En octobre 2020, Symon Welfringer et Pierrick Fine gravissent la face Sud du Sani Pakkush dans le massif du Batura Mustagh au Pakistan, un sommet culminant à 6953 m. Une première sur cette face de 2 500 m que vient de récompenser le jury des Piolets d’Or 2021 – prestigieux prix également attribué cet année à la cordée de l’Américain Ethan Berman et de l’Écossais Uisdean Hawthorn pour leur ascension au mont Robson (3 954 mètres, États-Unis). Au retour des deux Français, nous les avions interviewés, pour comprendre comment ces jeunes alpinistes étaient parvenus à boucler leur périple de six semaines alors qu’à l’époque, du Népal aux Andes, toutes les frontières se fermaient. Un défi relevé avec une ténacité et une audace qui forcent doublement le respect !
Parfois, il faut forcer le destin. C’est ce qu’ont fait Symon Welfinger, 26 ans et Pierrick Fine, 25 ans, il y a exactement un an. Le 19 octobre dernier, à 14h, ils atteignent le sommet du Sani Pakkush à 6953m. Situé dans le massif du Batura muztagh, à l’ouest du Karakoram, la partie pakistanaise de l’Himalaya, le Sani Pakkush n’a été gravi qu’une seule fois par son versant le plus facile en 1991 par une équipe allemande. Les deux Français avaient, eux, opté pour une ascension par la face Sud, encore vierge. Leur expédition est également la deuxième à s’introduire sur le Toltor glacier.
« En choisissant le massif du Batura », explique Symon Welfringer, jeune ingénieur en météorologie, ancien compétiteur d’escalade en difficulté basé à Grenoble, nous cherchions une forme d’isolement, ce massif reste encore très peu parcouru et il regorge de faces vierges très intéressantes d’un point de vue alpinistique. «
Symon et son camarade Pierrick, aspirant guide de haute montagne, comptaient déjà quelques belles expéditions réalisées ensemble, notamment au Pakistan, dans la Yarkhun Valley, avec des ouvertures à ski de deux voies, une en mixte » Sur la route de l’école » M6/500m et une grande voie rocheuse, « Le crux amovible » 7b+ 250 m. Au retour du Sani Pakkush, le 1er novembre, ils rentrent avec la fierté d’avoir réussi un sommet et ouvert une voie à 7000 m, mais aussi d’avoir déjoué les pronostics les plus pessimistes.
Le Népal est fermé ? Cap sur le Pakistan !
Rien en effet ne les encourageait à se rendre au Pakistan pour six semaines cet automne, alors que l’épidémie de Covid gelait pratiquement tous les projets, dans l’Himalaya comme dans les Andes.
« Normalement, j’essaie de monter deux expéditions majeures par an », explique Symon. « Au printemps, cette année, c’était le Pakistan, une zone que j’affectionne particulièrement pour sa culture, ses montagnes, où l’on trouve encore plein de faces vierges. Arrive l’épidémie. Le projet tombe à l’eau. A l’automne, c’est le départ pour le Népal qui est lui aussi différé, je devais le monter avec deux autres copains, mais après diverses tergiversations, le pays ferme ses frontières, Covid oblige, pour ne les rouvrir que mi-octobre, trop tard pour y monter une expédition en alpi technique. » Symon envisage alors le Pakistan, où les conditions ne sont pas réputées les meilleures en cette période de l’année. Mais il décide de tenter le coup et porte son choix sur une vallée très peu connue dans le massif du Batura Mustagh.
Une décision longuement réfléchie
Un pari sur le plan météo mais aussi sanitaire. « Compte tenu de l’épidémie en cours, à tout moment, tout pouvait fermer », explique-t-il. « Mais on a fait abstraction de tout ça. On a tout préparé comme si tout était ok. Comme le font les athlètes avant une compétition. Contre toute attente, Symon et Pierrick ne rencontrent aucun problème pour obtenir un visa « ça marchait très bien sur internet », se souvient-il. Et aucune restriction ne leur est imposée à l’embarquement le 20 septembre sur Turkish Airlines, si ce n’est la présentation d’un test PCR négatif. Par précaution toutefois, les deux alpinistes avaient pris soin de s’isoler au cours des deux semaines précédant leur départ.
A bord de l’avion, seul le port du masque leur rappellera que la période est très spéciale, car à l’arrivée, la vie semble normale au Pakistan. « Le pays en avait alors un peu fini avec le virus, enfin pour un temps puisqu’aujourd’hui il fait face à une deuxième vague », précise Symon. « Mais rien à voir avec le climat qui régnait alors en France à l’automne. A l’annonce de notre expédition, certains ont trouvé ça bizarre. Bien sûr nous avions longuement réfléchi aux enjeux et à l’image que ce projet pouvait donner de nous. Mais il faut savoir que nous avons analysé très objectivement les risques. Vraiment minimes au final. Nous avons passé six semaines sur place, dont cinq au camp de base. En temps normal, on trouve une dizaine d’expéditions dans la région. En octobre, nous n’étions que trois, les agences normales ayant cessé leurs activités. Dans la zone, très sauvage, que nous avions choisie, c’était le désert.
« Nous avons pris toutes les précautions possibles, et l’expérience montre que tout ne s’arrête pas forcément avec la Covid, C’est ma troisième expédition au Pakistan, et là j’ai vu l’économie locale totalement paralysée. C’est dramatique. Là, comme partout ailleurs, notamment au Népal où les suicides se multiplient depuis l’explosion mondiale de l’épidémie. L’impact y est dix fois plus grave que celui du tremblement de terre de 2015. Les porteurs et agences locales ne reçoivent aucune aide de l’état, ils sont totalement démunis. Aussi toutes les expéditions contribuent à aider un peu les gens. Bien sûr si nous n’avions pas atteint notre but et le sommet du Sani Pakkush, on aurait peut-être subi des critiques, mais compte-tenu des précautions que nous avons prises, et du résultat, j’espère seulement avoir donné envie aux jeunes alpinistes de partir, de continuer à s’intéresser à ces zones. Cela me donne aussi pas mal de motivations sur d’autres projets », conclut-il.
A leur retour, le 1 novembre, le deuxième confinement entrait en vigueur en France.
Tous les détails de l’expédition par Symon Welfringer
6 semaines au Pakistan : 20 septembre 2020 – 1 novembre 2020
« A notre arrivée, par chance, les conditions de neige et de mixte de la face sud étaient plutôt bonnes. Nous avions en amont repéré plusieurs lignes logiques, mais en observant les « mouvements » de la montagne, nous avons assez vite laissé tomber l’option de l’éperon central. Pas totalement protégé des chutes de séracs, il nous aurait de toute façon demandé beaucoup trop de temps. Nous nous sommes donc concentrés sur une ligne réalisable en style alpin, afin de profiter au maximum des courts créneaux météo qu’offre le Pakistan. Nous étions également à la recherche d’une ligne qui soit protégée des risques objectifs (avalanches et chutes de glace). Dès que possible, nous nous sommes consacrés à l’acclimatation. Bien qu’efficace, elle n’a pas pu être optimale car les sommets accessibles autour de notre camp de base ne culminaient qu’à 5 400 mètres maximum. Au premier créneau météo favorable, nous sommes partis dans la face.
Nous sommes partis très tôt le premier jour pour éviter de trop « brasser » de neige dans les pentes du bas. Très vite, nous nous sommes rendu compte que les conditions de neige et de glace étaient excellentes. Nous étions au bon endroit, au bon moment et avec la bonne stratégie. Notre choix de matériel de progression était aussi optimal, ni trop, ni trop peu, pour faire face aux sept longueurs techniques parfois verticales qui nous attendaient. Très vite, nous avons renoncé aux réveils trop matinaux sans soleil. Les amplitudes de températures étaient extrêmes, oscillant entre des nuits glaciales avec du -30°C au thermomètre et du +20°C à l’intérieur de la tente en pleine après-midi. Sans soleil, nous fonctionnions au ralenti et sans aucune efficacité. Nous avons donc vite revu l’heure du réveil à la hausse. Une autre problématique à laquelle nous avons dû faire face résidait dans les bivouacs et leurs emplacements pas toujours optimaux. Dans cette face de 2 500 mètres, en partie en neige, nous nous attendions à plus d’options. Nous avons profité d’une seule nuit confortable sur les quatre. Avec le froid et les pieds dans le vide, certaines nuits n’ont pas été très réparatrices.
Techniquement parlant, après un départ plutôt roulant, nous rencontrons les premières difficultés à une altitude de 5000 m au tout début de la face, avec quelques longueurs de glace raide. S’ensuivent des pentes de neige et quelques longueurs mixtes faciles. À environ 5600 m, nous faisons l’une des longueurs les plus dures de la voie en M4 +/M5 et trouvons une petite plateforme où nous passons une première nuit inconfortable. Le deuxième jour, nous réunissons à être efficace et remonter 600m supplémentaires, coup de cœur pour la longueur de glace verticale en plein centre de la face. À environ 6200 m, nous recherchons désespérément un nouvel endroit pour bivouaquer, nous posons finalement nos fesses sur un caillou et une mauvaise marche de neige pour attendre le lever du jour suivant. Troisième jour dans la face, nous commençons à fatiguer. Dès le premier emplacement de bivouac confortable, une belle crevasse bouchée à 6400m, nous nous arrêtons pour reprendre des forces.
Le 19 octobre, nous décidons de faire l’aller-retour au sommet avec très peu de matériel pour être le plus léger possible. Nous laissons notre bivouac en place et remontons sur 600m environ la crête sommitale. La qualité de la neige est très variable et l’effort important pour avancer dans ce terrain. Nous arrivons à 14h00 bien fatigué sur le sommet de Sani Pakkush à 6953m.
Au sommet, nous avons trouvé ce que nous sommes venus chercher, un mélange d’émotion et de larmes givrées.
Une cinquième journée est nécessaire pour descendre de cette énorme face de 2500 m, mixant rappels (20-25) et désescalade. En fin d’après-midi du 20 octobre, nous arrivons sain et sauf au camp de base vidés de toute notre énergie mais nos esprits remplis d’émotions. »
Les principales difficultés
Le froid. En ces derniers jours d’automne, la température peut tomber à – 20 et – 30 degrés. « La limite du supportable pour l’alpi technique », explique Symon. « Car on a besoin de gants un peu fin pour grimper.`
Les bivouacs. Les trouver s’avérera difficile. Trop souvent les deux alpinistes devront faire avec une fine couche de neige, recouvrant la glace.
Les bonnes surprises
Contre toute attente, c’est la météo. Il fait froid, certes, mais pas un seul nuage à l’horizon. « De juin à fin octobre, on peut faire des choses bien au Pakistan », selon Symon.
L’organisation matérielle
Symon et Pierrick sont passés par « North Pakistan Adventure« . Une des plus grandes agences au Pakistan, bien connue des Français, notamment Hélias Millerioux, pour ne citer que lui. L’expédition, soutenue sur le plan matériel par Millet, Petlz ou encore Julbo a été entièrement financée par les deux alpinistes.
En savoir plus sur Symon Welfringer et Pierrick Fine
Ancien compétiteur d’escalade en difficulté, Symon Welfringer s’est mis ensuite à la montagne. Ingénieur en météorologie, il se consacre presque à plein temps à la montagne. Il aime la diversité des activités, de la cascade de glace à l’escalade sportive en falaise. Les expéditions dans des pays lointains sont aujourd’hui ce qui lui tient le plus à cœur. « Ma pratique est principalement centrée autour de l’escalade technique », dit-il. J’ai envie d’appliquer mes capacités de grimpeur de falaise sur des parois rocheuses ou enneigées. Si en plus tu peux combiner ça avec la haute altitude, alors là c’est le luxe. A son actif, de nombreuses expéditions autour du monde : Caucase géorgien, Alaska, Chili, Kirghizistan et bien sur l’Himalaya (Népal et Pakistan). En 2019, il a ouvert un itinéraire dans la Rolwaling au Népal avec Silvan Schupbach : Trinité, M6 – 1500 m sur le Tengi Ragi Tau à 6820 m en 4 jours.
Pierrick Fine, vient de Chartreuse et passe du temps en montagne depuis son plus jeune âge. Il est aujourd’hui aspirant guide de haute montagne. Après avoir parcouru les plus belles faces des Alpes, il s’est récemment intéressé aux expéditions en Himalaya. Deux au Pakistan et une en Chine l’année dernière, dans la face ouest du Grosvenor (6376 m) pour une nouvelle voie : Tcheu c’te panthère, ED, AI5+/6 et 1300m de haut
Article publié le 11 décembre 2020, mis à jour le 8 octobre 2021, suite à l’annonce des lauréats des Piolets d’or 2021.
Photo d'en-tête : Symon Welfringer