C’est l’homme de tous les superlatifs : le 21 mai 2019, kami Rita Sherpa parvenait pour la 24efois au sommet du Mont Everest (8848 m). Un record mondial qu’il doublait alors d’un deuxième exploit en devenant ce jour-là le premier alpiniste à l’avoir gravi deux fois en une semaine. Mais le Sherpa ne compte pas s’arrêter là et s’apprête à tenter cette année sa 25e ascension. Ce serait alors son 36e sommet de 8 000 m.
Son premier Everest, Kami Rita Sherpa l’a atteint en 1994. Depuis, il n’a cessé d’arpenter le toit du monde avec une régularité déconcertante : 24 fois à ce jour, s’imposant ainsi au fil des ans comme le recordman incontesté du nombre d’ascensions de l’Everest. Et, à chaque nouveau record, la question lui était posée. Jusqu’où Kami Rita allait-il pousser son défi ? En avril 2019, à la veille de l’ouverture de la saison, il répondait ainsi à EFE, l’agence de presse espagnole, qu’il pourrait » encore escalader l’Everest pour la 25e fois – ou peut-être plus que ça. Je suis en bonne santé. Je peux y aller jusqu’à 60 ans. Avec l’oxygène, c’est pas grave, on est nés dans l’Himalaya. » Sans oublier de rappeler que « si la déesse Chomolungma m’aide, alors mon corps va bien. ».
Cette 25e fois, il l’avait prévue pour fêter ses 50 ans, en 2020. Le Covid-19, qui a conduit à l’annulation des expéditions, n’aura fait que repousser à ce printemps sa nouvelle tentative de record. On ne peut que souhaiter bonne chance à Kami Rita Sherpa, 51 ans, l’un des grimpeurs de haute altitude les plus accomplis de tous les temps. Immensément respecté au Népal et dans la communauté des alpinistes, il est également une voix puissante pour les Sherpas dont il défend ardemment la cause.
Portrait de karmi Rita Sherpa : « mon inspiration a toujours été mon père »
En mai 2019, à l’occasion de sa 24e ascension de l’Everest, nous avions dressé un portrait de cet alpiniste hors pair, que nous republions aujourd’hui dans son intégralité.
« L’Everest, je l’ai gravi pour mon père »
Kami Rita est originaire du village de Thame dans le district de Solukhumbu, près du Mont Everest. Il est membre de la tribu des Sherpas, pour la plupart des éleveurs et des commerçants de yacks vivant dans les profondeurs de l’Himalaya. Quand en 1950, le Népal ouvre ses frontières, leur endurance et leur connaissance de la montagne en font rapidement des guides et des porteurs recherchés assurant le quotidien de très nombreuses familles, leur revenu pouvant atteindre 5000 euros par saison.
Le père de Kami Rita sera parmi les premiers à être engagé sur les expéditions jusqu’à ce que de graves engelures le conduisent à s’interrompre. « Mon inspiration a toujours été mon père », a déclaré Kami Rita au quotidien Kathmandu Post. « C’est lui qui me fait avancer et qui me pousse toujours à faire de grandes choses. Comme il n’avait jamais escaladé l’Everest, je voulais le faire pour lui. » Sur les traces du père, on trouve aussi le frère aîné de Kami, Lakpa Rita Sherpa qui gravit, lui, 17 fois l’Everest. Il entre dans l’histoire en devenant le premier Népalais à gravir les « Sept Sommets », les plus hautes montagnes de tous les continents.
“Je ne savais pas qu’on pouvait faire des records »
« J’ai toujours été concentré à 100% sur mon travail », a déclaré Kami Rita à la BBC en 2018. « Je n’ai jamais pensé à faire des records. En fait, je ne savais pas qu’on pouvait en faire. Si je l’avais su, j’aurais fait beaucoup plus de sommets plus tôt. »
Reste que depuis sa première ascension, en 1994, le sherpa compte un fabuleux palmarès à son actif. Outre les 24 sommets de l’Everest – dont 23 par la voie normale népalaise et une seule par la tibétaine- Rita peut se prévaloir d’avoir gravi le K-2, le Cho-Oyu, le Manaslu et le Lhotse. Soit 35 ascensions de plus de 8.000 mètres.
« Un jour peut-être, je ne rentrerai pas vivant «
« Je connais très bien l’Everest pour l’avoir gravi 22 fois », déclarait Kami Rita en 2018 à l’AFP. « Je sais qu’un jour peut-être, je ne rentrerai pas vivant. Mais je suis comme un soldat qui laisse sa femme, ses enfants et sa famille pour se battre pour la fierté du pays. »
Pourtant, les tragédies de ces dernières années font que Kami Rita n’encourage pas ses enfants à suivre son exemple. Le Népalais était en effet au camp de base de l’Everest en 2015 lorsqu’une avalanche s’est abattue sur la région, tuant 19 personnes. Après le drame, il a subi d’intenses pressions familiales pour quitter complètement l’alpinisme. Mais il n’a pas renoncé à l’appel de l’Everest.
« Ce n’est qu’une autre corvée quotidienne »
« Aujourd’hui, la technologie et les services de prévisions météorologique ont rendu l’escalade de l’Everest bien plus facile », confiait Kami Rita sur Instagram. « Ceux qui y meurent de nos jours sont ceux qui n’écoutent pas leurs guides sherpas. Sinon, si vous avez suffisamment de détermination et d’engagement, vous pouvez y arriver ! ».
Reste qu’aucune montagne n’est facile, devait-il également déclarer à la presse indienne en 2018. « Chaque saison, chaque jour, ça change. Tout dépend de la météo. Donc aucune montagne n’est facile, c’est très difficile. Parfois le temps est mauvais, parfois il y a de fortes chutes de neige et parfois des avalanches. »
« Les clients, les Sherpas, une énorme responsabilité »
Simple porteur à ses débuts, Kami Rita a longtemps travaillé en tant que guide professionnel pour Alpine Accents International, une agence de guides de Seattle, puis pour Seven Summits Treks, une des entreprises népalaises opérant sur l’Everest.
« La charge est lourde », expliquait-il l’année dernière à la presse indienne. « Il y a tellement de responsabilités. Il faut s’occuper des clients, des Sherpas, de l’équipe, de l’approvisionnement en oxygène et de tout le reste. C’est très difficile. On doit s’occuper des clients dans toutes les situations. »
« Les Sherpas, eux, souffrent »
Fort de sa notoriété, kami Rita s’est fait le porte-parole d’autres guides sherpas qui, selon lui, n’obtiennent pas la reconnaissance qu’ils méritent. Il rappelle volontiers à la presse que pour que les grimpeurs étrangers atteignent le sommet pour prendre leurs photos, il faut des mois de travail acharné de la part des Sherpas. Ce sont eux qui s’occupent de l’installation des camps, du transport des charges sur le dos, de la cuisine et du transport des bouteilles d’oxygène. Et surtout, ce sont les Sherpas qui, chaque année, fixent des cordes et des échelles sur les crevasses et les cascades de glace, permettant ainsi à des centaines de personnes de les suivre. « Pendant que les Sherpas sont en train de réparer les cordes, les étrangers donnent des interviews en racontant que l’Everest est plus facile ou parlent de leur courage mais ils oublient les contributions des Sherpas », déclarait ainsi l’année dernière le Népalais à la BBC. « Ce n’est pas aussi facile qu’on le dit. Nous souffrons. »
« On devrait réduire le nombre de permis délivrés »
Officiellement commencée le 14 mai, la saison d’escalade de l’Everest 2019 devrait voir près de 1 000 personnes, dont 378 grimpeurs payants, tenter le sommet. Une affluence croissante qui dès 2018 faisait réagir Kami Rita. « Les sherpas de nouvelle génération et tous les nouveaux clients devraient avant tout faire un entrainement intensif et surtout progressif. Il faut d’abord tenter un 5000 m. Puis un 5500 m, un 6000 m, un 6500 m, un 6500 m et un 7000 m avant d’envisager escalader le Mont Everest ou toute autre montagne de cette altitude. Sinon, on risque beaucoup d’accidents et de blessures. » Et d’ajouter que les autorités devraient « réduire le nombre de permis délivrés. »
« Je demande pardon à la déesse Chomolungma »
Kami Rita a gardé son humilité envers Chomolungma (nom népalais de l’Everest), la déesse mère de la Terre. « Des mois avant de commencer une ascension, je commence à prier Chomolungma et à lui demander pardon parce que je dois mettre mes pieds sur son corps. Juste avant les dernières étapes du sommet, d’autres courent pour prendre des photos, mais je m’incline à nouveau et lui demande pardon. Quelle que soit votre force, votre préparation, vous devez être béni de Dieu pour atteindre le sommet. » Kami Rita a reçu cette bénédiction 24 fois.
Béni des dieux, le Népalais entend partager sa bonne fortune. Alors que son frère Lakpa Rita Sherpa a émigré aux Etats-Unis, il réaffirme son désir de rester sur sa terre natale. Domicilié à Katmandou, il n’a pas oublié Thame, son village natal, qui ne compte aucun centre médical digne de ce nom. Mais plus pour longtemps, la fondation Kami Rita devrait bientôt voir le jour.
A voir également, des images d’archives de la préparation de la 22e ascension de l’Everest par Kami Rita Sherpa (Novembre 2018)
Portrait publié le 16 mai 1919, mis à jour le 18 mars 2021
Photo d'en-tête : Seven Summit Treks