« Into the wild », « Tragédie à l’Everest », « 127 heures » , les longs récits d’aventures vécues marquent depuis toujours l’histoire d’Outside. Beaucoup finissent en tragédie. La faute à « pas de chance » parfois, mais la cause tient plus souvent à une succession de mauvaises décisions. L’issue fatale aurait donc pu être évitée si … C’est précisément pour comprendre ces enchaînements malheureux qui conduisent à la mort que nous avons invité David Manise, la référence française en matière de survie, à partager le fruit de son expérience dans une rubrique. Cette semaine, il explique « pourquoi dans la nature les gens meurent presque toujours selon le même mode ».
Je suis au Québec. J’ai fait environ 60 km à motoneige et je suis tombé en panne. Plutôt que de suivre ma trace à rebours, j’ai voulu couper en ligne droite pour rentrer. C’était une erreur. Je suis mon azimut, mais je patauge jusqu’à la taille. Les petits épicéas sont si rapprochés les uns des autres que je ne peux même pas m’asseoir une minute pour reprendre mon souffle. Je me faufile entre eux comme un gamin dans une foule compacte qui me griffe. Il fait nuit maintenant.
Au fil des heures qui passent, je sens mon énergie qui diminue. Le froid rentre, la neige s’est remise à tomber. La nuit – c’est la deuxième que je passe dehors – semble interminable. Si je m’arrête, je meurs. Si je continue, je m’épuise. Plus que le froid, c’est l’angoisse qui commence à percer. Je lutte contre la neige et le froid, mais surtout je lutte contre le doute. Contre l’incertitude. Contre les « et si ? »
Par chance, je trouve enfin un endroit un peu dégagé, peut-être une clairière ou un marécage gelé. Je m’en fous. Sous la neige, je ne vois rien, mais je vais avoir la place pour faire un feu, et me reposer.
Je prends ma hache, que j’ai failli abandonner mille fois, je coupe un ou deux arbres morts. Je me fais un gros feu qui me réchauffe à moitié; j’en allume un deuxième et m’assois entre les deux. Je m’endors aussitôt comme une masse.
J’ai 15 ans. Et je suis en train de faire une des erreurs que, vingt ans plus tard, arrivé en France, j’enseignerai aux autres à ne pas faire.
Faits divers et rapports d’accidentologie
Dans la nature, les gens meurent presque toujours de la même manière et une fois qu’on a compris comment, on peut assez facilement anticiper et éviter les ennuis. C’est précisément cette méthode que nous enseignons aujourd’hui au CEETS, le Centre d’Etude et d’Enseignement des Techniques de Survie que j’ai créé il y a bientôt 15 ans pour que ceux qui pratiquent des activités dans la nature aient moins d’accidents fatals. Pour qu’ils reviennent sans encombre et n’aient rien d’autre à raconter que leurs belles aventures au contact de la « Pachamama », la Terre mère.
Pour ce faire, j’ai puisé dans mes expériences personnelles, mais j’ai aussi épluché les faits divers, lu les rapports d’accidentologie, cherché les points communs, les plus petits dénominateurs, les points critiques, les endroits où tout converge. Et j’en ai tiré un modèle qui tient en deux check-lists. L’une définit nos besoins de base et nos contraintes. L’autre, nos ressources les plus indispensables.
Dans la nature (mais aussi en ville, sous l’eau, en haute montagne ou sur Mars), nous survivons :
- 3 secondes sans vigilance (ici il est question de gestion du risque).
- 3 minutes sans oxygène dans nos centres vitaux (ici il est question de premiers secours).
- 3 heures sans pouvoir réguler notre température corporelle(vêtements, abris, mouvement, eau pour transpirer, feu, équipement de bivouac, etc.).
- 3 jours sans eau potable (j’insiste sur potable).
- 3 semaines sans manger (quand les gros seront maigres, les maigres seront morts).
- 3 mois sans hygiène (prophylaxie, quand tu nous tiens !).
- 3 ans sans tribu (parce que nous avons tous besoin de lien, de contact, de contenance et d’amour).
Cette « règle des trois », inspirée par un maître de la survie, le regretté Ron Hood et complétée par nos soins, pose nos BESOINS.
Heureusement, nous avons aussi des RESSOURCES pour survivre. Et il y a cinq moyens transversaux qui font toute la différence lorsqu’il s’agit de subvenir à nos besoins : CCVMD, parce que « ça, ça vaut mille dollars » :
- conscience : vous savez, ce truc qui fait qu’on est attentif à notre environnement, à notre état, à notre groupe… qui fait qu’on arrive à prendre des décisions par exemple ?
- communication : appeler les secours, donner des conseils, planifier en groupe …
- vision : parce que c’est quand-même notre sens privilégié pour naviguer, trouver du bois à brûler ou identifier les dangers.
- mobilité : parce que si on ne peut plus bouger, qu’on est coincé, c’est le début de plein d’autres ennuis. La mobilité, c’est tout ce qui nous permet d’aller du point A au point B (des pansements anti-ampoules aux passeports et visas, en passant par la natation et les baudriers pour faire du rappel).
- dextérité (ou système D), parce que nos petits pouces préhensiles et notre capacité à transformer et à utiliser notre environnement ont compensé, au final, notre absence de poils, de griffes, de crocs et de vitesse.
Perdre ou gagner, comme aux échecs
J’ai froid ? Je peux marcher et produire de la chaleur, puis trouver un refuge ? Je m’en sors.
Je me casse une jambe dans la neige, je ne peux pas bouger, je n’ai pas de réseau pour communiquer ? Si personne ne me trouve, je meurs de froid.
Je perds l’usage de mes yeux à cause d’une ophtalmie des neiges ? J’utilise mon téléphone satellite pour appeler à l’aide, on me retrouve le lendemain, je survis.
Je me coince un bras pendant 127 heures dans un canyon ? Je perds ma mobilité. J’utilise le système D, et un couteau mal affûté pour me libérer, retrouver ma mobilité et trouver de l’eau pour ne pas finir complètement desséché.
Moralité, c’est rarement un seul paramètre qui nous met échec et mat, mais bien, comme aux échecs, la combinaison de plusieurs facteurs assez inoffensifs isolément, mais qui se liguent pour nous grignoter de l’espérance de vie.
Tant que vous avez les moyens de préserver vos ressources, et de gérer vos contraintes, vous rentrez avec de belles photos. Et dans le cas contraire, vous faites les faits divers des journaux.
Cette rubrique est réalisée en collaboration avec David Manise, instructeur de survie et de self-protection depuis 2003. Fondateur du forum vie sauvage et survie, il est également à l’origine du CEETS, Centre d’Etude et d’Enseignement des Techniques de Survie.
Formateur, il est aussi conférencier, traducteur et auteur de plusieurs ouvrages, notamment : La vie est injuste, et à la fin tu crèves. « Un petit essai énervé sur la différence entre la théorie et la pratique » et Manuel de [sur]vie en milieu naturel, chez Amphora, en juin 2016.
Photo d'en-tête : Kilian Sanlis- Thèmes :
- Survie