tenter de surmonter ce passage à vide. Les derniers 20 km ont été très éprouvants, j’ai perdu du temps dans les montées, dans les descentes je me défendais plus ou moins bien mais sans compenser pour autant. Alors, j’ai préféré profiter un peu de l’instant. Dans les montées, j’ai fait des pauses, pour respirer, regarder les montagnes, me relaxer un peu.
Au final, ça été dur. Mais surtout peut-être avant la course. Car j’ai ressenti une énorme pression sur mes épaules. Une pression que je m’étais imposée car il s’agit d’un projet personnel, mais quand même, elle était bien là, tout du long. Pendant la course, j’étais à fleur de peau … voir tous ces gens réunis à Chamonix pour me voir, moi, alors qu’il ne s’agissait même pas d’une course organisée … Les gens étaient dans la rue, criant, faisant des photos, c’était incroyable. Il va me falloir quelques jours pour intégrer ça.
(James Poole / Mathis Dumas)
Tu ne t’y attendais pas ?
Non, pas du tout. J’étais sur le point d’aller sur la place de Chamonix quand un organisateur est venu me voir : « Pau, tu sais qu’il y a des centaines des gens qui t’attendent pour le départ ? » Je suis sorti, et là, c’est plus de 500/600 personnes qui étaient massées sur la place ! J’étais sidéré. Un moment pareil, ça te donne une énergie incroyable. Ça a été très fort. D’autant que le lendemain, à l’arrivée, alors qu’il pleuvait, les gens étaient là, peut-être plus nombreux encore que la veille. Au final, c’est ça que je retiens du « Breaking 20 ».
As-tu un projet plus personnel encore qui te tient à cœur ?
Non, « Breaking 20 », est et reste mon projet le plus personnel à ce jour. Si l’on me le demande, je resigne tout de suite pour 2021. Sans hésiter, je le referai. C’est ce qui me motive le plus aujourd’hui. Je crois que pour moi, comme pour d’autres athlètes, ce défi est possible. Et je n’aurai de cesse de le tenter pour l’atteindre.
Que représente le trail dans ta vie ?
Ah ! Courir, c’est … je ne sais pas pourquoi, mais c’est l’essence de ma vie. C’est là que je me découvre moi-même. Tu vois j’ai fait des études d’ingénierie industrielle, et parmi les matières à étudier, il y en avait une qui n’avait rien à voir avec l’ingénierie. C’était sur « la vie et les gens ». On t’y enseignait qu’il était impossible de se connaître à 100%. Qu’à tout moment au cours de ta vie tu pouvais apprendre quelque chose sur toi-même. Quelque chose qui pourrait bien te surprendre. Or plus d’une fois en courant j’ai eu ce sentiment de me découvrir, de voir des choses que je ne ressentirais pas dans la vie normale. Je crois bien que c’est ça qui me passionne le plus dans le trail : apprendre à mieux me connaître au cours de ces très longues et éprouvantes épreuves, dont l’intensité n’a pas d’égale avec la vie quotidienne.
(Mathis Dumas / James Poole )
Courir sans adversaire, seul face à toi-même, semble très difficile, vu de l’extérieur
Oui, c’est bien ce qui est le plus compliqué pour gérer son temps, sans la référence des rivaux. Tu dois courir les yeux sur ta montre. Alors que dans une course normale, tu regardes moins ton temps que celui des autres pour gérer les distances.
Tu parlais en début de notre entretien de profiter du moment pendant la course. Sur des ultras, quels sont ces moments de plaisir ?
A vrai dire, j’avoue que le plaisir … il y a des moments où tu ne profites pas du tout de l’instant, mais alors pas du tout ! Mais il faut voir les choses autrement. Il y a plusieurs manières de profiter du moment. Pour beaucoup de gens, ça se résume à s’amuser, rire, mais c’est bien plus que ça, en réalité. Tu peux être plongé dans des abimes de souffrance physique et en même temps profiter de ce moment, tout simplement parce que ton frère court à tes côtés. Que tu partages l’intensité de ce moment avec lui, ce que tu ne pourrais faire dans aucune situation dans la vie normale. C’est un moment de communion, de partage, bien au-delà de la course, c’est ce que je ressens à ce moment-là que je rapporte à la maison et qui me nourrit durablement.
En tant qu’athlète pro tu as sans doute dû faire des sacrifices pour atteindre ton niveau actuel
Oui et parfois des choses très importantes. Et avec le temps tu te rends compte que parfois tu as fait trop de sacrifices ou pas les bons. Ça, ce sont tes erreurs qui te l’apprennent. Au point d’en arriver à te dire : « là, j’ai mal géré, j’ai perdu quelque chose d’essentiel, comme peut l’être une relation de couple ou tout autre chose. Ce qui est sûr, c’est que le trail est très exigeant et suppose beaucoup de sacrifices.
Outre la course à pied, qu’est-ce qui te comble dans la vie ?
Tout simplement ce que j’ai fait hier, partager du temps avec ma famille et mes amis. C’est vrai que je passe beaucoup d’heures à m’entrainer, mais j’ai aussi besoin d’aimer et de me sentir aimer, comme tous les êtres humains. Avec le « Breaking 20 », j’ai couru pour moi-même, mais dans les moments les plus durs, savoir que mes parents, mes frères et sœurs et les amis de mon village avaient fait le déplacement jusqu’à Chamonix pour me soutenir … il n’y a pas de meilleure motivation pour continuer et finir la course en donnant le meilleur de moi-même.
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Article publié initialement le 30 août 2020, republié et mis à jour le mars 2021
Photo d'en-tête : Mathis Dumas- Thèmes :
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