Combien de morts faudra-t-il encore pour qu’en France les choses changent vraiment ? A l’annonce samedi de l’accident de chasse qui a coûté la vie à Mélodie Cauffet, jeune randonneuse de 25 ans, c’est la question qu’on doit se poser. Car si en cette période d’élections l’indignation est de mise, une fois passée l’émotion, c’est surtout les chasseurs qui font entendre leur voix sur la durée, perpétuant les idées reçues qui justifieraient leur main mise sur l’espace naturel public. Or leurs arguments te tiennent pas. Et il est grand temps de faire entendre ceux des millions de randonneurs, trailers, vététistes et autres amoureux de la nature que compte l’Hexagone.
Samedi 19 février, une jeune femme de 25 ans, Mélodie Cauffet, a été tuée par « une balle perdue » dans le Cantal, à Cassaniouze. Décrite par un voisin comme étant « une femme discrète, qui travaillait dans un magasin de bricolage, gentille et serviable », elle n’avait qu’un tort : se promener sur un sentier de randonnée balisé avec son compagnon au moment des faits et surtout… en pleine période de chasse ! La responsable du coup de feu est une adolescente de 17 ans qui participait à une battue aux sangliers débutée dans le département de l’Aveyron, département voisin.
« Cet accident n’est pas sans rappeler plusieurs précédents récents en Aveyron ou concernant des Aveyronnais », rappelait aujourd’hui un quotidien local. » Il y a un peu plus d’un an, le 2 décembre 2020, l’Aveyronnais Morgan Keane, 25 ans, né à Villefranche-de-Rouergue de parents anglais, coupait du bois à une centaine de mètres de la maison familiale à Calvignac, dans le Lot, quand il a été touché par une balle, tirée par un chasseur qui l’avait « pris pour un sanglier ». Il a été enterré dans le village aveyronnais voisin, à Salvagnac-Cajarc. » Le tireur présumé, originaire de Montbazens en Aveyron, a été mis en examen pour homicide involontaire. Il doit justement comparaître dans le courant de l’année 2022 devant le tribunal judiciaire de Cahors. On attend avec impatience la sentence quand on sait que le chasseur à l’origine du tir qui mortellement touché un vététiste, le 13 octobre 2018, sur un chemin de la commune de Montriond en Haute-Savoie n’a été condamné qu’à quatre ans de prison dont trois ans avec sursis. Nul doute qu’une fois plus ses avocats ont fait valoir les excuses qu’on a trop souvent entendues. « Les accidents de chasse ? L’erreur est humaine ! » affirmait fin 2021, le président de la Fédération Nationale des Chasseurs, Willy Schraen, toujours prêt à dégainer un argument massue pour s’assurer que les « droits » des valeureux chasseurs, seuls vrais défenseurs de la nature, soit perpétués par des élus en mal de votes. Ces arguments, justement, nous les avons épluchés.
Les chasseurs représentent un pourcentage important de la population Française : FAUX
Aujourd’hui, un million de Français détiennent un permis de chasse valide, représentant moins de 2% de la population. Des chiffres à mettre en face des 15 millions de randonneurs, des 7,5 millions de pratiquants de VTT, et des 2 millions de cavaliers, auxquels il faut ajouter les innombrables promeneurs, cueilleurs de champions, amateurs de photographie pris en otages par une activité dangereuse et meurtrière. Non, aucune raison d’avoir le monopole de la forêt en France !
La règlementation sur les jours de chasse est claire et suffisante : FAUX
En France, la chasse est organisée par département et par type de gibier – de passage, d’eau, de montagne. Résultat : un vrai casse-tête pour qui veut tenter une incursion en forêt sans y risquer la vie. Au niveau national, elle est ouverte entre septembre et février et légale toutes les jours de la semaine… ou seulement les mercredi, samedi et dimanche par exemple, suivant le type de gibier. Pas simple ! Mais pour corser encore la chose, la préfecture de chaque département, via un arrêté, précise les dates exactes et les animaux concernés et il n’est pas rare que des exceptions s’y ajoutent. Pour s’y retrouver avant de consulter votre topo et de prévoir une rando, il est donc prudent de consulter votre mairie et le site web de l’Office National de la Chasse et la Faune Sauvage. Un conseil, armez-vous de patience afin de trouver l’information et surtout la bonne date qui vous fera passer entre les mailles des chasseurs.
Bonne nouvelle diront les plus optimistes, dans certains départements un jour sans chasse est fixé. Certes, mais ce n’est qu’un premier pas qui n’est absolument pas une obligation (il s’agit souvent d’une mesure de protection du gibier). « En fonction des sociétés de chasse, ce n’est pas le même jour où la chasse est arrêtée », regrettait récemment Dominique Py, membre de France Nature Environnement, sur France Info. De quoi ajouter un peu de flou à des règlementations déjà pas très claires qui multiplient les risques pour les randonneurs et autres vététistes.
Les règlementations autour de l’obtention du permis de chasser et de l’acquisition d’un fusil de chasse sont suffisantes : FAUX
Toute personne souhaitant chasser doit posséder un permis de chasser qu’il est possible d’acquérir à partir de 16 ans voire même de 15 ans avec une dérogation. Avant de se présenter à l’examen, une épreuve composée d’exercices pratiques et de questions théoriques, le candidat doit suivre une formation dispensée par les Fédérations départementales des chasseurs. Les mineurs peuvent chasser accompagnés d’un majeur titulaire d’un permis de chasser depuis au moins cinq ans avec qui il partage son arme. Celle-ci devra « être déclarée en ligne, et être conservée en sécurité, par exemple dans un coffre-fort ou une armoire forte » précise France Info.
Plusieurs conditions sont nécessaires à l’acquisition d’un fusil de chasse : être majeur, ne pas être inscrit au fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes, présenter un casier judiciaire ne comportant pas de condamnations pour « meurtre, assassinat, tortures ou actes de barbarie, violences volontaires, viol ou agressions sexuelles, trafic de stupéfiants »…, ne pas se signaler par un comportement laissant « objectivement craindre une utilisation de l’arme dangereuse pour soi-même ou pour autrui » et un permis de chasser. Un certificat médical sur la santé physique et mentale n’aurait pas été de trop, surtout quand on sait qu’un quart des féminicides ont été provoqués à l’aide d’une arme de chasse, précisait récemment Reporterre. Depuis 2021, les chasseurs doivent faire une mise à niveau tous les dix ans, avec au programme un point sur la réglementation en vigueur. Et comme il n’y a pas de limite d’âge pour chasser, on peut se demander pourquoi des check-up auditifs et visuels ne seraient pas requis ? Une bonne ouïe et une bonne vue, pas inutile pour tirer sur du gibier dans les bois, non ?
Il y a de moins en moins d’accidents : VRAI MAIS…
Une fois de plus, il faut bien analyser les chiffres. D’après l’Office français de la biodiversité, le nombre d’accidents de chasse a baissé de manière significative en France (-41% depuis 1999), passant de 232 à 136 par an. Une tendance plus nette encore concernant les accidents mortels, en baisse de 71%. C’est un fait qui va d’ailleurs de pair avec une diminution du nombre de chasseurs, reste que l’argument est à à contraster sachant que, par crainte d’une balle perdue nous sommes de plus en plus nombreux à éviter les forêts au moment où la chasse est ouverte. Forcément, ça limite le nombre d’accidents, mortels ou pas. Reste s’il est un chiffre dont la Fédération Nationale des Chasseurs ne se vaut pas , c’est que la France détient le record européen du plus grand nombre d’accidents.
On va vers de plus en plus de limitations pour les chasseurs en France : FAUX
En juillet 2020, la loi « Chasse » avait interdit, en France, la chasse le mercredi. Un premier pas abrogé dès 2003 par Roselyne Bachelot, marquant un retour en arrière significatif. Sans compter que la période de chasse en France est en outre la plus longue d’Europe (presque sept mois de l’année pour les seuls oiseaux) et s’exerce sur le nombre d’espèces également le plus élevé en Europe : 90 en incluant les mammifères. Enfin n’oublions pas qu’en août 2018 Emmanuel Macron accordait une beau cadeau aux chasseurs en divisant par deux le coût de la licence de chasse qui passait ainsi de 400 euros à 200 euros. Si c’est ce qu’on appelle brimer les chasseurs…
Les Français sont majoritairement contre la limitation de la chasse : FAUX
Selon un récent sondage, publié le 4 novembre 2021, 69 % des Français se déclarent favorables à l’interdiction de la chasse le week-end et pendant les vacances scolaires. Tous des bobos ? Pas du tout ! 81% sont des citadins et, surprise ! 75% sont des ruraux. De plus, en 2018, 84% des interrogés estimaient que la chasse posait des problèmes de sécurité lors des balades en nature.
Les chasseurs sont des électeurs qui comptent : VRAI mais
En période d’élection, l’accident de ce week-end a fait réagir les futurs candidats à la présidentielle. « Trois quarts des personnes qui vivent dans la ruralité n’osent pas aller se promener le dimanche quand il y a des tirs de fusil, ce n’est pas normal », affirmait récemment Yannick Jadot. Des arguments contrastés par l’opposition, notamment par Marine Le Pen au micro de France Inter : « Je considère que la chasse est une tradition ancestrale et qu’elle doit être maintenue ». Donc, oui, les chasseurs sont bien des électeurs comme l’ont bien compris Roselyne Bachelot en 2003 lors de l’abrogation
lde la loi « Chasse » et Emmanuel Macron en 2018 lors de la division par deux du coût du permis national de chasse. Mais combien les chasseurs – dont le nombre ne cesse de décroitre depuis une trentaine d’années. En 1975, l’Hexagone comptait 2 400 000 millions de chasseurs, contre un petit million aujourd’hui – pèsent-ils face aux 15 millions de randonneurs, 7,5 millions de pratiquants de VTT, et 2 millions de cavaliers pour ne citer qu’eux ?
La chasse est ancrée dans la tradition française, on ne peut pas revenir sur sa règlementation : FAUX
Prenons exemple sur nos amis anglais, grande nation de chasseurs, férus de traditions s’il en est : en Grande-Bretagne, il n’y a pas de chasse le dimanche depuis 1831. N’aurions-nous pas deux siècles de retard ?
Il est impossible de règlementer la chasse : FAUX
Rappelons qu’en France, la chasse est autorisée les 7 jours de la semaine en période de chasse, alors que dans la quasi-totalité des autres pays d’Europe, il y a des jours sans chasse, souvent le dimanche. Certains pays vont même plus loin encore, comme en Suisse, dans le canton de Neuchâtel où il est interdit de chasser pendant trois jours par semaine ou encore dans le canton de Genève où cette activité de loisir est interdite depuis 1974. Autre exemple : au Portugal, où l’on ne peut chasser que le jeudi et le dimanche, tandis qu’en Espagne aussi, on peut se promener sans crainte dans la nature, trois jours de chasse par semaine étant autorisés.
Il n’y a pas de solutions : FAUX
En 2018, des conventions de partenariat ont été signées entre la Fédération Nationale des Chasseurs et la Fédération Française de la Randonnée Pédestre. Idem en 2020 mais cette fois-ci avec la Mountain Bikers Foundation et la Fédération Française de Cyclotourisme. Déclinées au niveau régional et départemental, ces conventions sont loin d’être suffisantes ! Et les drames récents montrent qu’elles ont peu de poids face aux pratiques persistantes.
Alors nous tous, randonneurs, vététiste, grimpeurs, amoureux d’outdoor, pourquoi ne pas faire entendre notre voix est exiger que nos élus s’inspirent de la commune d’Avallon, dans l’Yonne où les jours de chasse sont clairement limités et affichés sur les panneaux municipaux dans un souci de partage équitable de l’espace naturel. De plus, elle prône une technique de tir plus efficace : « chaque chasseur est posté sur un petit mirador. Il tire à 360 degrés vers le sol et à 40 mètres maximum, chevreuils et sangliers dérangés par des rabatteurs et leurs chiens ». Au final : moins de balles utilisées et des tirs plus précis.
Des revendications légitimes qui auront d’autant plus de poids qu’elles seront relayées massivement et durablement par toutes les fédérations représentant les pratiques outdoor.
Photo d'en-tête : Brumels
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