Si certains en France se battent pour engrillager leur propriété et restreindre l’accès à la nature, d’autres, plus au nord, ont pris le contre-pied il y a 30 ans déjà. Le droit de libre accès à la nature, ou « Allemansrätten » comme l’appellent les Suédois, est un précepte ancien profondément ancré dans la culture nationale et protégé par la Constitution. Il y a tout juste un mois, à l’invitation de Fjällräven, nous en avons fait l’expérience sur le Kungsleden, un GR de 440 km version scandinave à travers la Laponie suédoise, dont nous avons emprunté une partie en direction du Tolpagorni (1 662m). Récit d’une itinérance et d’une ascension dans l’un des derniers grands espaces sauvages d’Europe.
Les Suédois entretiennent une profonde relation avec la nature depuis l’époque des Vikings, et au cours des siècles qui ont suivi, Carl Linnaeus, botaniste, zoologiste et médecin du XVIIIe siècle, a jeté les bases de l’éthique suédoise moderne en matière de conservation. Dès 1892, Frilufsfrämjandet, l’association suédoise des activités de plein air, est fondée pour promouvoir et protéger le droit constitutionnel des Suédois, le fameux Allemansrätten. Ce « droit de libre accès à la nature » permet à quiconque de se promener sur n’importe quel terrain, public ou privé, à condition de le laisser dans l’état où il se trouvait avant votre arrivée et que rien ne soit détruit.
Tant que vous ne dérangez pas et que vous ne dégradez rien, la nature est à vous
Traverser une prairie, cueillir des champignons et des baies dans une forêt, bivouaquer dans un pré, randonner sur n’importe quel sentier et naviguer sur le moindre lac sont considérés comme un droit commun… Ce qui appelle aussi des devoirs et des règles de civilité à respecter.
Il est donc illégal de jeter des déchets ou de couper les arbres. Mais aussi interdit de perturber la vie privée du propriétaire. C’est une obligation de prendre soin de la nature et si vous êtes chez quelqu’un, vous devez être hors de son champ de vision et hors de portée auditive. À l’inverse, les propriétaires peuvent être tenus responsables s’ils cherchent à empêcher l’accès à leur terrain, mais aussi si les passants se blessent en tentant de franchir les obstacles qu’ils auraient installés. Des règles de bon sens, protégées par la Constitution suédoise depuis 1994.
Les derniers grands espaces sauvages d’Europe
S’il est plus fréquent de trouver des espaces sauvages en hautes latitudes, où les terres semblent trop froides pour l’exploitation agricole et forestière, il serait réducteur d’attribuer à la Suède la conservation de son territoire uniquement à ce facteur. Les Suédois ont en effet beaucoup à nous apprendre sur notre approche de la nature.
À commencer par leur engagement civique, à l’image de Greta Thunberg qui à 15 ans, du haut de son 1m49, alertait le Parlement suédois contre l’inaction face au changement climatique. Cette sensibilisation, qui se transmet de génération en génération, a permis au pays de légiférer en faveur d’une nature encore largement préservée, au point d’offrir les derniers de grands espaces sauvages d’Europe.
Les prises de positions radicales des entreprises en matière de développement durable y sont également pour beaucoup. C’est le cas de Fjällräven, marque d’équipement outdoor considérée aujourd’hui comme l’une des plus exigeantes au monde en matière de durabilité. Une marque qui dit « non » aux sirènes du marketing, de la finance et qui ne souhaite pas rogner sur la qualité de ses produits, ni même multiplier les références pour augmenter ses profits alors que ses best-sellers intemporels durent des décennies, forcément ça nous parle. Et quand on reçoit une invitation de leur part pour découvrir, au cœur de la Laponie, leur collection technique « Bergtagen » – développée en collaboration avec l’Association suédoise des guides de montagne, on ne dit pas « non ».
Un parfum d’aventure arctique
Direction donc la région la plus septentrionale de la Suède, à Nikkaluokta, 200 km au nord du cercle polaire. Porte d’entrée principale vers le massif de Kebnekaise (2 097 m), point culminant du pays. Le « Chamonix » local, est ici dépourvu de remontées mécaniques, de sommets acérés, de hautes altitudes et d’habitations. La foule y fait défaut aussi. Tout y est plus modeste. Tout, sauf les paysages : ouverts et sauvages. Règne sous ces latitudes un parfum d’aventure arctique qui vous happe comme un appel au large.
Une route arrivant de Kiruna, ville minière située 70 km plus à l’ouest, longe une enfilade de lacs au bleu nuit profond et vous conduit jusqu’à un parking situé au milieu de nulle part. Quelques voitures stationnent devant un ensemble de baraquements rouges. Une grande hutte fait office de restaurant et de petite boutique pour les marcheurs. C’est le point de départ de la Fjällräven Classic Sweden, une randonnée de plusieurs jours (110 km) reliant Nikkaluokta à Abisko – plus au nord. Accessible à tous, chacun la parcourt à son propre rythme.
Ce sera aussi notre point de départ. Au programme, trois jours de randonnée itinérante sur les traces de la Fjällräven Classic et de ses participants qui empruntent une partie du Kungsleden ou « Voie Royale » en français – un sentier de grande randonnée entre Hemavan, juste en dessous du cercle polaire, et Abisko, 440 km plus au nord.
Préparez-vous à être mouillé, sauf si vous êtes bien équipés
Nous sommes le 11 août, il est 14h. Le ciel se fait menaçant et les températures ne dépassent pas les 15°C. Les 18 km de marche qui nous séparent de notre camp de base pour les prochains jours s’annoncent sans grandes difficultés. Seulement 260 mètres de dénivelé positif sur des sentiers plutôt roulants. Malgré le caractère peu technique du parcours, nous optons pour un équipement – baselayer, midlayer, veste & pantalon de protection et chaussures – de haute montagne. En Laponie, à 500 mètres d’altitude les conditions météo sont comparables à 2 500 mètres dans les Alpes, le temps est imprévisible et le sol détrempé.
Nous laissons la station de Nikkaluokta derrière nous et débutons notre itinérance. Les six premiers kilomètres en forêt, sans grand intérêt, débouchent sur le lac Laddjujavri. L’horizon s’ouvre et laisse entrevoir la vallée qui mène à chaîne du Kebnekaise encore prise dans les nuages. Une famille d’autochtones, des Samis, assure la navette pour emmener les randonneurs de l’autre côté du lac. Le sentier reprend sur l’autre rive à travers un marécage que l’on traverse sur un chemin de bois. Ces longues planches aménagées facilitent la marche et protègent les zones humides de tout piétinement.
Le sentier file dans la vallée et nous plonge au cœur d’une nature à chaque pas un peu plus sauvage. L’eau pure et potable qui coule en abondance, nous épargne du poids supplémentaire. Cascades, torrents et rivières foisonnent, déferlent et sculptent tous les versants avoisinants.
Nous établissons notre camp de base en amont de la vallée, proche de la Fjällstation, départ de toutes les expéditions vers le Kebnekaise (2 097m) – point culminant de la Suède qui chaque été perd un peu plus de sa superbe. En cause, le réchauffement climatique qui réduit l’épaisseur du glacier sommitale. La montagne n’est que partiellement visible depuis notre emplacement, mais face à nous, trône son petit frère, le Tolpagorni (1 662m). Moins haut, mais plus intimidant. Ce pic acéré, aux allures de volcan, sera notre prochain objectif.
Seuls au monde
Après une nuit sous la tente, à la clarté du soleil de minuit, nous rejoignons le pied de la face Sud du Tolpagorni. Nous atteignons les 800 mètres d’altitude, c‘est ici que débute l’ascension en terrain d’aventure. Une fois quitté le sentier, nous montons les premiers 200 mètres dans la face Sud avant de contourner sa grande paroi de 800 mètres pour rejoindre l’arête Est.
Le passage pour la rejoindre est spectaculaire. Un regard en contrebas sur le lit de la rivière qui trace son chemin sinueux jusqu’au lac Laddjujavri nous fait prendre toute la mesure de l’immensité de la vallée. Devant nous se dresse l’un des derniers grands espaces sauvages d’Europe. Nous sommes seuls au monde.
Nous crapahutons encore quelques mètres en direction des rochers avant de nous équiper pour grimper l’arête Est. Notre cordée progresse sur un rocher friable et glissant, mais l’escalade jusqu’au « cratère », un ressaut assez large sous le pic sommital, se fait sans trop de difficulté. L’ambiance est grandiose. Les nuages dansent entre les falaises laissant entrevoir la vallée sous nos pieds et les 800 mètres de vide de la paroi Sud.
Nous traversons le « cratère » pour rejoindre le versant Nord et son arête sommitale. L’escalade est moins aérienne, mais en prenant de l’altitude l’atmosphère devient plus alpine. Nous grimpons les cent derniers mètres entre les nuages ; sur notre droite, s’étend la vue sur le glacier du Kebnekaise.
Nous atteignons enfin le sommet et ses 1 662 mètres d’altitude quelques instants plus tard. Nous n’avons certes pas grimpé le plus au sommet de Suède, mais certainement le plus emblématique.
Nous redescendons à pied par le versant Nord-Ouest ouvrant de l’autre côté de la vallée, tout aussi sauvage et infinie. Nous contournons ensuite la montagne direction Nord-Est et l’étroite vallée séparant le Tolpagorni du Kebnekaise qui nous ramènera au camp de base.
Nous y passerons une nouvelle nuit avant de reprendre le chemin du retour en direction du lac Laddjujavri et de Nikkaluokta avec un goût de liberté encore dans la bouche.
Cette expédition a été réalisée avec le soutien de Fjällräven. Pour en savoir plus sur la collection Bergaten qui nous a protégés sans faillir, visitez www.fjallraven.com.