Jeudi 11 juin, « Sea Shepherd » – l’ONG de défense des océans la plus combative au monde créée par le redoutable Capitaine Paul Watson – lançait une offre de récompense de 10 000 euros pour retrouver l’assassin de l’ours retrouvé mort mardi 9 juin. On apprenait vendredi qu’un généreux donateur venait d’ajouter 5000 euros au panier, portant le montant à 15 000 euros. De quoi délier peut-être les langues dans une région où l’omerta est de mise sur le sujet et faire avancer la cause d’une organisation qui n’en n’est pas à son coup d’essai mais qu’on est plus habitué à voir agir sur les océans qu’en montagne. Rien d’illogique pourtant, explique Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France, interviewée par Outside.
Pourquoi un appel à information contre récompense ?
« En 2019, nous avons déjà proposé une récompense de 10 000 euros après la découverte de deux phoques décapités dans le Finistère alors que l’espèce est protégée », explique Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd, et co-présidente de Rewild, organisation créée par sept associations spécialisées dans la défense, la sauvegarde, la saisie et la réhabilitation d’animaux sauvages victimes de trafics ainsi que la protection de leurs habitats naturels. Association dont Sea Shepherd est partie prenante.
« A l’époque il avait fallu attendre quinze jours pour obtenir des informations fiables. Mais elles ont permis, après vérification de la gendarmerie, d’identifier deux marins qui ont été convoqués devant la justice. Ils vont être jugés en septembre prochain.
Plus récemment, nous avons lancé un nouvel appel à témoignage avec 5000 euros à la clef, suite à l’assassinat d’un lynx dans le Juras. Ça n’a rien donné, mais le contexte était différent. On était en période de chasse.
Dans le cas présent, l’ours cristallise beaucoup de tensions, on espère donc plus d’informations, mais nous n’avons aucune piste encore, il est un peu tôt, mais nous venons de recevoir en fin de journée un message d’un sympathisant offrant 5000 euros, à ajouter aux 10 000 € initialement proposés. On ne s’y attendait pas ! D’autant qu’il s’agit de quelqu’un de la région où l’ours a été tué. Quelqu’un de directement concerné.
Lancer un appel à témoignage contre rémunération peut sembler étonnant et en 2019, c’était effectivement une première en France. Mais nous l’avons déjà fait aux États-Unis ou en Asie par exemple, pour les phoques ou les tortues. Ça n’est pas dans nos mœurs en France, mais ça a l’énorme avantage de faire parler du problème de la préservation des animaux sauvages. Et l’histoire a montré que cette récompense a motivé un témoin clef. Et précisons-le, il ne s’agit pas de délation, mais de fournir des éléments pour combattre un délit, puni par la loi et passible de 3 ans de prison et de 150 00 euros d’amende.
Une sentence qui semble toute théorique malheureusement si l’on se réfère au cas de l’ourse Cannelle. Dernière représentante d’une population d’ours des Pyrénées, abattue en novembre 2004 par un chasseur alors qu’elle protégeait son ourson, son meurtrier n’a écopé, au final, que d’une amende de 10 000 euros, allégée au demeurant par le soutien d’une cagnotte lancée par des militants anti-ours. Une peine dérisoire, choquante et inadmissible, car elle donne un sentiment d’impunité totale aux criminels », s’insurge Lamya Essemlali, qui demande à ce que la loi soit appliquée.
Que fait Sea Shepherd sur le terrain de la protection des ours ?
« L’ONG est cofondatrice de Rewild, organisation qui a racheté le Zoo de Pont-Scorff, début 2020. Notre action est dans la continuité des interventions de Sea Shepherd en mer, en faveur des dauphins ou des baleines. D’autant qu’au zoo nous avons des phoques ou des manchots.
Mais en ce qui concerne l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, c’est Rewild qui va déposer plainte.
Rewild vise au réensauvagement et à la préservation des territoires naturels. Dans un premier temps, nous comptons réintroduire des oiseaux du zoo, rapaces ou migrateurs, une fois leur musculature reconstituée et leur plumage redevenu étanche. Dans un deuxième temps, nous préparons l’acquisition de territoires naturels. Aucun projet n’est en cours en France pour le moment, mais ce n’est pas exclu. Notre attention est pour l’instant focalisée sur des rachats à l’international. Notamment en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud où nous comptons créer des sanctuaires. Sea Shepherd connait bien ces zones, notamment en Afrique où le braconnage est intense.
Avez-vous reçu des menaces suite à votre appel à témoignages ?
Non, pas de menaces, seulement des mails un peu agressifs. Mais il faut dire qu’on est un peu rodés chez Sea Shepherd. Donc on ne se sent pas particulièrement secoués.
Dans quelle mesure Paul Watson est-il associé à cette action en faveur de l’ours ?
On ne s’est pas concertés sur cette action. Mais c’est une stratégie qui lui plait bien. Dernièrement, on a évoqué la possibilité de faire un appel à témoignage avec récompense suite au braconnage des tortues à Mayotte, et ça lui disait bien. Rappelons que tout jeune, Paul, élevé dans le Nouveau-Brunswick, pistait les trappeurs pour détruire leurs pièges …
Sea Shepherd s’est illustré par des actions très musclées en mer. Si la justice n’était pas rendue dans le cas de l’assassinat de l’ours, seriez-vous prêts à aller plus loin ?
Si la justice n’est pas rendue, cela va forcément renforcer le sentiment d’impunité et pousser à la récidive. Nous serons donc très attentifs à l’évolution de la situation. Rewild pourrait poursuivre son action. Il y a des opérations de sabotage anti chasse qui peuvent se faire, mais là, c’est différent. Il s’agit de protéger des animaux dont l’État a la responsabilité d’ailleurs. On pourrait donc envisager un travail de vigie sur le terrain par exemple. Mais on n’exclut rien.
Déjà l’annonce de notre offre de récompense a sensibilisé l’opinion publique et augmenté la pression sur l’État qui doit assumer ses responsabilités dans une région où la mafia anti ours fait régner la terreur. Les tensions y sont tangibles, dans un climat d’impunité totale. Notre message est clair : les responsables doivent être confondus et assumer leurs actes.
Il faut que la France, très mauvaise élève au demeurant dans les zones maritimes, la France qui se pose volontiers en donneuse de leçons, se montre à la hauteur de ses responsabilités sur les territoires dont elle est responsable. Or, au niveau terrestre, on ne voit que dérogation sur dérogation, pour le tir aux loups par exemple. La France semble incapable de faire une place au monde sauvage. Or c’est un enjeu fondamental. Car sans monde sauvage, pas d’avenir. La France, qui aime bien ce genre de manifestation, devrait en faire une priorité nationale. Car il n’est pas trop tard pour agir.
Article publié le 12 juin, mis à jour le 13 juin 11h00
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