Le 26 juillet 2016, Bertrand Piccard bouclait son tour du monde à bord du Solar Impulse 2. Sept ans plus tôt, en 2009, Alain Thébault battait le record du monde de vitesse à la voile à bord de son Hydroptère. Deux odyssées racontées en images au Futuroscope de Poitiers. Outside a rencontré Francis Demange, l’oeil derrière l’objectif.
« L’oiseau solaire et l’oiseau des mers », l’exposition phare du Futuroscope qui a ouvert ces portes ce week-end pour deux ans, fait revivre en 56 photos grand format l’odyssée croisée de deux des plus formidables records établis au cours de la dernière décennie. Pour Francis Demange, le photographe qui a couvert leur aventure, c’est l’aboutissement de 12 années de travail, mais c’est surtout une rencontre humaine.
Ex-membre de l’agence de photo Gamma, Francis Demange fait partie de ces pros que l’on envoie sans hésiter sur la couverture du tsunami ou dans les coulisses des élections présidentielles, sûr qu’il reviendra avec la bonne photo.
Son secret ? Un sacré culot doublé d’un bagout intarissable, mais surtout une curiosité insatiable. Cet autodidacte s’intéresse aux gens qu’il a en face, et pas seulement en tant que sujets photographiques. Aussi, lorsqu’en 2001, Etienne Colomb, alors journaliste scientifique de Gamma, l’entraîne photographier Alain Thébault, un drôle de type qui rêve de faire voler un bateau au-dessus de l’eau grâce à un foil, il est immédiatement captivé par les explications techniques du génial inventeur français qui a grandi dans l’ombre de Tabarly, son père spirituel. « Ce jour là, je me suis dit, ce gars là est incroyable, il faut le suivre », se souvient le photographe.
Passer la barre des 50 noeuds
Il faudra 7 ans à Alain Thébault pour atteindre son objectif. En 2009, à bord de son Hydroptère, un trimaran à voiles équipé de foils, le navigateur atteint la vitesse de 50,17 nœuds, soit 92,91 km/h. Un record du monde de vitesse à la voile qui ne sera dépassé qu’en 2012 par l’Australien Paul Larsen et son Sail Rocket 2. Francis Demange aura suivi tout le périple du Français et shooté des milliers de photos.
Trois ans après sa première collaboration avec Alain Thébault, en 2004, le photographe fait une autre rencontre : le Suisse Bertrand Piccard. Cette fois, c’est Alexie Valois, également journaliste à Gamma, qui attire son attention sur le fils et petit fils des deux « savanturiers » de génie, l’océanographe Jacques Piccard et le physicien Auguste Piccard,
12 ans à suivre le Solar Impulse
A l’époque, Bertrand Piccard, psychiatre et champion d’Europe de voltige en deltaplane s’est déjà imposé dans le monde de l’aventure en accomplissant le premier tour du monde en ballon sans escale, en 1999. Il entend désormais développer un avion solaire, le Solar Impulse, en collaboration avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et le pilote André Borschberg.
« Bertrand Piccard devait dévoiler à la presse la première maquette du Solar Impulse », se souvient Francis Demange. « Gamma avait négocié une exclu et l’inventeur était censé arriver un peu en avance, le temps de me laisser faire la photo avant les autres photographes. Mais il est arrivé en retard et tous les objectifs étaient braqués sur la maquette. J’ai fait au mieux et à coup de flash, je suis parvenu à isoler le Solar Impulse de la foule, j’avais ma photo ! Dans la salle de presse, après la conférence, les commentaires allaient bon train : « il ne réussira pas, il veut faire comme son grand-père « (NDLR : Auguste Piccard, qui a réalisé la première ascension stratosphérique en 1931). J’étais sidéré : comment juger sans avoir vu ! Moi, j’étais impressionné par l’homme, touché par sa prestance et sa conviction. Je n’ai pas pu m’empêcher de le lui dire. « Vous allez réussir, vous êtes le Jules Vernes des temps modernes, je m’engage à suivre votre aventure jusqu’au bout ».
Francis Demange tiendra parole. Pendant 12 ans, il sera présent sur les étapes, heureuses ou malheureuses, de l’aventure de Bertrand Piccard. Entre-temps, le photographe aura quitté l’agence Gamma, qui a déposé son bilan, et poursuivi en indépendant sa couverture de l’odyssée du Solar Impulse.
Devant les milliers de clichés de l’avion solaire, quelle photo retiendrait-il? « Le moment du non retour. J’ai pris la photo en 2010, au-dessus du lac de Neufchâtel, l’avion était seul, isolé, comme au milieu d’un océan», se souvient-il.
Mais la plus complexe à monter a sans doute été celle du Solar Impulse et de la lune, prise depuis un hélico », poursuit-il, « J’avais fait enlever les deux portes et j’attendais d’avoir l’avion en contact avec la lune, très haute à ce moment là. L’hélico devait donc être plus bas et partir au dernier moment en arrière, en latéral, pour obtenir l’effet que je recherchais, je voulais voir les cratères de la lune et que seule la lumière de la lune éclaire l’avion. Pas simple. On l’a refaite plusieurs fois, ça tanguait pas mal. Je ne me suis rendu compte qu’à l’atterrissage que j’avais oublié de m’attacher ! »
Au plus près du voilier
Francis Demange aura eu plus de chance qu’en 2008, lors d’un essai de l’Hydroptère. Le voilier d’Alain Thebault frôle son Zodiac alors qu’il est campé à la proue, sans baudrier. Résultat : « 5 000 euros de boitier à l’eau. Ma carte mémoire morte. Des photos exclusives ! », se souvient-il.
Le navigateur lui donnera une deuxième opportunité quelques années plus tard, en 2012. « Alain préparait la traversée du Pacifique, on était du côté de la Seyne-sur-Mer, en Méditerranée, il testait le dernier modèle de l’Hydroptère. J’ai fait arrêter mon Zodiac et je lui ai demandé de passer au plus près de moi. J’ai senti toute la puissance de l’engin. On le voit arriver, on n’entend pas un bruit. C’est de la Formule 1 ! J’ai levé un œil en me disant : Alain te loupe pas, te loupe pas, à un poil près tu nous coupes en quatre ! Mais, putain qu’est-ce qu’il est bon !.
Solar Impulse, l’Hydroptère, font partie des plus belles histoires de ma vie », confie le photographe. Bertrand Piccard et Alain Thébault incarnent ce que l’homme sait faire de mieux. Ils ont tous deux réalisé leurs rêves et entrepris, avec leurs moyens, d’aller jusqu’au bout de leur aventure. Pas pour eux, mais pour les autres. A mon échelle, c’est que j’essaie de faire avec la photo.
Au Futuroscope, c’est 4 millions de personnes qui passent chaque année. 4 millions de visiteurs qui peuvent être convaincus par leur discours en faveur des énergies renouvelables et d’un monde meilleur. Cette exposition, je la devais bien à ces deux aventuriers, ainsi qu’à mes deux filles. Elles ne m’ont pas beaucoup vu au cours de leur enfance. J’espère que maintenant elles comprendront ».
Photo d'en-tête : Francis Demange