Rares sont les aventures qui aient autant de sens. Quand le franco-américain Ben Lecomte a entrepris en juin 2018 de traverser le Pacifique à la nage, il ne s’attendait pas à ce que son défi devienne beaucoup plus qu’un exploit physique et mental. Soudain littéralement immergé dans le vortex, cette immense décharge de plastique, son défi s’est transformé en mission de sensibilisation à la pollution des océans. Un combat qu’il raconte dans un livre magnifiquement illustré, entre autobiographie et essai scientifique, paru à la veille du 5 juin, journée mondiale de l’environnement.
« Pendant mon adolescence, alors que je cherchais une activité à laquelle je pouvais m’identifier, j’ai commencé à nager en eau vive », raconte Ben Lecomte, 53 ans. « Je n’ai jamais été attiré par la forme pure de ce sport, c’est-à-dire la nage sans palme ni combinaison ou tuba, pratiquée par les nageurs qui tentent la traversée de la Manche. Pour moi, il manque la dimension de la vraie aventure, faire quelque chose qui n’a jamais été fait, aller là où personne n’est jamais allé, pousser les limites de l’inconnu et mes propres limites physiques et mentales. J’ai toujours été fasciné et attiré par les exploits accomplis par Alain Bompard ou Stéphane Peyron, mais ce sont ceux de Gérard d’Aboville, ses traversées à la rame en solo des océans Atlantique et Pacifique qui m’ont vraiment inspiré. Puis un jour, alors que j’étais adolescent, l’idée d’une traversée de l’océan Atlantique à la nage est née. J’ai tout de suite ressenti le besoin de lui associer une cause ».
Contre toute attente, ce sont les malheurs de la vie et les échecs qui vont l’aider à trouver sa voie : la préservation des océans.
Un typhon bouleverse ses plans
Son père n’a que 49 ans lorsqu’il succombe à un cancer. Pour ce père, qui lui a appris à nager et à aimer la mer alors qu’il n’avait que cinq ans, Ben Lecomte entreprend alors de traverser l’Atlantique à la nage et sans planche. En 1998, à 31 ans, il devient le premier homme à y parvenir, parcourant en 73 jours les 5 980 km entre Cape Cod, aux Etats-Unis, et Quiberon. Dix ans plus tard, en 2018, c’est au Pacifique qu’il s’attaque après des années de préparation et de recherches de fonds. C’est « The Longest Swim », pas moins de 9 000 km. Mais cette fois 27 institutions scientifiques, dont la Nasa et le CNRS, l’accompagnent pour mener des recherches sur la pollution, les migrations des mammifères ou l’endurance.
Le programme est ambitieux. Il échouera au bout de 2700 kilomètres en novembre 2018, les typhons abimant le bateau suiveur. Mais Ben Lecomte est tenace et surtout il transforme ce qui peut ressembler un échec en une opportunité : réorienter sa mission. Après une halte de plusieurs mois à Hawaï où le bateau est remis en état, l’expédition reprend avec l’objectif de ne pas nager sur la totalité du parcours restant mais de se concentrer sur l’étude du Vortex du Pacifique nord. Le plus gros des deux Vortex s’étendant sur cet océan ( le monde en compte cinq), immense concentration de micro plastiques et de gros déchets – comprise entre Hawaï̈ et San Francisco. Ce sera « The Vortex Swim », lancé en juin 2019.
Huit heures de nage par jour
L’aventure d’un homme se transforme en un projet collectif. Epaulé par les volontaires qui l’accompagnent sur « I Am Ocean », un voilier de 20 mètres à coque d’acier, il entreprend, seul et à la nage, de passer au peigne fin cet immense décharge de plastiques s’étendant sur plus de six fois la surface de la France. Son but : alerter sur la pollution des océans et récolter des informations scientifiques pour documenter ce fléau moderne aux multiples facettes. Et surtout inspirer le changement et nous inviter à prendre nos responsabilités en matière d’impact écologique.
Pourquoi nager à l’ère des images satellites ? « Parce qu’il faut vraiment être sur le bateau, avancer doucement pour voir ce qu’il y a à la surface, qui ne reflète qu’une partie de la réalité », explique Ben. « Car la majeure partie, celle que l’on ne voit pas, se trouve dans la colonne d’eau. En étant dans l’eau sept à huit heures par jour, je voyais les endroits où la concentration de micro plastiques était la plus forte et cela me permettait de guider les recherches ».
Résultat, le 31 août dernier, 80 jours et 555 kilomètres de nage plus tard, Ben et son équipe arrivent à San Francisco après avoir collecté plus de 45 000 fragments de micro plastique et observé plus de 3 700 morceaux de plastique flottant à la surface. Du Japon jusqu’à la côte ouest américaine, ils ont filtré l’eau et prélevé des échantillons, mettant en évidence la présence de microfibres dans tous les relevés effectués. Jusqu’à la chair des poissons analysés qui en contient.
« Deux problèmes majeurs se posent avec le plastique », explique Ben. « Le micro plastique, et les fibres synthétiques. Or, on ignore encore tout de l’impact qu’ils ont sur la vie marine, d’autant qu’on ne connait que 1 % de la masse de plastique en mer. On ne sait pas si les autres 99 % flottent dans la colonne d’eau, stagnent au fond des mers, ou ont été ingérés par la faune marine. En revanche, ce que l’on sait, c’est que 300 millions de tonnes de plastique à usage unique sont produites chaque année, et que huit millions finissent dans les océans ». Et c’est là, précisément, que chacun d’entre nous peut intervenir, en refusant le plastique à usage unique par exemple.
Un message que le nageur entend bien faire passer via son ouvrage, à mi-chemin entre la biographie et l’essai scientifique. Superbement illustré, il se lit d’un trait, en attendant le documentaire que la masse d’images accumulées au cours de son long périple devrait lui permettre de produire prochainement.
Nageur d’alerte. L’incroyable odyssée de Ben Lecomte. Editions Glénat, Ben Lecomte, 190 pages, mai 2020, 25€.
Photo d'en-tête : Ben Lecomte