Après quatre mois en mer, le système miraculeux pour nettoyer les océans imaginé par un jeune Néerlandais a dû rentrer au port pour réparation, sans avoir ramené le moindre déchet plastique.
A l’automne dernier, une longue chose de 600 mètres de long, composée de tuyaux flottants formant une sorte de fer à cheval et d’une “jupe” de trois mètres de profondeur, était déployée en mer depuis San Francisco. Il s’agissait de la première étape d’un projet ambitieux, celui de nettoyer la plus grande poubelle flottante au monde : le vortex de déchets du Pacifique nord, parfois surnommé le “septième continent’.
Cette zone, située entre la Californie et Hawaï, a vu s’accumuler au cours des années plus d’1,8 milliard de morceaux de plastique, l’équivalent de 87 000 tonnes. Et l’engin étrange baptisé “System 001” ou “Wilson”, était censé ramasser une partie de ces déchets. L’ONG néerlandaise à l’origine de cette initiative espérait même, à terme, pouvoir déployer 59 dispositifs similaires, assurant être capable de collecter la moitié des ordures de cette zone au cours des cinq prochaines années.
Sauf qu’après moins de quatre mois en mer, System 001 est rentré les mains vides… et en pièces détachées. L’engin a donc été remorqué vers Hawaï pour être examiné et réparé. Boyan Slat, l’inventeur surdoué du dispositif – il a créé son ONG en 2013, âgé alors de 18 ans – a annoncé que son bébé souffrait d’un “dysfonctionnement structurel”. Cet automne déjà, plusieurs articles évoquaient les difficultés de System 001 à retenir une grande partie des déchets collectés. Fin décembre, une portion de 18 mètres située à l’extrémité de l’engin avait carrément rompu, tandis que Boyan Slat affirmait sur son blog que son équipe avait pu ramasser près de 2 000 kilos de plastique sous la forme de déchets et de vieux filets de pêche. Pour lui, ces revers n’étaient que des “problèmes de démarrage” et il se disait “convaincu que Ocean Cleanup serait pleinement opérationnel en 2019”.
Un gaspillage d’efforts et d’énergie ?
Selon certains, les défauts de conception du dispositif étaient entièrement prévisibles. “Je suis déçue que cela n’ait pas marché, mais je ne suis pas surprise”, témoigne ainsi l’océanographe Miriam Goldstein du Center for American Progress, un think-tank américain. La scientifique, auteure d’une thèse sur le vortex de déchets du Pacifique nord au milieu des années 2000, s’est montrée d’emblée très critique, tout comme une autre océanographe, Kim Martini. Les deux femmes ont fait part de leurs doutes dès 2013, quand l’ONG a rendu public son projet initial, puis en 2014 après la publication de l’étude de faisabilité. Pour les deux océanographes, le prototype n’était pas suffisamment bien pensé pour résister en haute mer.
“Critiquer n’est ni réjouissant ni gratifiant sur le plan professionnel”, écrivaient-elles alors sur le blog Deep Sea News. “Cependant, nous pensons que les scientifiques ont le devoir d’informer le grand public sur des sujets qui le concernent”. Pour elles, le dispositif serait incapable de ramasser le plastique dans l’océan et elles prévoyaient qu’il ne pourrait pas faire face à des conditions difficiles en mer sans se casser.
Boyan Slat leur avait répondu, contestant certains des calculs avancés et mettant en avant le fait que les deux femmes étaient océanographes mais pas ingénieures. “Etre critiqué par ses pairs fait partie d’un processus constructif. Mais je ne pense pas que Ocean Cleanup était prêt à recevoir de critiques”, explique aujourd’hui Miriam Goldstein, ajoutant que depuis 2014 l’ONG n’a publié qu’un “nombre très limité d’informations à destination du grand public”.
D’autres scientifiques ont également fait part de leurs craintes concernant la solidité du système et sa capacité à ramasser de grosses quantités de plastique. Ils ont également exprimé leurs réserves quant à une potentielle mise en danger de la faune marine et ont soulevé la question du stockage du plastique, une fois recueilli. Pour la plupart des chercheurs spécialisés dans le domaine, le nettoyage des plages “à l’ancienne” semble beaucoup plus rentable que la mise au point d’un dispositif expérimental. “De l’avis de la plus grande partie de la communauté scientifique, nettoyer en haute mer plutôt que près des côtes est un gaspillage en termes d’efforts et d’énergie”, selon un océanographe cité dans la revue Science.
“C’est l’histoire sexy du moment”
L’équipe d’Ocean Cleanup affirme quant à elle avoir effectué suffisamment d’essais sur son prototype et assure que le système est capable de ramasser le plastique et de “résister aux vagues d’une tempête qui n’arrive qu’une fois par siècle”. Quant au nettoyage des plages, Boyan Slat estime que l’un n’empêche sûrement pas l’autre.
Le projet que tente de vendre Ocean Cleanup a tout pour faire rêver grâce à son apparente simplicité : il s’agit d’aller en mer et de ramasser tous les déchets plastiques qui s’y trouvent. De quoi a-t-on besoin pour cela ? D’une bonne dose d’optimisme, d’un système d’ingénierie astucieux, et d’environ 300 millions d’euros. Mais selon le scientifique et activiste Marcus Eriksen, cofondateur de l’Institut 5 Gyres, une ONG engagée dans la lutte contre la pollution plastique, de telles utopies peuvent empêcher l’émergence de véritables solutions. « C’est l’histoire sexy du moment. C’est basique, facile à comprendre, notamment quand on a peu d’informations sur la pollution plastique en mer, affirme-t-il. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de fois où les gens sont venus me voir en me disant : on a une péniche, un avion, un bateau pour ramasser les ordures ! »
Marcus Eriksen, qui tente d’attirer l’attention sur le vortex de déchets du Pacifique nord depuis plus de dix ans, est persuadé que l’homme est incapable de travailler simultanément sur des solutions pratiques et éprouvées tout en tentant des expérimentations par ailleurs. Selon lui, les projets en faveur de la protection de l’environnement qui réussissent “se concentrent sur la prévention et rejettent les utopies”. Il souligne ainsi que l’assainissement de l’air dans les villes n’a pas eu lieu en aspirant le carbone qui se trouve dans l’atmosphère, mais plutôt parce que la société s’est mobilisée pour réduire la pollution atmosphérique.
“Le grand public et les décideurs politiques n’ont que peu de temps et de ressources à consacrer à cette question, explique Marcus Eriksen.Nous avons besoin de tout le monde et de toutes les forces vives pour travailler sur la prévention. Ocean Cleanup ne fait que détourner l’attention du grand public de ce problème.”
Photo d'en-tête : The Ocean Cleanup