Alerte au dopage technologique ? Les racing flats munis d’une plaque de fibre carbone suscitent régulièrement la controverse, tout en soulevant l’intérêt des coureurs. Outside a décidé de tester trois modèles, histoire de saisir un peu mieux la problématique.
En 2017, Nike lançait la Vaporfly 4 %, une chaussure conçue pour améliorer de façon notable l’économie de course et aider les marathoniens les plus rapides à repousser les limites de la performance humaine. (À 250 euros la paire, la marque testait aussi les limites de ce qu’un être rationnel est prêt à débourser pour des baskets de grande distribution.) Se démarquant des chaussures de course classiques, la Vaporfly était généreusement rembourrée avec une mousse ultralégère brevetée, baptisée ZoomX, afin de garder le poids des chaussures en dessous des 190 grammes.
Mais la mousse n’était pas tout. La semelle intermédiaire de la Vaporfly comprenait également une plaque en fibre de carbone profilée comme une spatule incurvée et censée, d’après la marque, améliorer l’impulsion du coureur à chaque foulée – ou en donner une impression convaincante. « J’ai l’impression de courir en descente » aurait déclaré Galen Rupp, marathonien sponsorisé par Nike, la première fois qu’il l’a essayée.
Depuis le lancement de cette Vaporfly, mise à jour deux fois depuis, le débat n’en finit plus de savoir si l’on doit, ou pas, autoriser son utilisation lors des compétitions – notamment la semelle intermédiaire en carbone. Dans les forums internet on crie aux semelles « à ressort » et au « dopage technique ». Les résultats des études indiquent que le responsable du boost d’énergie serait plus la mousse que la plaque en carbone. Ce flou vient du fait qu’on ne sait pas encore avec certitude quels sont les effets de la fameuse plaque. Nike s’est fendu récemment d’une petite étude pour aider à faire la lumière sur la question, sans pour autant apporter de réponse définitive. Donc on ne sait toujours pas.
Pour l’instant, la plaque de carbone reste autorisée. En ce qui me concerne, si Eliud Kipchoge peut établir un record du monde de l’IAAF (Association internationale des fédérations d’athlétisme) dans des chaussures à semelles magiques, nous autres simples coureurs ne devrions pas nous encombrer de scrupules… Sans compter que les Vaporfly 4 % ne sont pas les seules chaussures sur le marché à en être dotées. Nike a équipé un autre de ses modèles et Hoka One One a sorti sa propre version. Outside a décidé de comparer trois modèles avec plaque carbone pour voir si ce raffut était justifié.
Les chaussures en lice :
Nike ZoomX Vaporfly Next%
Hauteur talon : 32 millimètres
Hauteur de l’avant-pied : 24 millimètres
Drop : 8 mm
Poids : 180 gr
Prix : 275 €
Dernier super-bolide sorti des usines Nike, avec 15% de mousse ZoomX en plus que son prédécesseur la Vaporfly 4 %, la Next % a été conçue pour les courses entre 5 km et le marathon. Ceux qui ont aimé la Vaporfly 4 % mais déploraient qu’elle ne tienne pas la route par temps de pluie seront heureux d’apprendre que Nike a amélioré la semelle extérieure en ajoutant des rainures profondes, similaires à celles qui étaient autrefois l’apanage de la Vaporfly Elite – produite en série limitée.
Hoka One One Carbon X
Hauteur talon : 32 millimètres
Hauteur avant-pied : 27 millimètres
Drop : 5 millimètres
Poids : 246 grammes
Prix : 180 €
Pour sa chaussure la plus rapide à ce jour, Hoka a aussi développé une nouvelle mousse légère appelée ProFly X. La marque, qui avait une longueur d’avance sur ses concurrents question rembourrage, a associé cette mousse ProFly à une plaque en carbone pour renforcer le rocker — le cambre inversé — prononcé qui a fait sa réputation. Alors que la plaque de carbone de Nike ressemble à une spatule de cuisine, celle d’Hoka est plate et fourchue, ce qui d’après les concepteurs sert à éviter la supination et vous aide à mieux décoller le gros orteil.
Nike Zoom Fly 3
Hauteur talon : 32 millimètres
Hauteur avant-pied : 22 millimètres
Drop : 10 millimètres
Poids : 280 grammes
Prix : 160€
La Zoom Fly 3 de Nike ressemble sur bien des points à la Next %. À l’instar de sa sœur plus clinquante dans la famille Zoom 2019, la Zoom Fly 3 allie une tige légère avec empeigne translucide avec une semelle intermédiaire au bel amorti. (Même plaque en carbone pour les deux modèles). Contrairement à la Next %, cependant, la Zoom Fly 3 est fabriquée avec la mousse Nike’s React au lieu de la ZoomX, ce qui alourdit la chaussure mais la rend beaucoup plus durable. Elle est également équipée d’un chausson intérieur et d’un col bas pour un maintien ajusté pendant la course.
Les tests :
La dernière fois que j’ai fait un test comparatif de chaussures, j’ai enfilé chaque modèle pour deux courses faciles et une session plus rapide. Étant donné que les trois paires testées sont conçues pour courir vite, j’ai décidé de mettre l’accent sur la vitesse. Toutes les trois ont aussi un « stack » (hauteur de talon) considérable, et je voulais voir comment elles se comporteraient dans les virages, notamment les plus serrés.
12 km au calme
12 kilomètres, c’est ma distance standard. Comme souvent les lacunes des chaussures ne se remarquent qu’après une heure de course, je voulais m’assurer de tester chaque modèle sur un parcours vallonné à petit rythme, car j’allais courir moins sur l’avant du pied que je le ferais à une cadence plus soutenue. Au cours du test, mon allure était d’environ 3 minutes/km.
Vainqueur : la Carbone X
Ce n’est peut-être pas l’avis général, mais sur les courses à basse intensité, je préfère une chaussure qui sache se faire oublier. La semelle extérieure plus ferme de la Zoom Fly 3 m’a donné l’impression de courir sur une paire géante de gomme, tandis que la Next % est probablement la chaussure de course la plus « molle » que j’ai jamais portée. Un de mes amis soutient que, sans la plaque de carbone, courir avec les Vaporfly4 % reviendrait à courir sur des guimauves.
La Carbon X est plus rigide sous le pied que la Next % avec un drop – l’écart de hauteur entre le talon et la pointe — relativement faible, mais elle procure tout de même un amortissement exceptionnel qui fait qu’on n’a jamais l’impression de marteler la chaussée. C’était pour moi le modèle avec le plus grand confort sur le parcours à vitesse pépère. On peut attribuer ça au fait que c’est une distance et un rythme que je maîtrise assez pour que ma foulée ne devienne une catastrophe au niveau du talon, inévitable lorsqu’on attaque la dernière partie d’un marathon.
800 mètres à fond
Quel meilleur endroit pour évaluer le comportement d’une chaussure dans des virages vite pris qu’une piste standard de 400 mètres ? Afin d’avoir une idée de ce que chaque modèle avait à offrir à un rythme que – dans ma jeunesse lointaine – j’aurais pu tenir sur 5 km, je suis allé sur la piste municipale et j’ai tapé quelques 800 à une allure moyenne de 19,3 km/h –
Vainqueur : Next %
Franchement, je ne m’y attendais pas. J’étais bien sûr au courant des belles performances que la version précédente tant vantée de ce modèle offrait aux marathoniens, mais j’étais persuadé que la Next % ne saurait pas être assez réactive dans les distances courtes à haute cadence. Après tout, il y a une raison si les chaussures à pointes résistent à suivre la tendance actuelle de l’amortissement maximal.
Pourtant, la Next % s’est avérée extrêmement efficace. En partie, probablement, parce que c’est la chaussure la plus légère du test. L’amorti de l’avant-pied — trois millimètres de plus que la Vaporfly — était remarquable. Je ne saurais dire si c’était la plaque de carbone ou le rembourrage supplémentaire, mais j’ai eu une sensation propulsive au moment crucial de l’impulsion donnée par les orteils. En comparaison, les deux autres concurrentes semblaient plus poussives et l’effet « ressort » sur la pointe du pied était moins perceptible.
Boucle de 3 km rythme marathon
J’ai également testé chacune de ces chaussures sur une boucle plate de 3 km à mon allure en marathon (quand tout se passe bien) : environ 17,5 km/h. NB : Aussi bien pour ce segment du test que pour celui sur piste, j’ai tenu compte du fait qu’il ne s’agissait pas d’un entraînement et me suis accordé de longs moments de récupération afin de rester concentré sur les chaussures sans me laisser distraire par le fait que je n’était pas en forme.
Vainqueur : Next %
On est d’accord, le prix frôle la perversion, mais en ce qui me concerne, la Next % est la meilleure coureuse longue distance sur le marché. Et si elle peut paraître un peu instable lorsqu’on ne fait que trottiner, elle permet au coureur d’accéder à son groove et d’y rester une fois qu’il a atteint son allure de marathon.
Si vous craquez pour ce modèle-là, je vous recommande de les casser avec quelques courses faciles et de les réserver ensuite pour les compétitions. D’après mon expérience, la semelle des Vaporfly montrait déjà des signes d’usure après la première utilisation. Sur la Next %, Nike a judicieusement ajouté une couche de caoutchouc pour atténuer ce problème, mais elles restent tout de même assez délicates.
Cela ne veut pas dire que la Next % conviendra à tout le monde. Si on a le pied large, on pourrait préférer les Carbon X, qui offrent une grande sensation de souplesse – accompagnée d’une certaine lourdeur — quand je courais juste en dessous de mon rythme de croisière. Bien que la Carbon X ne soit pas optimale pour les distances courtes, et donc avec l’accent sur les orteils, j’ai trouvé que le petit effet « fauteuil à bascule » était le plus prononcé pendant le test des deux miles, parce que j’avais constamment une pose medio-plantaire. Cela dit, si je courais une plus longue distance à cette même allure, je commencerais sans doute à plus appuyer sur le talon. Et à ce moment-là, la mousse ZoomX plus propulsive (et le ratio de compensation supérieure du Next %) devient un atout inestimable.
En conclusion
Si vous êtes un irréductible de l’attaque talon, les modèles Nike vont probablement mieux vous convenir que les Carbon X, mais si vous êtes plutôt abonné à la pose medio ou avant et que vous préférez un système d’amortissement qui se fait oublier, les Hoka seront la chaussure à votre pied.
Quant à savoir si la prolifération de plaques de fibres de carbone toujours plus performantes va révolutionner les épreuves de fond … on n’en perd pas le sommeil en attendant la réponse. La technologie semble faire son chemin : en septembre, New Balance sort aux États-Unis son modèle à plaque de carbone spécialement conçu pour la route. Mais le jury ne sait toujours pas dans quelle mesure cette plaque est efficace. À mon humble avis, la clé réside dans les mousses, plus elles sont légères et propulsives, mieux c’est.
Photo d'en-tête : Hoka One One- Thèmes :
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