Skieur de pente raide, guide de haute-montagne et spécialiste de l’ultra endurance, Paul Bonhomme s’était lancé un nouveau challenge, loin de toute tentative de record. Désireux de valoriser le potentiel des montagnes et de mettre en avant le rôle essentiel des refuges, il voulait parcourir 250 km pour 18500 m de D+ dans les Écrins, en offrant à tous la possibilité de le rejoindre au fil de son parcours. Mais après une première journée de traversée, 70km et 5400m de D+ parcourus, Paul Bonhomme a écourté sa « Farandole des Ecrins », direction les urgences. Deux jours après son retour des refuges, il nous raconte ses péripéties – et ses premières conclusions pour améliorer sa prochaine tentative.
Dimanche 29 août, Paul Bonhomme entreprenait de relier les refuges des Écrins en 5 jours – soit 250 km, pour 18500 m de D+. Mais, c’est en voyant son post sur Instagram lundi, le lendemain, que l’on a appris que ce skieur de pente raide et guide de haute-montagne avait été contraint d’interrompre son projet. « À 19h05 je suis au col, à 19h30 je suis au refuge… malade. Lundi : j’essaye de me lever à 4h du mat’, je regarde si mon corps peut encore : je suis frustré, mes jambes sont au top mais y’a ce truc dans la poitrine qui me plie en deux… je commence à gamberger : non faut que je descende là ! », a-t-il écrit. Mais que s’est-il passé ? Quelles leçons a-t-il tiré de ce premier essai ? Paul Bonhomme nous explique en détail son aventure.
Paul, que s’est-il passé exactement ?
C’était une corrélation de plusieurs éléments. Déjà, je suis parti avec un reste de rhume, je n’étais pas super en forme pour commencer… mais je me suis dit que ça allait passer, je suis parti quand même, et je me sentais plutôt bien au début. Dès le départ, je savais que ce serait une grosse journée dans le projet, qu’elle serait éprouvante physiquement. Le programme du jour, c’était 70 km de distance, 5400 m de D+ et 3000 m de D- donc un mini ultra trail. J’ai réussi à faire cette première journée dans les temps que je m’étais fixés, ce qui signifie que le projet en soit est réalisable, mais la prochaine fois, si j’ai un rhume je n’irai pas. Il faut être en parfaite santé. J’avais aussi un sac de 8 à 10 kg sur le dos, c’est autre chose que courir avec un sac de trail !
Ça a empiré le soir, quand j’ai terminé ma journée au refuge du Tourond. Dans l’après-midi, j’ai mal géré mon alimentation, j’ai pris un soda très froid après avoir fait une montée en plein soleil. Ça m’a retourné l’estomac, mais j’ai continué de marcher encore 5 heures pour arriver au refuge, la gêne n’était toujours pas passée. Arrivé au refuge, j’étais encore malade, j’avais mal à la poitrine, et ça a continué dans la nuit. Le matin, tout allait bien au niveau des jambes, mais les spasmes revenaient régulièrement dans ma poitrine, ça me pliait en deux.
Je n’arrivais pas à savoir ce qui se passait. Au début, je pensais à des douleurs intestinales, mais comme elles persistaient, j’ai eu peur. J’ai voulu descendre et me reposer, me soigner, de toute façon je ne pouvais pas continuer dans cet état. J’ai réfléchi d’abord à réduire l’étape, mais j’avais un vrai doute sur mon état de santé ; je risquais mon intégrité physique donc il a fallu que j’éclaircisse tout ça.
Mes parents sont venus me chercher en bas au parking. On s’est tous dit que le mieux était d’aller aux urgences, donc direction le CHU de Briançon. On a fait un check-up du coeur, savoir si ce n’était pas un début d’infarctus ou une « angine de poitrine ». J’avais peur que le coeur n’ait pas supporté l’effort. Ils m’ont donné des médicaments pour soulager les douleurs d’estomac, et finalement, c’est ça qui m’a fait du bien. Donc c’était un problème gastrique. Rien de grave, les médecins n’ont même pas vraiment posé de diagnostic, je me suis juste rendu compte tout seul qu’avec les anti-douleurs, je n’avais plus mal au ventre. Maintenant, je me repose, et je me satisfais des premiers souvenirs que j’ai pu me faire.
C’est toi qui a décidé d’arrêter ou quelqu’un te l’a conseillé ?
C’est moi seul. De toute façon, je n’avais pas dormi de la nuit, je n’aurai pas pu continuer dans cet état. J’en étais au point d’avoir du mal à mettre mes chaussures… Disons que la décision aurait été plus difficile à accepter s’il s’agissait d’un facteur extérieur, comme une mauvaise météo qui te pousse à arrêter, alors que tu es en pleine forme. Et puis, à part le gardien du refuge, il n’y avait personne d’autre là-haut, et je n’avais pas de moyen de communication. Ce qui m’a inquiété, c’était cette sensation de pression au niveau du thorax, ça pouvait ressembler à un problème cardiaque. Quand les douleurs arrivaient, je n’arrivais pas à avancer à l’allure que je voulais, ça m’essoufflait.
Dans ton post Instagram, tu évoques les problèmes cardiaques de ta mère. C’est ça qui t’a le plus alerté ? C’est héréditaire ?
Oui, ce sont des problèmes héréditaires, donc je ne suis pas 100% à l’abri. Je sais que cet automne, je vais faire un check-up complet cardiaque pour voir où j’en suis, d’autant que je suis plus si jeune, je vais sur mes 46 ans.
Est-ce que c’était dû à un manque de récupération après le projet des 10 faces ?
Non, je pense que c’était vraiment que c’était lié au rhume. On était partis en vacances avec les enfants, on a tous choppé la crève, et je n’ai pas géré mon repos à cause de ça. Encore le samedi, la veille de mon départ, je prenais du Doliprane, du sirop pour la gorge. Côté préparation j’étais prêt, c’était un coup de malchance.
Comment s’est passée la première étape ?
Au début, cette première journée s’est plutôt bien passée. J’étais en forme physiquement, mes jambes étaient au top. Mais je dois avouer que la brèche Holmes a été particulièrement coriace. Je n’avais pas anticipé que ce terrain serait aussi pourri. C’est une brèche très peu empruntée, il n’y a aucune indication. Elle permet de basculer de la vallée du Sélé à celle des Bans. C’est une brèche où on n’arrête pas de grimper dans de la roche pourrie, il n’y a pas de chemin, rien du tout. Il faut avoir de bonnes notions d’alpinisme, on avance sur de la glace vive, une pente à 40°. J’avais juste un bout de topo pour me guider, mais ce topo avait au moins 40 ans ! C’était de la découverte, mais ça faisait partie du projet aussi. Ça apporte une touche d’aventure, et j’adore explorer.
Malgré ces péripéties, quelle a été la plus belle surprise pour toi ?
L’idée de ce projet, c’était d’essayer de générer un élan où les gens puissent venir à ma rencontre, faire un bout de course avec moi ou m’attendre en refuge, et ça a été le cas. Sauf au premier refuge car je suis arrivé très tôt, mais aux autres refuges, on m’a attendu sur place. À Ailefroide, quelqu’un a couru un moment avec moi par exemple. Près du refuge du Pré de la Chaumette, trois jeunes étaient là pour m’attendre et discuter, prendre des photos ensemble. Le plus chouette, c’était toutes ses rencontres au fil de cette journée. Tout le soutien, l’élan des gardiens qui affichaient des messages disant qu’on m’attendait, qu’on me gardait des choses à manger, des barres de céréales. J’ai hâte de refaire ça pour y arriver et qu’on fasse une grosse fête tous ensemble après !
Comment gères-tu l’interruption du projet, d’un point de vue psychologique ?
Je n’ai jamais été déçu. C’était assez radical, j’ai eu très peur lundi que ce soit grave, j’étais tellement mal que la décision était facile à prendre. Ça ne me frustre pas tant que ça, le projet est tellement exigent que je m’attendais pas non plus à y arriver du premier coup. Mais bon, je ne pensais pas m’arrêter aussi vite non plus… Si je ne suis pas déçu, c’est parce que maintenant, je sais que c’est possible, que je pourrai le retenter.
Ça t’est déjà arrivé de renoncer à un projet en plein milieu ?
Oui plein de fois. Par exemple, c’est arrivé lors du premier projet « 4 Faces » en 2018 avec Vivian Bruchez, on avait renoncé à la dernière pente, donc on n’a pas concrétisé le projet. Ce sont des choses qui arrivent, mais je le vis plutôt bien. Au contraire, c’est réjouissant de se dire que y’a des projets trop gros parfois, et que je n’étais pas la bonne personne pour le faire, qu’il faudra attendre que quelqu’un d’autre réussisse. Je préfère l’inspiration à la réalisation. J’ai des idées et j’aime les partager, si ça peut en inspirer d’autres, même à leur niveau, ça me fait avancer, je trouve ça génial. Réussir pour réussir, c’est pas trop mon objectif.
Quelle est ta définition de la réussite ?
Pour moi, la réussite, c’est de faire vibrer les gens. Leur donner de l’inspiration, de l’énergie, un élan positif. Par exemple, sur ce projet-là, quand j’en ai parlé sur les réseaux sociaux fin juillet, j’ai eu beaucoup de retours – même de gens comme François D’Haene ou Michel Lanne – qui disaient des choses comme « projet grandiose ». Et pour moi, cette vibration, l’enthousiasme généré chez les autres, c’est ça la réussite. Personnellement, c’est comme ça que j’avance pour réaliser mes projets : en m’inspirant des autres aussi.
Qui t’a le plus inspiré ?
Beaucoup de monde ! Mais s’il fallait dresser un « Top 3 », je dirais… Patrick Berhault, car sa grande traversée des Alpes m’a vraiment mis des étoiles dans les yeux. Il y a aussi l’auteur Nicolas Bouvier, et son livre « L’usage du monde », je trouve son aventure formidable, et poétique même. Sinon, la musique me donne beaucoup d’énergie et d’inspiration aussi. Bizarrement, je n’en écoute pas du tout quand je cours ou que je suis en montagne, mais quand je suis chez moi et que j’entends certaines musiques, ça me donne immédiatement envie d’aller courir dans les alpages. En ce moment, j’aime beaucoup Sinnerman de Nina Simone – mais j’écoute la reprise de Keziah Jones – ou le chanteur et guitariste José González. Et puis, bien sûr, Bob Dylan, qui me fait voyager depuis longtemps.
Vas-tu reprendre ce projet quand tu seras totalement remis ?
Oui, mais pour réaliser ce projet, la meilleure période est fin aout, voire début septembre. Les pans de neige sont bien visibles, ça permet d’être assez serein sur les quelques passages glaciaires. Donc on ne peut pas le faire quand il y a trop de neige, comme en juin ou juillet, les ponts de neige sont moins solides. Ça sera sûrement pour l’année prochaine, à la même période. Et là, c’est surtout l’engouement des gens autour de ce projet qui me donne envie de réessayer.
Tu reprendrais de zéro, ou de là où tu t’es arrêté ?
Je reprendrais de zéro ! L’idée principale c’est la notion partage, de faire en sorte que les gens s’approprient le projet ; mais aussi de voir ce que mon corps est capable de faire. Enchainer 5 jours à cette intensité, c’est assez engagé. Je voudrais essayer de voir jusqu’où je peux me pousser, sans me mettre en danger. Je sais qu’il y aura des paramètres à mieux gérer.
Quels sont ces paramètres à changer ?
Le poids du sac est à optimiser, je voudrais essayer de descendre à 6 ou 7 kg, ce serait pas mal. 8 kg, c’est le poids du sac sans l’eau, et je prends 1,5L avec moi. Mais avec 1kg en plus sur 70km, on sent la différence. Il faudrait trouver des crampons plus légers (il faut des crampons de qualité, en aout on trouve de la glace vive donc il faut de vrais crampons en acier, pas en aluminium). Gagner du poids sur mon système d’hydratation, maintenant je sais mieux ce que je peux trouver et laisser dans les refuges, sur l’alimentation (et moins me charger de barres céréales inutiles, par exemple). Ce qu’il s’est passé aussi, c’est que je n’avais pas envie d’imposer mon projet aux refuges. Je ne les ai pas appelé pour leur demander quoique ce soit, je trouvais ça arrogant de leur dire « j’arrive, préparez moi une soupe à telle heure ». Mais vu l’engouement de leur part, je pourrais peut-être plus me le permettre, ça m’aiderait à optimiser le poids du sac. Et puis j’éviterai d’aller bivouaquer sous la pluie une semaine avant !
Des projets prévu prochainement ?
Non, cet automne je suis déjà assez chargé. Un film dont je ne peux pas encore parler va bientôt sortir, la diffusion serait pour le début de l’hiver normalement. Je suis aussi beaucoup sollicité pour mon livre « Raide vivant ». Et puis, l’automne est une période où je remets les compteurs à zéro pour mon corps. Je reprends un gros bloc d’entrainement en hiver, mais c’est un temps que je consacre au repos.
Détail des étapes annoncées par Paul avant son départ
Départ à Ailefroide le 29 août
Étape 1 : Ailefroide – refuge du Pelvoux – refuge du Sélé – refuge des Bans – refuge du Pré de la Chaumette – refuge du Tourond
Étape 2 : refuge du Tourond – refuge de Vallonpierre – refuge de Chabournéou – refuge du Pigeonnier – refuge du clôt Xavier Blanc – refuge de l’Olan – refuge des Souffles
Étape 3 : refuge des Souffles – refuge de Font Turbat – refuge de la Muzelle – refuge de L’alpe du Pin – refuge de la Lavey – refuge sur Soreiller – refuge de la Bérarde
Étape 4 : refuge de la Bérarde – refuge de la Pilatte – refuge de la Temple – refuge du Chatelleret – refuge de la Selle – refuge Évariste Chancel – refuge du Promontoire
Étape 5 : refuge du Promontoire – refuge de l’Aigle – refuge du Pavé – refuge Adèle Planchard – refuge de Chamoissiere – refuge de l’Alpe de Villard d’Arène – refuge des Écrins – refuge du Glacier Blanc – refuge du pré de Mme Carle – Ailefroide
Photo d'en-tête : Paul Bonhomme