Le visage de Patagonia, c’est Yvon Chouinard. La femme de l’ombre, celle qui lui a donné une formidable impulsion depuis son arrivée en 2008, c’est Rose Marcario. En 12 ans, cette fervente écologiste a quadruplé le chiffre d’affaires de la société, mais elle a fait beaucoup plus. Elle a renforcé son identité, la poussant à toujours aller plus loin dans son rôle au niveau social et environnemental. Contre toute attente, elle a annoncé son départ, hier. Raison personnelle, ou désaccord de fond ? La question reste ouverte pour l’instant. Aucun remplaçant n’étant encore en vue, c’est Doug Freeman, directeur général des opérations qui assurera la transition.
« Après douze ans passés au sein de la société, Rose Marcario se retire de son rôle de présidente et de directrice générale de Patagonia à compter du 12 juin 2020 », explique un communiqué de la marque.
Outre d’impressionnants résultats au niveau de son chiffres d’affaires, que doit Patagonia à celle qui est arrivée en 2008 comme Directrice financière ?
Une vision à long terme
Si Patagonia est aujourd’hui beaucoup plus qu’un des leaders du textile outdoor, l’équipementier le doit beaucoup à cette femme énergique capable de se projeter très loin dans le management de l’entreprise, et plus largement dans l’évolution de notre société. Ce que reconnait volontiers Patagonia, dans le communiqué annonçant son départ : « Avec son fondateur Yvon Chouinard, Rose Marcario a créé une entreprise d’aliments biologiques, Patagonia Provisions, contribuant à diriger un mouvement visant à changer la façon dont nous cultivons notre nourriture ».
Femme concrète, elle a également développé la certification biologique la plus exigeante actuellement aux États-Unis, tant au niveau des droits des travailleurs/agriculteurs, que du bien-être des animaux ou des pratiques régénératrices des sols.
Une militante active
Farouche opposante à la politique économique et industrielle de Trump, elle s’est fortement impliquée au cours des dernières années afin de protéger des millions d’hectares de terres, dont le monument national de Bears Ears, dans l’Utah, la vallée Jumbo, en Colombie-Britannique et la réserve naturelle de l’Arctique, en Alaska.
Un sens aigu de la démocratie
En 2018, Rose Marcario fonde «Time To Vote », une coalition bipartite d’entreprises engagées à développer la participation des électeurs aux élections. Ce mouvement compte aujourd’hui près de 500 entreprises. Une initiative saluée tant par les Démocrates que les Républicains.
« Sous sa direction, Patagonia a accordé plus de subventions au militantisme de base que jamais dans son histoire. En 2015, le président Obama l’a nommée « Champion du changement » pour son soutien aux familles de travailleurs », rappelle la marque.
Une grande figure de la cause LGBTQ
Classée première de la liste « Queer 50 des femmes LGBTQ les plus influentes et des innovateurs non-binaires dans le domaine des affaires et de la technologie », dressée cette année par le magazine « Fast Company », Rose Marcario ne cache pas son positionnement, mais n’en fait pas non plus un argument marketing.
« Rose a développé nos efforts de sensibilisation d’une manière que je n’aurais jamais pu imaginer », résume le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard. « Avec Rose à la barre, nous menons une révolution attendue depuis longtemps dans le domaine de l’agriculture, nous défions les revers environnementaux de l’administration Trump, nous développons un mouvement pour augmenter la participation des électeurs à nos élections et nous élevons la barre pour élaborer nos produits de la manière la plus responsable possible ».
De son côté, Kris Tompkins, ancien PDG de Patagonia et membre actuel du conseil d’administration, affirme que Rose Marcario a été « de loin » la PDG et la dirigeante la plus influente et la plus efficace de l’histoire de la société. « Et je peux le dire parce que j’en ai été le PDG pendant de nombreuses années », précise-t-elle. « Rose a porté l’éthique de l’activisme – les valeurs de la famille, du conseil d’administration, des membres de l’équipe – à un tout autre niveau » a-t-elle confié au magazine « Fast company ».
Dès lors pourquoi quitter Patagonia ?
« Nous planifions ma succession depuis la fin de l’année dernière et nous pensons que le moment est venu pour l’équipe de la prochaine génération d’intervenir pour réimaginer l’entreprise en vue d’un avenir brillant. Patagonia est entre de bonnes mains, en route vers 100 ans de succès ». a expliqué Rose Marcario, à l’annonce de son départ. La pandémie et la crise qui en découle ne serait pas étrangère à sa décision, si l’on en croit Yvon Chouinard, mais la réponse de Rose Marcorio est un peu courte pour une femme que l’on a connue plus incisive et moins langue de bois.
« Je pense que les gens censés comprennent mieux aujourd’hui que nous utilisons les ressources de plusieurs planètes, que nous ne pouvons pas continuer à consommer comme nous le faisons, que nous ne pouvons pas continuer à avoir une vision des affaires centrée sur le profit, cela va nous tuer », confiait-elle à « Fast Company » en 2017. « Cela détruira notre avenir. Nous avons donc besoin de chefs d’entreprise intelligents qui ont une nouvelle vision de l’avenir. C’est ce qui se passe dans tout le pays et dans le monde entier, et c’est passionnant ».
Trois ans plus tard, à l’heure où le monde affronte une crise économique, sociale et environnementale d’une ampleur jamais vue, celle qui se posait en défenseur d’un nouveau type de capitalisme, qui connaissait le système qu’elle s’efforçait de réformer, qui a utilisé Patagonia comme un instrument de changement en prouvant que s’engager en faveur de l’environnement pouvait aussi être bon pour les affaires, Rose Marcorio quitte Patagonia. Elle laisse un solide héritage. Et un grand vide chez Patagonia.
Photo d'en-tête : Tommaso Mei / Patagonia