Réunir la communauté outdoor pour repenser l’aventure, c’est la nouvelle idée d’Eline Le Menestrel, grimpeuse passionnée, aux convictions écologiques bien établies. Accompagnée de quatre activistes italiennes, Alessia Lotti, Sara Segantini, Adele Zaini, Giorgia Garancini, elle s’est lancée dans le projet « United Mountains of Europe ». Au programme : un trip à travers l’Europe ayant pour destination finale le Parlement européen, avec pour fil conducteur la volonté de protéger les montagnes. Eline est revenue pour Outside sur cette initiative.
Fin juillet 2021, cinq jeunes femmes, âgées de 23 à 26 ans, embarquent pour un voyage à travers l’Europe. À chaque étape, l’idée est de montrer qu’il est possible d’allier pratique sportive outdoor et préservation de l’environnement. La destination finale ? Le Parlement européen, à Bruxelles, le 11 décembre, journée internationale de la montagne. Baptisé « United Mountain of Europe », leur projet est ambitieux : faire évoluer la loi, en écrivant les droits des montagnes, les dotant ainsi d’une personnalité juridique, c’est-à-dire la capacité d’être reconnues comme sujets de droits, une proposition philosophique, juridique, culturelle et sociétale visant à une transition écologique intégrale. Un projet qui tombait à pic pour Eline Le Menestrel. Blessée dans les Dolomites, elle ne pouvait plus grimper, ce qui lui laissait beaucoup de temps libre.
De plus en plus d’éléments naturels sont dotés de droits, notamment des fleuves en Nouvelle-Zélande, en Colombie, en Inde et même en France où depuis juillet 2021, le fleuve Tavinianu, en Corse est ainsi protégé. L’objectif ? Servir de moyen de pression sur les gouvernements afin de les encourager à prendre des mesures concrètes, protectrices de l’environnement, mais aussi pouvoir saisir la justice au nom de l’entité, en cas de dommages.
En France, la volonté de protection des montagnes remonte au XIXe siècle, avec les premières politiques de reboisement et de restauration. Des initiatives soulignées politiquement ont vu le jour dès les années 70, notamment après le discours de Valéry Giscard d’Estaing, à Vallouise, dans les Hautes-Alpes, le 23 août 1977. Depuis, le milieu de la montagne est régi par un droit particulier, recherchant un équilibre subtil entre développement économique et protection des milieux naturels tout en prenant en compte de nouveaux enjeux – intensification des activités de loisirs, abandon des stations de basse altitude en raison du changement climatique.
D’un point de vue juridique, c’est quoi “une montagne” ?
Pas si évident que cela – en réalité, le droit n’offre pas de définition claire. Selon l’article 3 de la loi Montagne, « les zones de montagne se caractérisent par des handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l’exercice de certaines activités économiques » classifiées selon l’altitude, le climat et l’existence de fortes pentes. Une notion est également à prendre en compte, celle de massifs, un espace plus vaste, englobant également les piémonts ou plaines. En France, on en dénombre 6 – Alpes, Corse, Pyrénées, Massif Central, Jura, Vosges.
Pour protéger les montagnes, de nombreuses lois existent déjà, notamment l’interdiction de la circulation des véhicules à moteur en dehors des voies classées dans le domaine public routier, la dépose de skieurs par hélicoptère – même si certaines dérogations sont possibles. Depuis 2016, avec la loi Montagne II, les projets d’aménagement ou d’équipement doivent prendre en compte la vulnérabilité de l’espace montagnard au changement climatique, en plus des communautés d’intérêt des collectivités territoriales concernées.
D’après l’encyclopédie de l’environnement, parrainée par l’Académie des sciences, « la localisation, la conception et la réalisation d’une unité touristique nouvelle doivent respecter la qualité des sites et les grands équilibres naturels. Le juge administratif exerce un contrôle poussé pour vérifier la bonne application de ces principes. Il a par exemple annulé des arrêtés préfectoraux approuvant des projets de création ou d’extension de stations de ski, comme à Vaujany ou à Ampus (atteinte irréversible aux paysages, à la flore et la faune, exposition aux risques naturels, etc ».
Ecrire les droits des montagnes, on l’aura compris, est un projet ambitieux. « En creusant, on a compris que c’était un sujet très compliqué. On n’est pas juristes, ni spécialistes. De plus, on ne voulait pas seulement avoir une belle déclaration – on voulait qu’il y ait des répercussions dans la réalité de la gouvernance » nous a détaillé Eline lors de l’interview qu’elle nous accordée.
« C’est maintenant qu’il faut redéfinir l’aventure ! »
D’où est né le projet « United Mountains of Europe » ?
« Quatre italiennes – Alessia Lotti, Sara Segantini, Adele Zaini, Giorgia Garancini – hyper engagées en faveur de l’environnement, ont eu l’idée de monter une aventure mettant en relation différents pays d’Europe. Quand elles m’ont parlé du projet, j’ai trouvé ça génial. Du coup, j’ai décidé de les rejoindre. Inspirées par les droits des fleuves, on s’est demandé si l’on ne pouvait pas écrire une déclaration du droit des montagnes d’Europe. En parallèle, on a fait un autre constat : beaucoup d’initiatives environnementales se créent mais elles sont un peu isolées, comme des étoiles dans le ciel. On s’est dit qu’il allait nous falloir un projet qui regroupe le tout, comme une constellation, pour créer un réseau. D’où le “united” : on voulait relier les initiatives déjà existantes, ne pas repartir de zéro même si on apporte une dimension nouvelle – la notion de déclaration du droit des montagnes.
Pourquoi c’était important pour toi ?
On est dans une situation d’urgence face à la crise environnementale, ça me donne envie d’agir. Je cherche des moyens de faire ma part. C’est pourquoi j’ai sauté sur l’occasion. Comme j’étais blessée, je cherchais d’autres projets, j’avais plus de temps que d’habitude. Beaucoup de personnes ont trouvé ça super. Pourtant, on nous a suggéré de faire ça l’année prochaine, pour avoir plus de temps d’organisation et plus de budget – les marques avaient déjà bouclé leurs partenariats. Les gens de la génération de nos parents avaient envie que l’on fasse les choses plus lentement, avec plus de soin. Mais pour nous, l’urgence était là. C’est maintenant qu’il faut redéfinir l’aventure, étant donné le Covid et les divers confinements. Ça a été un investissement énorme, on a beaucoup appris.
Votre destination finale était le Parlement européen à Bruxelles. Qu’avez-vous fait là-bas ?
Au départ, on voulait finir seulement nous cinq à Bruxelles. Mais, au fil de notre voyage, on a vraiment ressenti le besoin de réunir les différents acteurs en présentiel. On voulait que les gens se rencontrent, qu’on ait des discussions ensemble. On voulait rassembler la richesse des points de vue. Il nous tenait à cœur de faire l’événement le 11 décembre, journée internationale de la montagne. L’idée principale était d’écrire une déclaration de droits des montagnes, de la proposer au parlement européen. En creusant le sujet, on a compris que les droits de la nature était un sujet très compliqué. On n’est pas juristes, ni spécialistes. De plus, on ne voulait pas seulement avoir une belle déclaration – on voulait qu’il y ait des répercussions dans la réalité de la gouvernance.
Le 11 décembre, on avait prévu deux parties, respectivement nommées « introvertie » et « extrovertie ». Le matin a donc eu lieu la partie « introvertie », où on réunissait des acteurs faisant déjà partie de la communauté outdoor. On était 25, dans une école. Il y avait des membres de la commission européenne, des membres du club alpin belge, de la FFME ou du club alpin italien, des athlètes (Sean Villanueva, Siebe Vanhee), des pratiquants, des activistes, des gens qui travaillent pour des marques outdoor – le responsable marketing montagne de Salewa notamment). On a passé toute la matinée à réfléchir à deux sujets, préparés à l’avance : redéfinir notre relation à la nature en posant la question « est-ce qu’une déclaration des montagnes serait utile pour ça, est-ce que c’est la première chose à faire ? » et repenser l’aventure, notamment en évoquant le transport, la performance et le changement culturel. Les discussions ont été très riches, les membres de la communauté ont vraiment apporté une qualité de réflexion.
L’après-midi, c’était la partie extravertie. Nous sommes allés dans le parc du Cinquantenaire, tout près de la Commission Européenne, un endroit symbolique parce que des grimpeurs belges allaient y faire des traversées avant qu’il y ait des salles d’escalade. Au début, on voulait grimper sur un monument mais on n’a pas eu l’autorisation. L’idée, c’était d’ouvrir le débat vers l’extérieur. On pense qu’on peut vraiment extrapoler à plein de niveaux de notre vie ce qu’on apprend en montagne. La dimension artistique était importante pour nous, notamment la musique. Ça fait un certain temps qu’on a des données sur le changement climatique, pourtant, nos actions ont très peu changé, peut-être parce qu’on s’est un peu trop adressés à la partie rationnelle de l’humain. C’est un courant qui se développe de plus en plus, utiliser l’art pour s’adresser à notre partie émotionnelle ; l’idée que l’envie de s’engager parte d’une émotion plutôt que d’un raisonnement cartésien. C’est pour ça qu’on a ancré le projet dans notre amour de la montagne. On voulait exprimer ça, que les gens soient émus et qu’en réaction, ils aient envie de changer quelque chose.
Quelles conclusions avez-vous tirées de cette journée ? Avez-vous reçu une réponse de la part du Parlement européen ?
On a eu les autorisations de la ville de Bruxelles le vendredi, pour un événement débutant le samedi. Difficile de faire mieux en situation de Covid… La paperasse, c’était absolument abominable. Sinon, je suis très contente. Je dirais que c’était une très belle porte d’entrée, un bon début. On n’est pas les premières à avoir essayé de réunir différents acteurs et différentes initiatives du monde outdoor. Là, ça a vraiment marché. Même si on n’était pas beaucoup, les gens présents étaient très impliqués et très honnêtes. On avait invité les parlementaires mais ils ne sont pas venus – seuls des membres de la commission se sont déplacés. D’ailleurs, on a transmis nos demandes à un membre de la commission, très investi dans la préservation des montagnes. À l’avenir, on va travailler avec lui pour trouver des moyens de faire arriver ces demandes au Parlement ».
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Photo d'en-tête : Alexandre / Adobe Stock