Quoi de commun entre un rover arpentant la planète Mars, un marathonien et une veste de montagne conçue par Columbia ? L’aluminium, qui sous la forme d’un revêtement, d’une couverture de survie ou de pastilles minuscules, permet d’isoler du froid et de la chaleur… ou de les conserver. Des propriétés thermo réfléchissantes supérieures auxquelles la marque américaine spécialiste de l’outdoor est parvenue à ajouter une autre performance non moins précieuse, la respirabilité : le graal pour le fabricant de vestes et autres équipements outdoor. Voilà qui aurait sans doute emballé Gert Boyle, poigne de fer et figure mythique de la marque, qui aimait rappeler qu’il n’y avait pas de mauvais temps, mais que des gens mal équipés !
En novembre 2019, la famille Columbia perdait « One Tough mother », aka Gertrude (Gert) Boyle, la matriarche qui avait fait de la marque américaine un des leaders du marché de l’outdoor. Elle avait 95 ans. Grande gueule et bourreau de travail, celle qu’on surnommait « Ma Boyle », n’hésitait pas à se mettre en scène dans des spots hilarants, elle et son fils, Tim Boyle, PDG de la marque, pour vanter les mérites de ses produits. « Se coucher tôt, se lever tôt, travailler comme une damnée et faire de la pub !». Gert Boyle, Présidente de la marque américaine Columbia avait le sens de la formule. Et elle savait plus encore les appliquer. A 92 ans, la Présidente se rendait encore tous les jours au siège de Columbia, dans l’Oregon. Et si son fils, Tim, assurait le rôle de PDG depuis 2013, le boss, c’était elle, à l’heure de valider un nouveau produit ou une campagne de pub. Un domaine dans lequel elle aura laissé une empreinte indélébile qui bouleversera l’image de la marque », écrivions-nous à l’annonce de son décès.
Une innovation qui n’étonnera guère les fans de « Ma Boyle »
Deux ans plus tard, l’ombre de Gert plane encore sur Portland, au siège de la marque. Là, tous se souviennent que dans les années 80, Ma Boyle n’hésitait à se mettre en scène, elle, ses employés, et surtout son fils, Tim, testant leurs créations dans des conditions naturelles extrêmes : vent, neige, froid, pluie. Implacable, toujours plus exigeante, elle n’épargnait rien aux produits ni aux testeurs. Et surtout pas au malheureux Tim, un homme charmant aux airs de Woody Allen. Ton décalé, dérision, humour, les montages sont hilarants et terriblement efficaces. Et toujours d’actualité si l’on en juge par les spots que la marque diffuse pour présenter la dernière innovation sortie de ses labos de recherche, Omni-Heat Infinity, extension de sa technologie Omni-Heat Reflective brevetée par la société il y a dix ans.
Une petite révolution qui n’étonne guère ceux qui ont suivi la saga de Ma Boyle. En 1970, celle qui n’était pas encore la dame de fer perd son mari, il n’a que 47 ans. Elle se retrouve à la tête de Columbia et d’une famille de trois enfants. Elle ne connaît rien au business. Mais, secondée par son fils Tim, elle prend l’affaire en main et fait « toutes les conneries possibles «, avoue-t-elle volontiers. Résultat : Columbia est voué à la faillite en 1971. Vendre la boite ? Elle n’y pense pas; on lui en offrait 1400 US$. « Tant qu’à la bousiller, autant le faire moi-même! », explique-t-elle. Et Gert est inspirée. Au milieu des années 70, Columbia introduit du Gore-Tex dans ses vestes. L’affaire décolle. En 1986, sort son produit iconique, la veste « 3 en 1 », la fameuse Bugaboo qui devient un énorme succès et fait même son entrée au musée Smithsonian, aux États-Unis. La marque s’impose alors dans tous les réseaux de distribution américains. Pour sa créativité, son style, et son goût pour les innovations patiemment mitonnées dans ses laboratoires de Portland, mais aussi ses formules qui font mouche.
Le casse-tête : comment éviter de transpirer comme un fou ?
Dernière en date, « Gold beats cold » – slogan choc que n’aurait certainement pas renié Gert Boyle – dont on peut difficilement traduire la force de la rime. Disons, pour simplifier, « L’or, plus fort que le froid ». Pour mieux la comprendre, un coup d’œil sur les derniers produits de Columbia est plus parlant que tous les discours, et c’est bien l’une des forces de cette innovation majeure : l’utilisateur peut, très concrètement, la visualiser. L’intérieur de ses vestes de montagnes, mais aussi de ses chaussures de marche, est tapissé de minuscules pastilles d’aluminium chargées d’exploiter la chaleur radiante fournie par l’utilisateur. Une vraie rupture dans l’histoire de l’industrie du sportswear. Car depuis des millénaires, le principe restait le même : des peaux de bêtes des hommes des cavernes aux doudounes modernes – tous les vêtements protecteurs contre le froid visaient à emprisonner l’air chaud et à le maintenir près du corps. Et ce, jusqu’à il y a une dizaine d’années. À cette époque, une petite équipe de chercheurs de Columbia a commencé à développer un nouveau type de technologie de rétention de la chaleur, basée sur un concept que la NASA utilisait depuis 1964.
Dans l’espace, il n’y a pas d’air et on ne peut donc pas l’utiliser pour retenir la chaleur. Le centre de recherche spatial américain a donc mis au point des films recouverts de métal pour réfléchir l’énergie thermique. « La plupart des consommateurs connaissent les couvertures spatiales de la NASA et les couvertures thermiques d’urgence, popularisées par les marathoniens qui, dès la fin des années 70, s’en enveloppaient à leur arrivée pour éviter l’hypothermie », explique en effet le Dr Haskell Beckham, Directeur du centre de recherches de Columbia. « Mais personne n’avait pensé à en mettre à l’intérieur des vestes », poursuit-il. « Car le problème avec l’insertion d’une feuille d’aluminium dans une veste de montagne, c’est que, même si la couche est suffisamment fine pour rester souple et confortable, elle n’est pas respirante, si bien que vous finiriez par cuire et à transpirer comme un fou. C’était donc notre plus grand défi ». La solution était simple, mais il fallait y penser. « Il suffisait d’appliquer la feuille d’aluminium sur le tissu sous la forme de petits points. Les points eux-mêmes reflètent la chaleur et les espaces entre les points ont les mêmes propriétés que le tissu normal, ce qui lui permet de respirer. Nous avons juste trouvé comment appliquer la même technologie sans compromettre la respirabilité du textile », résume le chercheur.
Dix ans de recherches pour parvenir à la version optimale
Une technologie développée par étape, la marque procédant pas à pas, afin de voir comment, très concrètement, jusqu’où elle pouvait aller. Dans un premier temps, il y a dix ans, elle lance ainsi « Omni-Heat Reflective », en version argent, couleur originelle de l’aluminium. Sa gamme compte alors environ 30 % d’aluminium métallique sur la surface du tissu. Une étape cruciale. Mais on peut aller plus loin encore quand on sait que la relation entre la réflexion de la chaleur et la couverture de la surface est assez linéaire – plus de métal sur le tissu équivaut à plus de chaleur réfléchie. De quoi donner des idées, mais aussi faire sérieusement réfléchir. Car si la surface est trop métallique, la respirabilité, et donc le confort, s’en trouvent affectés. « Nous savions que nous pouvions augmenter la surface couverte par le métal, mais la question était de savoir de combien avant que le tissu ne soit plus respirant », précise Haskell Beckham. Il faudra des années de recherches – et deux autres étapes, Omni-Heat 3D et Omni-Heat Black Dot – au chercheur et à son équipe pour étudier les variables et déterminer le taux de transfert de vapeur d’eau (MVTR) en fonction de la couverture de la surface, avant de constater qu’il n’y avait pas de baisse de la respirabilité à condition de se limiter à 65 % de couverture du textile. Les produits conçus avec la technologie Omni-Heat Infinity présentent donc un motif de points plus ou moins grands avec une couverture d’aluminium de 50 à 60 %. Soit deux fois plus que l’Omni-Heat Reflective, la technologie initiale qui avait déjà convaincu nombre d’adeptes de l’outdoor, séduits par ces produits offrant chaleur, respirabilité et légèreté.
Restait à différencier les deux innovations, aujourd’hui complémentaires. D’où l’idée d’introduire un pigment coloré dans la couche protectrice transparente recouvrant les pastilles d’aluminium chargée d’éviter tout risque d’abrasion d’oxydation, gage de sa durabilité. Ce sera la version dorée, commercialisée cette année. Un « gold » très accrocheur qui devrait satisfaire plus d’une fashion victim. Mais surtout un concept facile à visualiser et à comprendre pour le consommateur et que la marque associe à ses autres technologies les plus pointues (notamment « Omni-Heat synthetic insulation », « Down insulation » ou « Heat Seal » ) et décline aujourd’hui sur différents matériaux de base et quantité de pièces dans sa collection hiver 2022. Principalement des vestes, mais aussi des bonnets, des gants et des bottes qu’on retrouve aujourd’hui aux pieds des amateurs d’outdoor, le temps d’un week-end en moyenne montagne, ou d’un explorateur chevronné évoluant dans des conditions extrêmes. Mike Horn, ne s’y est d’ailleurs pas trompé. En juin dernier, il rejoignait la team Columbia, pas le genre pourtant à prendre des risques inconsidérés sans s’assurer qu’il met toutes les chances de son côté.