En mai dernier, le guide chamoniard, spécialiste du ski de pente raide, descendait la Blanche de Peuterey, sommet reculé de la partie italienne du massif du Mont-Blanc, réalisé pour la première fois en 1977 par Anselme Baud et Patrick Vallençant. Ça situe le niveau. Quelques semaines plus tôt, le même, chez lui, en plein confinement, montait des tutos avec les moyens du bord pour nous initier aux techniques du ski de pente raide. Un athlète aussi impressionnant qu’accessible, c’est exactement le genre de pro qu’on a envie de consulter à l’heure de préparer une saison … qu’on brûle de voir démarrer.
La prépa physique : mise sur la régularité
« Faire du volume, dans la régularité, pour emmagasiner une bonne condition physique, c’est important. Il faut être capable de faire des sorties longues, sans forcément viser une forte intensité dans la préparation. Pendant le confinement, j’ai acheté un vélo d’intérieur, je l’ai installé dans mon garage, et je m’y suis mis. Avec, pour me motiver, mon ordi et des films inspirants pour préparer mes futurs projets. Par exemple, le documentaire sur l’expédition d’Andrzej Bargiel sur le K2, où on le voit utiliser un drone pour sauver deux vies. Son univers, c’est le mien, la haute montagne. Avec un aspect moderne, l’usage du drone. J’autoproduis mes images, et là, ça m’a vraiment parlé. Mais on peut aussi choisir des films dans d’autres disciplines, comme le surf par exemple.
De manière plus générale, l’important c’est d’être dans l’activité au quotidien, d’être dehors autant que possible et de bien transpirer de temps en temps pour se sentir vivant. Sans oublier de prendre du repos. Avant, je ne le faisais jamais, mais j’ai compris que cela faisait aussi partie de ma préparation.
La nutrition, l’alimentation : teste, essaye
S’hydrater correctement, c’est la base. J’ai été athlète de haut niveau en ski alpin : « Les gars faut s’hydrater ! » nous disait-on. Mais, franchement, on ne le faisait pas vraiment. Or, tu es vite rattrapé par les blessures. C’est dommage car tu peux les éviter avec des choses toutes simples. Mais, pour moi, comme beaucoup de gens sans doute, le déclencheur du changement, c’est la mécanique : « effet/ erreur ». Il faut que je comprenne par moi-même. Cet été, pendant ma saison de guide, j’ai décidé de prendre deux litres d’eau au lieu d’un seul par sortie. Et j’ai vu la différence, au niveau de la gestion de l’effort comme de la récupération.
Sur le plan de l’alimentation, les deux mois de confinement à la maison ont renforcé mon intérêt pour l’environnement. Forcément, ça se traduit au niveau de ton hygiène personnelle. Je sens que si je donne de bonnes choses à mon corps, il m’amènera plus loin. Mais chaque personne est différente. Il faut savoir prendre du recul par rapport à sa pratique, bien définir ses attentes et ses objectifs. Et puis ne pas hésiter à essayer, se tromper, essayer encore, tester, avant de trouver ce qui te convient. Et en fin de journée, tu fais ton briefing. « Aujourd’hui, c’était très bien, ceci ou cela a fonctionné. Ou pas ». Par expérience, je sais que quand on est dans l’action on peut fonctionner avec des œillères, continuer sur ses habitudes. Mais il faut se forcer à ouvrir son regard et tester en commençant par des choses toutes simples. Varier des barres sucrées avec des protéinées par exemple
Les sorties en montagne : reste curieux
Je suis formateur. Aux moniteurs de skis, je dis : « Observez, vous allez beaucoup apprendre ». Quand je suis en montagne, au sommet de l’Aiguille du midi par exemple, je prends beaucoup de photos. Je suis très visuel. J’observe tout ce qu’on peut voir. Quelles sont les conditions actuelles de la neige ? Quels sont les indices révélateurs au niveau du vent, des nuages ? Il faut observer la montagne, elle est en constante évolution. Chaque montée y est différente, c’est ça qui est incroyable. Chacun de mes projets se nourrit de ces observations.
Il faut aussi regarder ce que font les autres. Pas pour les copier, mais pour s’en inspirer. C’est fréquent que la simple observation de photos ou de vidéos de copains ou de connaissances m’inspirent. Je ne suis plus dans la compétition, mais le milieu de la montagne est très exigeant, on s’y observe beaucoup. Il peut devenir malsain d’entrer en concurrence avec tes pairs. En revanche, s’en inspirer est utile. C’est une attitude que tu peux d’ailleurs transposer dans ta vie de tous les jours.
L’impact des réseaux sociaux : relativise et surtout « vas voir ! »
Il faut être très prudent avec les réseaux sociaux. Forcément quand tu vois des gars dévaler une face en début de saison, tu as envie de faire pareil. Mais on oublie beaucoup de parler et de montrer les « trucs pas bons ». Ces images te donnent l’ambiance générale du massif, mais il faut les mettre en perspective et les utiliser comme des outils, une source d’informations. La décision finale de faire telle ou telle course n’appartient qu’à toi. Tu dois absolument te rendre sur place, sur le terrain, et aller voir par toi-même ce qu’il en est avant de t’engager. En aucun cas les réseaux sociaux ne doivent influencer ta décision finale.
Monter ses projets : pense à un plan A, un plan B et un plan C
A titre personnel, ce qui m’intéresse, c’est de trouver des lignes jamais faites, sur des sommets iconiques qui me font rêver. Je suis toujours dans cette recherche. Je travaille dessus très en amont, avec toujours un plan A, un plan B et un plan C ! Plus tu anticipes, mieux tu es préparé, plus tu vas loin.
Communiquer : demande toi ce que tu veux transmettre
De nos jours, tu peux vite t’enfermer dans la com. Et à force de vouloir communiquer, tu peux en arriver à prendre plus de risques sur le terrain. Donc concrètement, il faut avoir une vraie prise de conscience et te demander tout simplement : « Qu’est-ce que je veux raconter aux gens ? » On est là pour raconter la vraie vie, partager ses sentiments, offrir des moments de contemplation.
Il ne faut pas se focaliser sur les moyens techniques, aujourd’hui, on peut faire quasiment tout avec un iPhone, une GoPro et un drone. Je me suis rendu compte à un moment que mon sac de matériel de prise de vue était plus lourd que mon sac de montagne. Alors j’ai opté pour un mini drone, super léger, largement suffisant. On peut raconter de belles histoires avec pas grand-chose.
Je suis aussi très sensible au travail de l’écriture accompagnant le post d’une photo ou d’une vidéo. J’y accorde de plus en plus d’attention ; je vais y apporter mon côté guide, et rappeler les mesures de sécurité par exemple. Une jolie descente du mont-Blanc, c’est de belles photos, mais il ne faut pas se cacher que ça peut aussi être des conditions difficiles. A ce stade, l’idée n’est pas d’être moralisateur et de dire « je l’ai fait, c’est top, mais n’y allez pas, c’est dangereux ». Mais d’expliquer pourquoi on y est allé, comment, et de faire de la pédagogie un peu plus subtile pour faire passer un message de prévention. Car au final, la montagne, c’est et ça restera prendre des décisions et se sentir responsable. Or le gros problème, c’est quand les gens s’engagent mais ne savent pas où ils vont.
Le matériel : identifie tes besoins
Tout dépend de tes objectifs. Quand je suis parti avec Kilian, sur le Denali, l’Everest, ou l’Aconcagua, on a misé sur du matériel très léger. Et dans ma collaboration avec les marques, notamment Scarpa, j’ai clairement orienté mes partenaires sur des chaussures très légères, avec carbone, qui s’imposaient pour la montée. Je reviens aujourd’hui vers un segment intermédiaire, le all mountain avec lequel je peux tout faire. Le kit avec lequel je fais tout l’hiver. La F1 de Scarpa par exemple est parfaite en montée comme en descente, étanche, et relativement chaude, avec une bonne transmission dans la languette. C’est un peu une « chaussure 4×4 ».
En ski, je varie entre un 90 et un 99 sous le pied, alors qu’autrefois j’étais plutôt sur du 80. L’idée est d’avoir plus de confort sur toutes les neiges et plus de support sous le pied en cas de sac lourd.
Au niveau des vêtements, des membranes, du Gore-Tex. Une silhouette 50 % ski d’inspiration snowboardeurs /50% alpi. Je recherche un maximum de polyvalence dans mon équipement pour tout faire avec ce que j’ai. Avec un kit, je fais tout : c’est génial !
Quand je ne suis pas sur les skis, en alpi, j’utilise la nouvelle version de la Ribelle Tech 2.0, cette chaussure est une petite révolution. Ultra-légère, confortable, technique et surtout très polyvalente ; marche d’approche, grimpe sur rocher ou avec crampons sur glacier ou dans les pentes, pas besoin de changer de chaussure.
Le matériel : ce qui a vraiment tout changé
Le poids … mais j’en suis revenu ! Bien sûr, quand tu es plus léger, tu peux devenir plus performant, sans pour autant être meilleur au niveau physique. Tu peux presque t’endormir avec ça, car du coup, tu ne te mets pas dans le dur. Le matériel peut te permettre d’être un peu moins bien entrainé. Mais par contre, il n’y a pas de miracle, même si le matériel a beaucoup évolué, c’est toi qui restes le pilote.
Le matériel : les points non négociables, pour moi
Dans l’entretien de mes skis, s’il y a un point sur lequel je ne transige pas, c’est l’affutage de mes carres. Je ne peux pas me le permettre. Et c’est moi qui m’en charge !
J’ai aussi un autre rituel, au niveau des chaussures. Dans l’action, même si je suis pressé, je nettoie, toujours, toujours, les inserts avant et arrière. Pour m’assurer de la parfaite connexion entre la chaussure et le ski. J’ai une fixation très légère, qui te demande beaucoup d’exigence. Tu ne peux pas te permettre de ne pas être rigoureux. J’aime les marques avec une approche familiale comme Scarpa. Quand je vais les voir, en Italie, on se connait depuis longtemps, c’est la famille.
Se nourrir l’esprit : mes sources d’inspiration
Oh, plein de gens ! Sébastien Montaz-Rosset ou Kilian bien sûr. Avant d’être des athlètes, ce sont des artistes. Je peux te citer également Jean-Marc Boivin et Pierre Tardivel qui ont écrit l’histoire de la discipline ; Candide Thovex, qui me fait rêver. Sans parler des alpinistes, ou de … Daft Punk. Ils sont hallucinants. Leur univers m’inspire. On peut puiser dans tout l’univers artistique, et même chez humoristes en cherchant du côté de gens comme Florence Foresti. C’est dire.
Au final, tout cela te nourrit et te permet de travailler sur toi, de prendre du recul, et de te poser beaucoup de questions. En ce qui me concerne, ce travail de réflexion, je le fais naturellement, en allant faire un tour dehors pour marcher, observer les animaux, chez moi, à Vallorcine. Quand tu portes un projet, si tu crois en toi, tu peux trouver les moyens d’y arriver, de créer ton chemin.
A lire aussi : la Scarpa F1 parmi « Les meilleures chaussures de ski de rando et de freerando 2021 » . Découvrez également les tutos de Vivian Bruchez pour la pente raide. Et pour en savoir plus sur la Ribelle Tech 2.0, c’est ici.
Photo d'en-tête : Mathis Dumas