Il nous confiait l’année dernière vouloir franchir les portes du 8e degré. Et avec « Los Tacos de los dos rigolos », un 8a situé à Saint-Géry, dans le Lot, c’est désormais chose faite. Le fruit d’un an de travail acharné, mêlant persévérance et adaptation. Pour Outside, Nicolas Moineau, champion du monde à Bercy en 2012, en catégorie déficient visuel, est revenu sur son parcours, évoquant en détail le long processus de travail d’une voie dure.
Lundi 16 octobre, après plus de 13 mois de travail, Nicolas Moineau est parvenu à enchaîner « Los Tacos de los dos rigolos », un long 8a de 40 mètres qu’il qualifie sur Instagram, d’un « énorme chantier ».
Comment as-tu commencé l’escalade ?
À Fontainebleau avec mes parents lorsque j’étais enfant. Mais je n’ai eu une pratique assidue que lorsque j’ai quitté la région parisienne, vers mes 19 ans. Alors installé à Clermont-Ferrand, je me suis inscrit dans un club. Je commençais déjà à voir assez mal, c’était l’un des sports que je pouvais encore pratiquer.
Tu souffres d’une rétinite pigmentaire, c’est quoi exactement ?
C’est une maladie génétique qui peut prendre environ cinquante formes différentes. Dans tous les cas, la rétine se dégrade progressivement. On me l’a diagnostiquée vers mes 14/15 ans. Quand j’ai commencé l’escalade, je voyais mes prises de mains et de pieds mais ne pouvais pas forcément voir un point (d’ancrage, ndlr) à dix mètres de moi. Pour donner un ordre d’idée, j’ai arrêté de faire du vélo à 24 ans. Ensuite, vers mes 30 ans, j’ai utilisé une canne blanche jusqu’à avoir un chien guide pas longtemps après, à 32/33 ans. Actuellement, je ne vois rien du tout, uniquement des gris clairs et des gris foncés, et ce même s’il fait entièrement noir. Sinon, je peux m’apercevoir qu’il fait beau si le soleil brille très fort.
Comment adaptes-tu ta pratique de l’escalade à ta non-voyance ?
Ca s’est fait petit à petit. Déjà, quand j’ai commencé à ne plus voir mes prises de pieds, je me suis mis à trouver des pieds plus hauts. En fait, j’ai appris à compenser, à ruser pour m’adapter à l’évolution de ma vue sur 20 ans. Après, il y a l’expérience, ce qui est très important dans l’escalade en falaise. Même pour quelqu’un qui voit bien. Sinon, pour trouver l’itinéraire de la voie, il y a plein de trucs que j’ai mis en place, d’abord inconsciemment. Ce n’est que maintenant que je m’en aperçois. Par exemple, si je veux trouver un point, je sais que l’ouvreur ne va pas les mettre dans un endroit où le rocher est mauvais. En général, sur une voie régulièrement parcourue, les prises sont relativement propres. Dès que l’on est en dehors de la voie, c’est plus sale, il y a plus de cailloux qui se décrochent…
En 2012, tu deviens champion du monde à Bercy. Pourquoi ce détour par la compétition ?
Au départ, je n’étais pas trop dans l’esprit de compétition. Puis j’ai été contacté par les personnes de la FFME qui étaient en train de constituer une équipe de France handi pour Bercy (les championnats du monde d’escalade 2012, ndlr). Ils s’y sont pris quelques mois avant l’événement. J’ai vu ça comme une expérience – ça m’a donné une motivation pour faire pas mal d’efforts et me spécialiser dans l’escalade. Avant 2012, je pratiquais d’autres sports, pas mal de course à pied, un peu de montagne, d’escalade glacière, de la neige… Et parmi tout ça, je faisais de l’escalade. […] Pour la compet’, j’ai fait pas mal d’efforts, en particulier au niveau hygiène de vie. Mon niveau a bien augmenté. Avec le coach, on essayait de se programmer un pic de forme pour l’été, avec des entraînements bien fatiguants et pas hyper funs. Plus les compets approchaient, plus on diminuait le volume tout en augmentant la difficulté des voies. [….] En compétition, j’avais besoin d’être guidé (une personne en bas de la voie indique les prises au grimpeur malvoyant ou non-voyant, ndlr). Le coach avait décidé qu’il était le guide pour tous les athlètes de l’équipe. […] On ne s’entraînait pas assez souvent ensemble pour pouvoir progresser. Pour que le duo guide/grimpeur fonctionne, il faut mettre au point un système de guidage, une sorte de code, pour être le plus efficace possible. Et surtout, il faut passer du temps ensemble.
Quel était ton système de guidage pour la compétition ?
Celui que nous avions trouvé nous a permis de gagner en 2012. On fonctionnait avec les horaires pour trouver les prises (en visualisant une horloge, une heure donnée permet de donner la direction d’une prise, ndlr). À cette époque, j’ai compris qu’il fallait que le centre de l’horloge soit un point fixe. Quand tu définis le centre de l’horloge pour donner un horaire pour trouver une prise que tu te dis que le centre va être le corps du grimpeur, ce n’est pas une bonne référence parce que le grimpeur bouge. Ce n’est pas un point fixe. Il suffit que tu aies changé de position pour que l’horaire ne soit plus du tout le même. Avant Bercy, j’ai dit au coach qu’il fallait que le centre de l’horloge soit la dernière prise tenue. Du coup, si j’ai une main droite sur une prise et que je dois croiser main gauche, ça va être 13h – le centre de l’horloge va être ma main droite et ma main gauche va aller chercher à 13h par rapport à ma main droite qui est sur une prise. C’est plus précis. Si ce n’est pas croisé et plus en diagonale à gauche, ça va être dix heures ou onze heures. Si c’est avant, ça va être midi, etc. Mais toujours par rapport à la dernière prise tenue. Et après pour les prises de pied, on me donnait la hauteur de la prise à chercher par rapport à ma jambe qui était déjà posée sur une prise, à hauteur du genou par exemple. C’était plus compliqué.
En 2018, tu as raccroché les chaussons de compet pour faire des voies dures. Pourquoi ?
Parce que ça ne m’amusait plus. J’ai fait une coupe du monde, à Briançon, j’ai vu que l’on ne progressait pas, que la suite allait être compliquée… Et puis, il y avait tous les à-côtés de la compet qui se sont assez mal passés – rien que le transport, relier Cahors à Briançon en train, c’était l’horreur. Tout était compliqué. Du coup, je me suis mis sur le travail de projets durs en falaise. Je suis davantage motivé par les voies dures après travail parce que ça me rend plus indépendant du guidage. Même si je suis assuré par un copain qui est nul en guidage, qui confond sa droite et sa gauche, si j’ai assez travaillé la voie, ça va quand-même le faire. Par exemple, dans « La Société des Loisirs » (7c), on ne m’a donné que deux prises. J’avais trouvé toutes les méthodes, je savais où j’avais besoin d’être guidé. Sinon, pour les voies à vue (sans reconnaissance de la voie au préalable, ndlr) c’est bien différent. Parfois, il m’arrive de forcer plus dans un projet à vue que dans mon projet dur du moment. Des fois, je zappe plein de prises.
Quel est le processus de travail d’une voie dure ?
Ca dépend des voies. Parfois, j’ai moyen de mettre la corde par le haut, ce qui peut raccourcir la phase de travail. Sinon, il est possible de tirer au point. Dans l’ensemble, je vais essayer de trouver des voies logiques (qui sont plutôt linéaires, ndlr). Et j’écoute un peu les conseils de ceux qui les connaissent pour savoir si elles vont pouvoir me convenir. Après, le processus de travail ressemble à ce que fait quelqu’un qui voit – je divise la voie en sections, je me concentre ensuite sur les plus dures et j’essaye de tout optimiser. […] Ma croix la plus dure, un 7c+, m’a demandé quasiment une année de travail. Je ne compte même pas les séances de calage, de repérage… ça a été énorme. J’avais installé des cordes fixes – j’ai même fait des séances tout seul sur la voie, en étant auto-assuré.
Quels sont tes projets ?
J’aimerais faire un 8a. Je n’ai pas encore trouvé la voie. Je suis monté dans quelques 8a, 8a+ – j’ai tout trouvé hyper dur. Je n’ai pas d’expérience dans ce niveau-là. Il faudrait que j’en aille voir plusieurs, mais rien que d’aller voir les prises est un énorme chantier. […] Sinon, j’aimerais faire un 7a à-vue ou flash, même 6c+, ce serait bien. Un grand 7a de 40 mètres, en Espagne, ce serait super !
Récemment, la chaîne Relais Vertical a eu la chance de suivre Nicolas Moineau en falaise lors de l’enchaînement d’un 7c, « La Société des Loisirs ». Une vidéo de 19 minutes qui permet de découvrir l’énorme logistique derrière une réalisation de cette ampleur.
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Article publié le 13 septembre 2022, mis à jour le 18 octobre 2023.
Photo d'en-tête : EpicTV Relais Vertical