Pour les grimpeurs pro Caroline Ciavaldini et James Pearson, la « voie du loir », dénichée dans la grotte de La Salamandre, dans le Gard, à deux pas chez eux, ne devait être qu’un défi insolite mais sans impact médiatique majeur. Il aura suffi d’un post sur Instagram montrant cette première, pour que des spéléologues américains crient au scandale et que les réseaux s’enflamment contre ces irrespectueux de Frenchies. Pourtant une simple explication aurait pu apaiser les esprits.
La semaine dernière, Caroline Ciavaldini, quatre fois championne de France d’escalade, postait sur internet une vidéo de quelques minutes shootée dans la grotte de La Salamandre, un site ouvert au public, très populaire auprès des touristes visitant le Gard. Avec son compagnon, James Pearson, « un maître du Trad « sur coinceurs et grande voie, on les voyait grimper une voie, « la voie du loir », au plus profond de ce superbe site. Des images accompagnées du texte suivant.
Au cœur de la Garrigue, à seulement 26 km de chez nous, cela semblait presque trop beau pour être vrai, et lorsque @philb_photo nous a envoyé des images de l’intérieur de La Grotte de la Salamandre, nous savions que nous devions aller y jeter un coup d’œil ! La Grotte de la Salamandre est une « grotte témoin », ouverte au public, ce qui signifie que n’importe qui peut se présenter et payer pour faire une visite guidée de ce qui doit certainement être l’une des grottes les plus impressionnantes du Sud de la France. Ce qui rendait la grotte encore plus tentante pour nous, c’est qu’il y a un véritable Aven, une cheminée naturelle menant à un petit trou dans le toit que nous espérions pouvoir escalader et quitter.
Grâce à Pierre Bévengut, le directeur de la grotte, et à une équipe ouverte et disponible, nous avons rapidement obtenu l’autorisation de tenter la première voie d’escalade dans cette gigantesque grotte de 90 m de profondeur, en suivant l’évidente « voie du loir » depuis le sol jusqu’à la surface.
Chaque année, ces petits rongeurs descendent sous terre, en suivant toujours exactement le même itinéraire, le long de délicats tufas jusqu’au sol de la grotte. Il semblait évident de suivre leur exemple en partant de la base. Dans un souci de respect de l’environnement, nous avons décidé de faire de notre mieux pour gravir la voie avec du matériel classique, sans aucun boulon, afin de ne laisser aucune trace de notre passage, si ce n’est notre craie.
Le film tourne un peu sur internet, fait l’objet de quelques rares parutions dans la presse spécialisée en France, suscite bien une ou deux questions sur les conditions de cette escalade et sur son éventuel impact sur le site mais on a affaire ici à des pros, des pointures du milieu de l’escalade, plutôt connus pour leur engagement en matière de protection de l’environnement – en témoigne notamment leur dernière expédition VTT/escalade low carbone, relatée dans nos colonnes. L’affaire se serait arrêtée là si les Américains ne s’y étaient pas intéressés. Et les internautes de s’insurger contre ces grimpeurs osant mettre en péril des sites naturels. Au point de conduire The North Face, sponsor des deux athlètes, à mettre en place une cellule de crise pour répondre aux critiques et à se fendre d’un communiqué.
Pour en savoir plus, nous avons contacté Pierre Bévengut, spéléologue depuis cinquante ans, détenteur d’un brevet d’état en spéléologie, et directeur de la grotte de La Salamandre.
« Le projet de Caroline et James est né pendant le confinement. Avec la nouvelle règle limitant les déplacements à 30km, ils se demandaient ce qu’ils pourraient faire autour de chez eux. Or ils habitent à 25 km de la grotte de La Salamandre. L’idée est partie de là. Et quand ils m’ont expliqué qu’ils grimpaient en trad (sans dégrader le site, ni salit, ni piton, ndlr), pour moi c’était un point positif. La paroi qu’ils ont escaladée, la paroi sud, n’est absolument pas concrétionnée, c’est celle qu’ils ont faite. C’est celle aussi qui s’imposait et qui ne présente pas de problème particulier d’un point de vue technique pour un grimpeur, ni de points sensibles ou fragiles d’un point de vue environnemental. Mais le problème, c’est que ce n’est pas très esthétique pour faire des photos. Le photographe a donc fait poser James près des draperies. Et toute la polémique est partie de là ! Certains ont cru qu’il les avait escaladées. Or poser près de draperies, les spéléologues le font tout le temps. C’est photogénique, forcément, mais en aucun cas, cela ne veut dire que le spéléologue a marché dessus !« Sans compter qu’en spéléo, si on réfléchit bien, on fait aussi souvent de l’escalade, et … on monte en artif, même si la pratique a beaucoup évolué, et que maintenant on met des goujons qu’on peut retirer. »
Est-il étonné par cette polémique ? « Non, car je connais le milieu des spéléologues. Et c’est vrai que sans explication, si moi aussi je voyais la photo d’un grimpeur sur une draperie, j’en aurais des frissons. Mais je peux témoigner que Caroline et James ont grimpé tout le puit et qu’ils n’ont pas fait tomber un morceau de calcite. Là où ils sont passés, c’est de la calcite massive, et ça ne risque rien. Un spéléologue américain m’a contacté, il criait au scandale, sur la seule base d’une photo. Franchement si on avait su qu’elle allait susciter autant de commentaires, on l’aurait évitée.
D’autant qu’à La Salamandre, nous avons vraiment envie de sensibiliser le public à la spéléologie et à l’univers des grottes. Je fais un peu d’escalade, de rando, du parapente, mais la spéléo, c’est ma passion. Un milieu que j’aimerais démystifier. Descendre sous terre, c’est une phobie pour beaucoup de gens qui n’y voient qu’un milieu froid et étroit. Ça remonte à la culture judéo chrétienne : l’enfer sous terre ! Mais on oublie que pour les hommes des cavernes, les grottes, la vie souterraine, c’était tout sauf ça. Plutôt un habitat, une protection. Aujourd’hui, j’aimerais en faire découvrir toute la beauté, susciter chez les novices un autre regard.
C’est précisément ce que nous avons cherché en créant sur le site une descente en rappel de 50 m, ouverte au public. Elle se fait via l’entrée naturelle du puit que nous avons pu équiper de cinq cordes. Quatre personnes accompagnées d’un guide peuvent ainsi découvrir ce milieu naturel comme nous, les spéléologues, le faisons tout le temps. C’est assez impressionnant. Le puit n’est pas éclairé. On plonge donc dans un trou noir. Et sur les vingt premiers mètres, on est dans un puit de 5 à 6 mètres de diamètre avant de déboucher sur salle principale. A ce stade, on a le choc du vertige, tant la salle est immense. C’est super beau. Et ce qui est magnifique, c’est que cette expérience, qui ne dure que dix grosses minutes, est accessible à tous.
Dès l’ouverture de la grotte au public, en 2013, nous avons développé ce type d’approche, complémentaire des visites classiques. Dans le même esprit, nous proposons une autre expérience « les coulisses », qu’on effectue en moulinette et bien sûr, en dehors des concrétions. Ça donne une idée, parfaitement sécurisée, de ce qu’on peut ressentir en spéléo. Cet univers, je le connais depuis 50 ans, toujours en spéléo d’exploration, et ce qui est magique, c’est qu’on ne sait jamais qu’on va voir. On est constamment face à l’inconnu.
A ce stade, on réfléchit à développer encore l’expérience en créant une via ferrata, ou plutôt une via corda permettant de remonter le puit. C’est plutôt simple à aménager pour nous, car on n’aurait pas à purger la paroi, mais on y réfléchit à deux fois. L’idée, ce n’est pas de voir des bus débarquer, ce serait limité à quatre personnes, mais pas élitiste. Là, pas de dévers, la paroi est un peu inclinée, donc il n’y aurait pas de difficulté particulière. Mais j’hésite, car il faut arriver à trouver un équilibre entre montrer une grotte, un milieu naturel fragile, et y créer des activités. Le risque, c’est de tomber dans le Luna parc. C’est sûr que de nos jours, les gens veulent avoir les sensations et la facilité technique … Donc, il faut trouver le bon équilibre. Et ce n’est pas facile. »
Photo d'en-tête : Phil Bence- Thèmes :
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