On ne vous l’apprendra certainement pas : Paul Bonhomme a ressorti les skis du placard. Et après une année 2023 à préparer sa grande traversée des Alpes baskets aux pieds, il enchaîne depuis le début de l’hiver les ouvertures et les sorties entre copains (aka Benjamin Védrines et Nicolas Jean avec lesquels il a récemment ouvert une ligne en Ubaye)… si bien qu’on a parfois un peu de mal à suivre. Entre deux pentes raides, il a fait le point, de manière introspective, sur son année 2023 principalement marquée par sa tentative de record sur la Via Alpina (2650 km ; 150 000 D+). Et nous a dévoilé ses projets pour 2024.
C’est un esthète des montagnes. Guide, skieur de pente raide, traileur, poète… Paul Bonhomme a plusieurs casquettes, derrière lesquelles se cache une même quête. « Je pensais à un truc en courant tout à l’heure. Tout ce que je fais en montagne, c’est vraiment pour cette idée de chercher la beauté » détaille-t-il. « Et je pense que l’on peut faire avancer beaucoup de choses avec le beau. C’est toute l’ambiguïté quand on commence à être un peu connu par nos performances. Les gens regardent davantage la performance que la beauté, ou la manière donc les choses sont faites. C’est pour ça que je me dis qu’il faut que l’on arrive à faire attention à ça ».
« Il ne faut jamais oublier que l’on va d’abord chercher le beau et partager le beau » poursuit-il. « Avant de partager le dur, le difficile, ou l’exploit. La perf, c’est bien. Mais qu’est-ce que je veux dire à travers la perf ? La beauté du geste. La beauté de l’environnement, de la réalisation, de la ligne. C’est ça qui peut rassembler. C’est ce qu’il faut toujours mettre en avant. Et c’est ce qui me fait avancer. Tu vois, pour moi, la Via Alpina… Le record était intéressant. Mais la question c’est de savoir pourquoi on s’attaque à ça. Je pense qu’on le fait parce qu’on sait que ça va nous pousser vers le beau, ça va nous pousser à être efficaces, propres. À être pertinents dans nos choix. À faire un avec la montagne. C’est tout ça qu’il faut voir derrière. Il ne faut pas s’arrêter à la performance. On va d’abord chercher le beau. Et partager le beau ».
Tu empiles depuis plusieurs semaines les sorties en pente raide. Comment se passe ton début d’hiver ?
Je me suis vite dit que je n’allais pas refaire le gros projet de la traversée des Alpes cet été. Mais certainement le prochain si tout se cale bien. Alors ça me laisse une année un peu plus cool au niveau de la course à pied. De quoi reprendre la montagne comme avant. Parce que l’hiver dernier, je me suis entraîné à courir. J’ai appris à courir – et il me fallait du temps pour ça. Toutes les journées libres, je les utilisais plus pour courir que pour aller faire du ski. Cette année, c’est différent. J’ai attaqué l’hiver comme d’habitude. Et comme cette année, en plus ça tombe bien, les conditions sont quand-même meilleures, pour l’instant, que les deux années précédentes, j’ai attaqué quelques pentes à droite et à gauche.
Tu reviens notamment d’une journée en montagne avec Nicolas Jean et Benjamin Védrines. C’était comment ?
Ca faisait longtemps qu’avec Nicolas Jean, on essayait de se goupiller un truc. Je l’ai appelé samedi. J’avais repéré cette pente il y a trois/quatre ans déjà. Et puis là, j’ai eu la chance de guider en Ubaye au Nouvel An. Alors j’ai pu faire une photo de la ligne. Cette année, elle avait l’air en conditions. Donc je l’ai envoyée à Nicolas Jean. Lui était dessus aussi, il voulait y aller avec Benjamin. Ils ont été gentils, ils m’ont attendu, et on a pu y aller ensemble.
Sur place, ils ont fait la trace tout le long. Je ne sais pas s’ils m’ont beaucoup attendu. Je pense qu’ils ont été assez gentils pour ne pas me le dire. Nicolas Jean a 25 ans, Benj’, 31 ans, ils sont jeunes, vraiment à fond. […] On a eu le temps de papoter, surtout sur le ski d’approche, de faire connaissance, on a bien rigolé. On a fait une belle ligne, c’était un bon moment en montagne. C’est la même passion qui nous définit.
Fin novembre, tu écrivais sur Instagram : « Je suis en train de vivre l’une des épreuves les plus difficiles de ma vie ». Tu peux nous en dire plus ?
Ce sont des histoires familiales. Disons que j’arrive à un âge où mes parents vieillissent. Il commence donc à arriver des choses pas simples à gérer. Mais, ça va mieux. Ce n’est pas gagné, mais ça va mieux.
L’année 2023, ça a été l’année de ton grand projet Zero to Zero. Comment as-tu réussi à caler tes heures d’entraînement entre ton boulot de guide et ta vie familiale ?
La première des choses, c’était de voir si ma chérie était d’accord. Quand je lui ai parlé de ce projet à l’automne 2022, c’était le cas. Puis après, j’ai compris que je n’allais pas y arriver tout seul. Qu’il fallait que je m’entoure. J’ai alors contacté le père d’une copine de danse de ma fille. Il est coach. Il m’a entraîné, à distance, m’a fait des programmes à suivre. Ça m’a beaucoup aidé.
Et puis, j’ai quand-même moins guidé l’hiver dernier que d’habitude. Et l’été dernier, je n’ai quasiment pas guidé. Il a donc fallu réussir à mettre des sous de côté, trouver un peu de financements, avec des sponsors à droite et à gauche. Mais ça n’a pas si compliqué que ce que je pensais. […] Je suis avec des petits sponsors, qui me donnent des petits moyens, et qui sont toujours prêts à soutenir mes projets. Ça me va bien. Je bricole, je mets des sous de côté… et je casse un peu la tirelire.
Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme prévu…
Oui. Au bout du 2e jour sur la traversée des Alpes, je me suis fait une rupture du ligament. À 180 kilomètres. J’ai couru dessus pendant plus de 300 kilomètres. Jusqu’à créer une hyper inflation à l’insertion d’un tendon au genou droit. C’est ce qui m’a fait m’arrêter – pas la rupture du ligament. Mais heureusement que je me suis arrêté. Parce que je pense que ma cheville n’allait pas apprécier que je continue très longtemps encore. C’est vraiment la douleur qui m’a stoppé.
Tu as décidé d’abandonner à quel moment ?
Quand je ne pouvais même plus marcher. J’étais avec mes deux bâtons. Ma dernière descente m’a pris des plombes – c’était comme si j’étais en déambulateur. Je ne pouvais plus avancer. […] C’était de pire en pire. Donc à un moment, quand tu commences à pleurer à chaque pas de douleur, tu t’arrêtes. La décision était assez simple à prendre finalement.
Qu’as-tu ressenti ? Des regrets ? De la déception ?
C’était tellement beau, tellement chouette ce que j’étais en train de vivre… Alors la première déception, c’était de ne plus pouvoir continuer. Parce que c’était une expérience assez exceptionnelle, six jours hors du temps. Et puis j’étais déçu pour les copains qui m’accompagnaient. Ils avaient pris un mois de congés sans soldes pour être là. J’étais un peu dégoûté pour eux. Sinon, pas grand-chose d’autre. Je ne l’ai pas vécu comme un échec parce qu’en fait il n’y avait pas de questions à se poser. Ça aurait été une mauvaise préparation, je n’aurais pas été dedans… je l’aurais vécu comme un échec. Mais là, une blessure ça arrive à tout le monde. […] Il faudra que j’arrête de dire bonjour aux gens la prochaine fois que je les croise [à la suite de quoi sa cheville a vrillé, causant une rupture du ligament, ndlr].
Qu’est-ce que ce projet t’a appris ?
J’étais complètement dans le rythme de la nature, tout simplement. C’était complètement immersif comme expérience. C’est ce que j’étais venu chercher. Et ce que j’ai envie de revivre. On aurait dû prendre des journées de rab. Les copains qui m’ont accompagné n’en avaient pas. Ils avaient pris 29 jours je pense. Donc si on veut être plus cool, il faut que l’on parte sur un projet de 30/32 jours. Et si on arrive à le faire en moins, top. Il y a plein de choses comme ça qu’il va falloir réussir à caler un peu mieux, avec les copains, avec moi-même.
Après ma blessure, j’ai eu quelques semaines d’arrêt. J’ai pu reprendre le boulot fin août. Petit à petit, je suis reparti sur des petits projets pour tester mon genou, donc d’abord le début du GR5 [traversée des Alpes françaises, ndlr]. Je me suis arrêté au bout de 50 kilomètres. Un mois après, j’ai fait la traversée du Jura, je me suis arrêté au bout de 200 kilomètres. Petit à petit, je sentais que mon genou allait mieux. J’ai bien aimé ces deux expériences-là. J’y suis parti en autonomie complète. Avec un petit duvet, etc. J’ai réalisé que j’aimais beaucoup ça. C’était donc vers quoi je vais me tourner l’été prochain. Des traversées de GR, en autonomie complète. Toujours en essayant de pousser la machine. Et on verra jusqu’où je peux la pousser, comment je peux la pousser. Je vais encore apprendre plein de choses.
Et en ski, tu souhaites faire quoi ?
J’ai une liste de projets de pentes, d’ouvertures et d’explorations qui s’allonge d’années en années. Je vais voir si j’arrive à en faire quelques-unes. Peut-être aussi une grosse traversée avec les skis en autonomie complète, en prenant le train. J’aime bien cette idée de partir d’Annecy ou des gares à côté de chez moi. Prendre le train, atterrir quelque part. Et partir en montagne, tout simplement. À ski ou en basket. C’est un peu ça que j’ai envie d’explorer maintenant.
Un projet à dimension écologique finalement ? Tu te positionnes encore peu sur ce sujet.
Je me positionne peu parce que je suis comme beaucoup de gens : j’ai mes contradictions. Je ne suis pas assez écologique dans ma vie quotidienne. Alors je ne peux pas revendiquer un discours écologique. Je ne me sentirais pas honnête. Mais par contre, ce qui est sûr, c’est que j’aime promouvoir la montagne de proximité. Et ça a un caractère écologique. Vu que c’est plus proche, c’est forcément moins impactant. Ça pourrait être pris pour un discours écologique, c’est vrai. Mais j’avais déjà ça en tête avant d’avoir un souci écologique.
Je mets quand-même des choses en place. J’évite les voyages lointains parce que je me dis que ce n’est plus dans l’air du temps. C’est complètement antinomique de faire de la montagne et de partir souvent loin… Comme si l’on sciait la branche sur laquelle on était assis. Que de grands alpinistes aillent faire de l’exploration, qu’ils aillent loin pour repousser des limites, je trouve ça très beau, et très compréhensible. Mais je pense que je ne repousse pas assez les limites pour réussir à être bien avec cette approche.
Quelle est ta relation à la performance aujourd’hui ? Les 28 jours sur la Via Alpina, c’est toujours d’actualité ?
Je pense que je vais moins communiquer dessus. Les 28 jours, c’est beaucoup ce qui a été retenu. Mais ce n’était pas du tout l’objectif principal. Mon objectif, c’est de pousser la machine le plus loin possible. D’essayer d’aller au plus près de ce que je sais faire, et de ce que je peux faire avec mon corps et avec mon entraînement. C’est pour ça que je pensais pouvoir faire la Via Alpina en 28 jours. Et j’étais parti pour. J’étais dans les temps, les 3-4 premiers jours. Après, mon genou a fait des siennes. Mon objectif, ce n’est pas de battre des records, c’est d’essayer de me pousser le plus loin possible. J’ai donc l’impression de pouvoir aller chercher des records. […] Mais pour l’instant, je n’ai rien fait. Alors on verra.
Je me suis mis de la pression pour la Via Alpina. Pas pour le record. Pas du tout. Mais je me suis mis de la pression parce que je savais que je n’étais pas un coureur. Je pense que j’ai bien fait de me botter un peu les fesses. Car c’est plus simple pour moi de me dire : « Tiens, je vais faire dix ouvertures de pentes raides à ski dans l’hiver ». C’est quelque chose que je maîtrise plus facilement que de faire 2500 bornes en course à pied. Je l’ai tenté maintenant, je sais à peu près où j’en suis. Et je me mettrais un peu moins la pression la prochaine fois.
Photo d'en-tête : Paul Bonhomme