Quand Mathéo Jacquemoud, champion du monde de ski alpinisme et guide de haute-montagne, vous invite à le rejoindre dans sa cordée, ça ne se refuse pas. Et quand c’est le photographe Julien Lacroix qui capture les instants les plus saisissants de leur aventure commune, le résultat est époustouflant de beauté et d’humanité. Car au-delà de la découverte en images de la montagne, c’est l’histoire d’une amitié tissée au fil des ascensions que l’on suit dans « Mon Guide », tout juste publié aux Editions Mons.
« Un passeur autant qu’un guide ». En s’adressant à Mathéo Jacquemoud, le photographe Julien Lacroix demandait beaucoup. Le résultat est allé au-delà de ses espérances au regard de l’ouvrage né de leur collaboration, « Mon guide », que viennent de publier les Editions Mons, petite maison dirigée par le photographe Alexis Berg et son partenaire Aurélien Delfosse auxquels on doit déjà l’excellent « Les finisseurs », portrait des coureurs de la Barkley.
Sous la sobre couverture de ce nouvel opus de 160 pages, se cache une belle rencontre. Celle d’un photographe cherchant « avant tout à photographier la montagne », explique Julien Lacroix. « L’esthétisme d’une course, et sa réponse photographique, primaient sur la difficulté du terrain et le sommet à atteindre. Je ne cherchais pas à conquérir mais à observer. Et j’avais la conviction qu’il était la personne idéale pour m’y aider ». Le photographe avait vu juste. « Il «, c’est Mathéo Jacquemoud, « le genre de copain qui est difficile à fatiguer », raconte Vivian Bruchez, skieur de pente raide et lui aussi guide de haute montagne, dans un très beau texte en fin du livre. « Une journée classique pour Mathéo, c’est un départ aux premières lueurs du jour, une montée au pas de course sur un sommet au-dessus de chez lui, un décollage en parapente, puis un atterrissage dans son jardin », poursuit-il.
On comprend qu’en approchant Mathéo, Julien Lacroix, « montagnard-photographe » se soit demandé s’il allait « être à la hauteur, capable de suivre le pied rapide du champion Mathéo Jacquemoud », moi qui ne m’étais jamais frotté à autre chose que ce que l’on appelle communément « la montagne à vaches ». En fait, il n’aura pas en s’en soucier car, explique-t-il, « la vertu du guide, quel que soit son talent, étant de s’adapter au profil de la personne qu’il en a face de lui. »
« L’artisanat du montagnard, incarné par Mathéo »
Leur première sortie, en septembre 2018, les conduira à faire la traversée de l’Aiguille d’Entrèves. Une course de rocher mixte assez courte, faisable en une demi-journée et classée AD (assez difficile en cotation d’alpinisme), idéale pour une initiation aux arêtes rocheuses. « Un itinéraire varié, ludique et aérien avec un panorama exceptionnel, d’après Mathéo», raconte Julien Lacroix. Ce jour-là, le photographe comprend que le guide a adhéré à sa requête. « Il m’a proposé un décor, c’était maintenant à moi de composer », dit-il.
Julien Lacroix en tirera une première image, « celle du grimpeur posant fièrement sur le rocher pour quelques minutes de gloire. C’était notre première ensemble », se souvient le photographe. «La première d’une longue série » de superbes images en noir et blanc capturées au Leica M avec un objectif de 50 mm. « Un objectif classique et passe-partout, qui permet d’entretenir un regard et d’obtenir une certaine homogénéité dans la composition des images (…). Une focale dont le rendu est proche de l’oeil humain, explique-t-il.
Au fil de leurs courses, un lien étroit se tisse entre les deux hommes. « Une relation de confiance favorisant le partage immédiat et instinctif des émotions, caractérisé par l’esprit de cordée ». Une corde qui devait sauver la vie de Julien lors d’une chute sur l’arête Forbes de l’Aiguille du Chardonnet. « Paradoxalement, cette chute m’a libéré de la peur de tomber que je ressentais au début d’une nouvelle course », explique le photographe. « Sans doute parce qu’elle a été l’occasion d’éprouver la fiabilité de mon partenaire de cordée. Le confiance que je lui voue est désormais totale. C’est un cliché de le dire ainsi, mais Mathéo m’a sauvé la vie ce jour-là au Chardonnet. Changeant mon rapport à cet environnement, ainsi que ma façon de le photographier ».
De cette nouvelle approche on saura gré à Mathéo Jacquemoud, tant est captivant ce « modeste recueil photographique tentant de restituer les splendeurs de l’univers alpestre, sa beauté infinie, changeante et insaisissable. Mais fragile et sensible », pour reprendre les termes de Julien Lacroix qualifiant ses photographies « d’ évocation de l’art de la nature, ainsi que de l’artisanat du montagnard, incarné par Mathéo. Mon ami. Et mon guide ».
Objectif réussi pour le photographe qui nous convie ici à une autre approche de la montagne, infiniment personnelle et esthétique. Sans compter, et ce n’est pas l’un des moindres attraits de « Mon Guide », qu’il nous donne à mieux connaître Mathéo Jacquemoud. Celui que Vivian Bruchez qualifie de « grand Monsieur de la montagne. Une figure du milieu », se livre aussi en quelques pages qu’on découvrira avec plaisir. Son enfance, ses premières courses, l’influence de son père, mais aussi de ses lectures – Gaston Rébuffat, Jean-René Minelli -, c’est la genèse d’une vocation de guide qu’il livre dans un très beau texte : « La transmission ».
Les amateurs de photographie apprécieront enfin la mise en regard des dates clés de l’histoire de la photographie et celles de l’histoire de l’alpinisme, présentées en fin d’ouvrage, où l’on voit que ces deux champs d’explorations souvent se recoupent, l’un stimulant l’autre. L’occasion pour Julien Lacroix de rendre hommage à tous ceux qui l’ont inspiré et dont il ne démérite pas : « des frères Bisson à Vittorio Sella ou Vilém Heckel, sans oublier le photographe américain du Yosemite, Ansel Adams. Et, bien sûr, la famille Tairraz de Chamonix », confie-t-il.
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