Qui l’aurait cru? 18 salles ont ouvert depuis le début de la crise sanitaire. Mais elles sont aujourd’hui en danger. Les autres redoutent un fort ralentissement de la croissance d’un sport pourtant en pleine expansion ces dernières années. Tandis qu’on attend aujourd’hui de nouvelles annonces sur la date de réouverture des sites et le soutien financier au secteur, le point sur la situation de l’escalade indoor avec Ghislain Brillet, président de l’Union des salles d’escalade, et François Petit, président du groupe de salles Climb Up et champion du monde d’escalade en 1997.
Sur les 170 salles d’escalade de France, 18 nouvelles ont réussi a ouvrir leurs portes – pour certaines, à peine quelques jours depuis le 1er déconfinement. Un signe que ce secteur est porteur, selon Ghislain Brillet, président de l’Union des salles d’escalade ; mais qu’il est largement fragilisé par la crise. « Une situation qui pourrait fortement freiner la pratique en France, alors qu’elle connaissait un développement énorme ces dernières années », redoute pour sa part François Petit – président de Climp Up, l’un des plus gros réseaux de salles d’escalade, et lui-même champion du monde en 1997.
Nous avons interrogé ces deux acteurs majeurs de l’escalade en France, pour comprendre la situation actuelle dans laquelle se trouvent les salles : « sous perfusion ». Ces deux mots résonnent amèrement dans la bouche des gérants, qui guettent les prochaines annonces du gouvernement. Attendues aujourd’hui, elles sont sensées prendre en charge à 90% leurs charges fixes. En attendant, état des lieux d’un secteur incroyablement prometteur il y a un an encore.
Quelles sont les salles les plus en difficulté ?
Ghislain Brillet : « 18 salles ont été inaugurées depuis le début de la crise sanitaire. C’est pour elles qu’on s’inquiète le plus, leur situation est catastrophique. Elles sont neuves, et n’ont pas encore pu complètement ouvrir leurs portes au grand public. Il y en a deux à Paris, une immense place d’Italie et une dans le quartier des Batignolles, mais aussi d’autres au Mans, à Arcachon, à Angoulême, à Toulouse… elles ont ouvert, mais sans accueillir de public – ou seulement ceux qui ont un certificat médical. Et leur problème, c’est qu’elles sont en dehors de tout dispositif d’aide, puisque pour en bénéficier, il faut avoir une année de référence, prouver son chiffre d’affaire sur l’année passée. Elles n’ont pas le droit aux prêts non plus. Les patrons de ces salles sont complètement démunis, la plupart n’ont pas le droit au chômage. C’est très délicat, car les loyers et les emprunts à rembourser sont quand même là.
Les gérants de ces salles-là n’ont pas de solution. Qu’ils se tournent vers Matignon, Bercy, les chambres de commerce, l’inspection générale… C’est quand même dingue, ni les mairies, ni les régions, ni les ministres, n’ont d’autre réponse que d’aller voir ailleurs. Ils nous ont dit, mot pour mot, que « ces 18 salles sont le trou dans la raquette ».
Quelles sont les salles qui s’en sortent le mieux ?
Ghislain Brillet : « Les petites salles. Avec de petits loyers et de petits chiffres d’affaires, peu de personnels, elle sont un peu plus solides face à la crise ; c’est plus difficile pour les grandes salles. Ensuite, les salles anciennes s’en sortent mieux. Une salle qui a entre 15 et 25 ans, c’est comme une chaudière qui ronronne ; ils ont des réserves dans la trésorerie, les prix des baux des locations ont été négociés il y a 20 ans. Donc, ce ne sont pas les mêmes loyers qu’aujourd’hui. Pour donner une idée, en ce qui concerne ma salle, on est sur un loyer de 6000€ par mois, négocié il y a 25 ans, pour une surface de 1500 m2 à Strasbourg ; si je le négociais aujourd’hui on m’en demanderait 15 000€.
Ensuite il y a les emprunts. Sur une salle achetée il y a 20 ans, le prêt a été amorti depuis. Quand vous ouvrez, vous savez que l’emprunt initial est très fort – c’est celui qui permet de faire les travaux, d’installer les murs d’escalade. On se serre la ceinture pendant 6 ou 7 ans, et en général après c’est bon, on est plus tranquille, on commence à pouvoir fabriquer un peu de trésorerie. »
Quelles démarches ont été engagées par le syndicat des salles d’escalade pour soutenir le secteur ?
Ghislain Brillet : « Avec l’Union des salles d’escalade, on est allés voir les élus. Les députés nous disent « on ne peut rien faire pour vous. Et d’ailleurs nous-même on ne comprend pas, car un plan d’urgence a été voté, de l’argent a été mis sur la table, mais on ne sait pas où il est. Pourquoi l’Etat ne le débloque pas, et ne le distribue pas ? On ne sait pas ». Alors on est allés voir le conseiller sport du Premier ministre, à Matignon, qui nous a dit qu’on n’ouvrirait pas avant le mois d’avril, et qu’au lieu de nous battre pour une réouverture, on ferait mieux de se tourner vers Bercy pour avoir des aides financières. On s’est donc tournés vers Bercy, mais on s’est rendus compte que les conseillers étaient tout juste en train de commencer à mettre tout ça en place.
Avec la situation de crise sanitaire actuelle, le parlement est un peu mis de côté. On dirige par décret, comme en temps de guerre – c’est eux qui utilisent cette métaphore d’ailleurs. C’est le ministre de la Santé qui a la main mise. Mais on découvre que ces dirigeants connaissent mal nos activités – les loisirs et le sport marchand. Le ministre de l’Économie découvre tout ça. Ils ont commencé par penser que prêter de l’argent serait suffisant pour s’en sortir, que 10 000€ suffiraient pour couvrir nos charges ; mais le compte n’y est toujours pas. Tous les mois on perd de l’argent, on s’endette. »
Quelles aides ont été attribuées depuis le début de la pandémie ?
Ghislain Brillet : « Pour l’instant, tout ce qui a été mis en place n’est pas suffisant compte-tenu de nos besoins. Pendant le premier confinement, les salles ont reçu trois fois 1500€, dans le meilleur des cas, mais certaines n’ont rien eu. Si une entreprise a le malheur de compter plus de 50 salariés, elle n’y a pas droit. Ça dépend des seuils. Pour avoir certaines aides, il faut avoir un maximum de 6 salariés. Pour d’autres, il faut en avoir moins de 50. Donc on a gratté un peu partout, auprès des départements, des régions, de l’URSAF, parfois en misant aussi sur des reports.
Mais la vérité, c’est que ceux qui pouvaient se le permettre ont fait un emprunt – le fameux « prêt garanti par l’Etat » (PGE) – et c’est avec ça qu’on vit. Donc je refuse qu’on dise qu’un emprunt, c’est une aide financière.
Ensuite, les salles ont reçu deux fois 10 000€ ; puis une fois 20% de leur chiffre d’affaire. Mais là, par exemple, on attend toujours les 20% du mois de janvier, qu’on n’a toujours pas reçu. On sent que la machine commence à être grippée. On est dans un cauchemar bureaucratique.
Tout récemment, on a eu droit à un tweet d’Alain Griset, Ministre délégué chargé des Petites et Moyennes Entreprises, qui annonce la mise en place d’un dispositif de prise en charge des charges fixes. Ça veut dire que l’Etat va payer nos loyers, nos abonnements, payer tout ça. Si ça se met en place, tant mieux, mais ça fait sept mois qu’on l’attend. »
Qu’est-ce qui est le plus à craindre pour l’avenir ?
Ghislain Brillet : « Le Covid va nous faire un tord considérable, car il est connu que notre secteur économique est extrêmement dynamique, qu’il fait de gros bénéfices, etc. Rien que depuis le début de la crise, 18 projets de salle ont ouvert – toutes avaient trouvé des financement avant, bien entendu. On sait que l’escalade marche très fort. Mais il nous faut de grands locaux, des capitaux, on a besoin des prêteurs et des propriétaires pour les obtenir. Or, on fait peur à tout le monde, maintenant. Car ils (les banquiers et les propriétaires des locaux, ndlr) se sont rendus compte qu’il suffisait d’une épidémie pour qu’on ferme. À cause de tout ça, on pourrait devenir une activité à risque pour les prêteurs et les bailleurs. Ça va freiner le développement de l’escalade. »
Combien de temps les salles pourront-elles encore tenir ?
Ghislain Brillet : « Difficile à dire. Tout dépendra des aides. Et la meilleure des preuves qu’on n’est pas assez aidés, c’est qu’on se bat pour travailler. Si on mettait mes salariés à l’abri, qu’on payait mes loyers, mes abonnements, mes factures d’électricité, de chauffage, et tout le reste, je baisserais le rideau et j’obéirais à la loi patiemment. Sans compter qu’on est des contributeurs positifs de la société, on rapporte plus à l’Etat qu’on ne lui coûte. Et tant mieux. Mais tout comme les restaurateurs, et les gérants de salle de sport, on se bat tous les jours pour travailler, car on continue de perdre de l’argent. Donc on attend les annonces du ministre de l’Économie sur ce nouveau dispositif de prise en charge par l’Etat. »
Comment se positionne l’Etat selon le syndicat ?
Ghislain Brillet : « Au niveau ministériel, c’est tout ou rien. Ils ne veulent pas faire de distinction entre les sports – ainsi, ils nous mettent dans le même sac que les salles de sport, de musculation et fitness, qui sont très différentes de nous. Dans la pratique, le principe de l’escalade fait en sorte qu’on applique déjà une certaine distanciation : il y en a un au sol, et l’autre qui monte. On n’est jamais à côté l’un de l’autre. Et les salles sont très hautes, sur des surfaces d’au moins 1000 m2. Il y a moins de risque d’attraper le Covid dans une salle d’escalade que dans le métro.
Nous avons aussi un autre argument, traduit par ce slogan : « le sport n’est pas le problème, c’est la solution ». C’est paradoxalement l’argument utilisé par le gouvernement, qui autorise les événements sportifs pour les professionnels. Pourtant, les joueurs de football et de rugby attrapent le virus, et on retrouve la moitié des équipes contaminées – et ils ne vont pas le choper dans le métro, eux. Pourquoi ils autorisent ça ? Parce que ce sont des jeunes d’une vingtaine d’années, parce qu’ils sont sportifs. Mais justement, on sait que le sport aide à lutter naturellement contre les virus. Alors pourquoi ne pas laisser pratiquer notre clientèle ? »
Peut-on réellement s’attendre à une réouverture en avril ?
Ghislain Brillet : « Je suis très sceptique pour le mois d’avril. Le gouvernement a dit qu’il allait mettre en place la « couverture des charges fixes à hauteur de 90% pour les entreprises de moins de 50 salariés, et de 70% pour les entreprises de plus de 50 salariés ». Mais ce dispositif serait actif jusqu’en juin. Si cette aide est valable jusqu’en juin, ça nous donne un indice pour penser qu’on n’est potentiellement pas prêts d’ouvrir en avril. »
Les salles qui se trouvent dans les quartiers de bureaux sont-elles menacées par la pérennisation du télétravail ?
Ghislain Brillet : « Ça dépend des territoires. En dehors de Paris, les personnes qui travaillent dans les entreprises high-tech, qui sont dans des écoles d’ingénieurs ou autres, et qui pratiquent l’escalade, habitent généralement autour de leur zone d’activité.
Entre les deux confinements, on a tout de même constaté que l’activité dans les salles d’escalade a bien redémarré. On reste optimiste. »
Comment se profile le futur dans les salles ?
François Petit : « On a essayé de faire avancer les masques pour le sport, qui viennent d’être validés par le ministère. Après, il faut faire avec le Covid. On met tout en oeuvre pour pouvoir réouvrir le plus rapidement, avec des protocoles renforcés. Peut-être dans un premier temps miser sur l’accès pour les enfants, dès le mois de mars. Pour l’instant, ce sont eux qui sont privilégiés pour continuer le sport.
Pour le moment, les aides nous maintiennent sous perfusion. Mais plusieurs effets sont à craindre pour l’avenir. D’abord, il va falloir rembourser les PGE (prêt garanti par l’Etat) – 4,5 millions d’euros ont été empruntés par notre secteur – et payer les loyers et les charges qu’on a réussi à décaler. Par ailleurs, nous allons devoir amortir le fait que les nouveaux clients sont moins nombreux qu’avant, étant donné que nous avons été stigmatisés comme lieux de contamination – notre activité sera forcément moins élevée. Et enfin, comme on a eu des prêts garantis par l’Etat, on ne pourra plus contracter d’autres prêts pendant un certain temps, ce sera donc plus difficile pendant trois ou quatre ans. Notre chiffre d’affaire a chuté, suivant les salles, de 50 à 80% sur l’année 2020, donc notre rentabilité est négative. Ça risque de créer un ralentissement du développement de l’escalade.
Même si, concrètement, il y a eu moins de dépôts de bilans d’entreprises en 2020 qu’en 2019, la crise a fragilisé les sociétés – c’est la reprise qui s’annonce périlleuse. C’est là que les salles auront des problèmes de trésorerie. Les inquiétudes portent plutôt sur le long terme que sur la période qu’on traverse actuellement. »
Peut-on imaginer une modification de l’organisation des salles ?
François Petit : « Le télétravail s’est indéniablement imposé en 2020, et ça continuera en 2021. Chez Climb Up, on a anticipé le mouvement en intégrant des espaces de détente et de co-working. Parmi ceux qui télétravaillent, beaucoup ont encore le besoin de voir des gens. Alors on conçoit davantage nos salles comme des lieux de vie. Les clients pourront venir chez nous pour passer un bon moment, entre travail et grimpe selon leur organisation. On réfléchit à transformer nos salles en lieux de bien-être depuis près d’un an déjà, en ajoutant de grands espaces avec des tables, des prises électriques, qui peuvent accueillir entre 100 et 200 personnes assises pour faire du co-working. L’intuition était là depuis un petit moment, mais elle est maintenant totalement validée avec la situation. »
Photo d'en-tête : Sabrina Wendl