C’est l’un des trois grands chantiers de la COP 26 cette semaine : fixer l’ambition des Etats en matière de baisse de leurs émissions de CO2. A l’heure où à Glasgow on s’enlise autour de discussions sur leur régulation, les seuils acceptables et la pertinence des crédits et des quotas carbones, certaines entreprises prennent les devants, sans plus attendre. A commencer par Vaude, spécialiste de l’équipement de montagne, l’un des plus exigeants de l’industrie textile en matière d’environnement. Déjà climatiquement neutre en Allemagne depuis 2012, la marque vise le même objectif, mais au niveau mondial et dès 2022. De lourds investissements dont le coût ne pèsera pas sur le consommateur final, mais sur son budget marketing. Une première.
« Ce n’est plus une conférence climat. C’est un festival de greenwashing des pays riches. Une célébration de deux semaines du business comme d’habitude et du blabla » : là, c’est Greta Thunberg qui parle. Qui s’insurge, une fois de plus, devant l’inaction des pays les plus pollueurs de la planète réunis à Glasgow du 31 octobre au 17 novembre pour la COP26.
La semaine dernière, quelques engagements ont certes été pris sur le charbon la déforestation et le méthane, notamment. Mais la liste des pays signataires compte trop d’absents majeurs : la Chine, le Japon, l’Australie, l’Inde, les États-Unis, parmi les plus gros consommateurs de charbon, pour ne citer qu’eux. Et les dates butoir laissent sans voix, au regard de l’urgence climatique : une centaine de pays se sont engagés à mettre un terme à la déforestation… mais d’ici 2030. Un objectif trop lointain pour Greenpeace qui y voit un feu vert à « une décennie supplémentaire de déforestation ».
Priorité absolue : la protection du climat
Sur la table des discussions cette semaine, trois dossiers brûlants à faire avancer d’ici le jeudi 17 novembre, date de la clôture de la COP26. La naissance d’un nouveau marché de crédits carbone entre Etats, dans l’esprit du Protocole de Kyoto et un autre, avec les entreprises, où celles-ci pourraient compenser leurs émissions en achetant des « crédits carbone » réservés à des projets peu émetteurs. Deuxième sujet prioritaire : la « finance climat », ou l’application, faite il y a douze ans par les pays développés à Copenhague, de verser 100 milliards de dollars annuels pour tarir les émissions de CO2 et s’organiser face aux catastrophes climatiques. Dernier chantier, définir l’ambition des Etats en matière de baisse de leurs émissions de CO2.
Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) concluait que les émissions de CO2 devaient être réduites rapidement et de manière drastique, au risque de perdre toute chance d’atteindre l’objectif de 1,5°C, avec des conséquences dramatiques pour l’humanité et les générations futures. Un appel auquel trop d’Etats restent encore sourds, mais qui n’est pas sans échos dans la société civile mais aussi auprès d’industriels tels que l’Allemand Vaude. « La protection du climat doit être une priorité absolue et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver la santé de notre planète », déclarait ainsi Antje von Dewitz, directrice générale de la marque.
L’entreprise a donc décidé de devenir climatiquement neutre sur tous ses produits fabriqués dans le monde entier à partir du 1er janvier 2022. Objectif promis par un nombre croissant d’entreprises, cette fameuse « zéro émission nette » vise à de ne plus ajouter, à terme, de nouvelles émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Clair sur le papier, nettement plus complexe, et couteux, à mettre en œuvre, ne serait-ce que parce que les gaz à effet de serre sont difficiles à mesurer. 9 % des entreprises sont aujourd’hui capables de calculer leurs émissions avec précision, selon une étude du BCG portant sur 1.300 structures dans 12 pays. Principal écueil : les émissions indirectes prenant en compte les gaz à effet de serre produits en amont et en aval de la chaîne de valeur – les fournisseurs et le cycle de vie d’un produit, par exemple.
Investir le budget pub et marketing autrement
Comment compte donc s’y prendre une entreprise telle que Vaude ? La société allemande va compenser toutes ses émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais elle va également investir également un montant égal à celui qu’elle dépense pour la compensation dans la réduction continue de ses émissions. Ce qui a un coût. Aussi a-t-elle décidé de réduire son budget marketing d’environ un demi-million d’euros. Un pas de plus vers une politique de communication atypique. Depuis longtemps déjà, la renonce aux campagnes publicitaires coûteuses, préférant investir dans la durabilité. Or produire des produits durables suppose un surcout que ne peut (et ne doit !) indéfiniment supporter le consommateur. « La volonté de nos clients de payer des prix de détail plus élevés a ses limites. Nous ne pouvons nous permettre les coûts supplémentaires liés à la fabrication durable de nos produits et à la compensation climatique, que si nous réduisons nos coûts dans d’autres domaines. C’est pourquoi nous ne nous engageons pas dans de grandes campagnes d’image et autres mesures publicitaires coûteuses », explique Antje von Dewitz. « Nous voulons démontrer que la protection du climat peut être financée par une réaffectation des budgets. Si toutes les entreprises utilisaient une partie de leur budget marketing à la protection du climat, nous pourrions réaliser de grands changements. C’est possible – et l’avenir de notre planète en vaut la peine ! ».
Sur tous les fronts environnementaux depuis 1974
Une décision qui pourrait passer pour un vœux pieux, n’était le parcours déjà réalisé par la marque en matière de production durable. Sur tous les fronts, des PFC au recyclage, en passant bien sûr par l’énergie indispensable à son activité. Qu’on en juge. Depuis sa création en 1974, l’équipementier allemand accumule sans bruit les avancées en matière de recherches sur son impact environnemental. Pionnier d’un style de vie éco-responsable, la marque lance ainsi dès le milieu des années 90 les premiers essais pour recycler entièrement les vêtements techniques des sportifs outdoor, au sein du réseau Ecolog-Recycling. En 2001, elle est la première marque de l’industrie outdoor à soutenir et utiliser le label Bluesign, l’un des plus exigeants de l’industrie textile. Huit ans plus tard, en 2009, elle va plus loin encore et crée son propre label de qualité « Green Shape certifiant non pas seulement la matière première textile, mais tous les éléments constituants d’une veste. En toute logique, en 2015, elle signe le Greenpeace Detox Commitment, s’engageant ainsi à éliminer d’ici fin 2020 toutes les substances polluantes de la totalité de sa chaîne d’approvisionnement et à fabriquer toutes ses collections sans avoir recours aux PFC. Quel est son bilan depuis ? « VAUDE n’utilise plus de PFC dans ses membranes depuis 2011 et la collection textile en est exempte depuis 2018 », explique la marque. Cette exigence s’applique aussi à l’ensemble des chaussures et sacs à dos depuis 2020.
Avant tout, réduire les émissions
En matière d’énergie, la marque n’est pas en reste. Depuis 2009, au siège de Tettnang elle utilise 100 % d’électricité verte provenant de ses propres installations solaires. Le siège de l’entreprise et tous les produits qui y sont fabriqués sont climatiquement neutres depuis 2012. En 2019, un deuxième objectif était fixé : atteindre la neutralité climatique mondiale, mais sur sur la bases de données précises et fiables, pas simple, on l’a vu. En étroite collaboration avec ses fournisseurs, toutes les émissions de la chaîne d’approvisionnement mondiale en amont ont ainsi analysées. Sur la base de ces données, une troisième étape s’imposait : la neutralité climatique globale de l’ensemble de ses produits à partir de 2022. Autrement dit, demain. Toutes les inévitables émissions nuisibles au climat seront ainsi compensées via la production de biogaz à partir de déchets industriels, le projet myclimate Gold Standard.
Plus importante encore que la compensation, la réduction des émissions. En fait, le plus grand défi pour la marque. « La plus grande partie de nos émissions est générée par notre chaîne d’approvisionnement mondiale », reconnait Vaude. Les produits outdoor sont principalement composés de fibres synthétiques et leur production nécessite un niveau élevé d’énergie. C’est donc à ce point que la marque s’est attaquée en priorité. Résultats : d’ici 2024, 90 % de ses produits seront fabriqués principalement à partir de matériaux recyclés ou biosourcés. De quoi réduire ses émissions de CO2 d’environ 50 % (selon les produits), par rapport aux matériaux vierges. Objectif déjà atteint pour la moitié des produits de la collection de vêtements 2022.
Acheter, ou pas : un moyen de faire bouger les choses
Un premier pas, mais beaucoup reste à faire, reconnait l’entreprise. « Nous savons que la majorité de nos émissions de gaz à effet de serre sont produites par nos fournisseurs lors de la fabrication des matériaux de nos produits », explique la marque. D’ici 2030, c’est une réduction de 50 % des émissions de la chaîne d’approvisionnement qui est visée. L’industriel s’efforçant d’aider ses partenaires à passer à des sources d’énergie renouvelables.
Le chantier est colossal. Mais la balle est désormais dans la balle des Etats et de nos élus, mais vu l’inertie quasi générale, elle est aussi et surtout du côté des entreprises. Et, de fait, du consommateur sur lequel depuis des décennies, on cherche à rejeter la faute. Or nous pouvons faire pression sur les marques pour qu’elles changent leur mode de production en achetant des produits qui reflètent le changement que nous voulons voir. Le changement climatique est un problème colossal qui nécessite des solutions énormes. On sait que les deux tiers des principales émissions industrielles de gaz à effet de serre dans le monde sont le fait de 90 entreprises seulement. Par le simple fait d’acheter, ou pas, un produit nous pouvons faire pression sur les marques pour qu’elles réduisent les émissions qu’elles émettent… en attendant que les législateurs interviennent.
Photo d'en-tête : VAUDE- Thèmes :
- Environnement
- Marque
- Outdoor
- Vaude