Red Bull : quand la course au sensationnalisme se heurte au Code de l’environnement

  • 8 novembre 2024
  • 3 minutes

Ce mercredi 6 novembre, trois associations de défense de l’environnement (Mountain Wilderness France, France Nature Environnement et France Nature Environnement 74) ont déposé plainte contre le pilote Thomas Pagès et son sponsor Red Bull France. La faute à une vidéo où l’on voit l’athlète s’adonner au « Ride and Fly », l’équivalent du speed riding, où la moto remplace les skis, sur les hauteurs d’Avoriaz, en Haute-Savoie. Et ce, en toute illégalité, dans cet espace naturel. Une affaire qui relance le débat sur la stratégie de contenu de la marque autrichienne, axée sur une incessante quête de sensationnalisme.

Fin septembre, une vidéo d’environ 1 minute 30 est postée sur divers réseaux sociaux ainsi que sur le site internet de Red Bull France. On y voit Thomas Pagès, pilote français, sur sa moto. En arrière-plan : les hauteurs d’Avoriaz, en Haute-Savoie. L’athlète vient de se lancer un nouveau défi : le « Ride & Fly ». L’idée ? « Rouler » puis « voler », avec un parapente accroché à l’arrière de son véhicule. S’ajoute à cela la consommation d’une canette Red Bull avant l’exploit et le port d’un casque et d’un gilet au logo de Red Bull. 

Tom Pagès Ride & Fly Avoriaz Juillet Oliver Godbold / Red Bull Content Pool

Les images sont spectaculaires, mais « sous tous les angles, on constate toute l’illégalité de ce genre de défi sportif sponsorisé par de grosses sociétés comme Red Bull » explique à France 3 Mathieu Crétet, chargé de mission « espaces protégés » chez Mountain Wilderness. À savoir que la circulation des véhicules à moteur en dehors des voies classées dans le domaine public est interdite depuis 2000 (d’après l’Article L.362-1 du Code de l’environnement) afin d’assurer la protection des espaces naturels. 

Des pratiques commerciales trompeuses ?

« En conduisant sa moto en pleine nature, le pilote a enfreint le Code de la route et le Code de l’environnement. Précisément, ce dernier interdit de circuler hors du domaine routier de l’État [article R412-7 du Code de la route, ndlr] » a précisé Mountain Wilderness France dans un communiqué. « S’il n’y a pas de route, il est tout simplement interdit de circuler avec un véhicule motorisé qui peut dégrader les milieux naturels ». Par conséquent, l’association, ainsi que France Nature Environnement (FNE) et FNE 74, ont décidé de porter plainte contre Thomas Pagès et contre la société Red Bull France. « Pour nous c’est un délit de pratiques commerciales trompeuses, en laissant penser que les véhicules motorisés peuvent être utilisés en toute liberté dans les espaces naturels, alors que ce n’est pas du tout le cas » a souligné Julie Rambaud, juriste à France Nature Environnement 74. 

Car si conduire hors des chemins destinés à la circulation de véhicules est interdit, publier de tels exploits l’est tout autant. « Le Code de l’environnement prévoit qu’il est interdit de faire la publicité d’un véhicule en situation d’infraction [article L362-4 du Code de l’environnement, ndlr] » détaille Mountain Wilderness. D’autant que Red Bull France a diffusé cette vidéo à des fins de promotion de ses produits (le logo et le nom de la marque apparaissent à de nombreuses reprises au cours de la vidéo). « Il y a bien volonté de faire la publicité de produits à travers cette vidéo » poursuit l’association. « Thomas Pagès et la société Red Bull France pourraient ainsi être poursuivis pour pratiques commerciales trompeuses ». Le pilote et son équipe n’ont pas encore répondu publiquement à ces accusations.

Notons par ailleurs que le Français n’en est pas à son coup d’essai. « Plusieurs vidéos de 2021 et 2022 le montrent en train de conduire au milieu d’espaces naturels » note Mountain Wilderness. « En cherchant à faire des vidéos ‘spectaculaires’ le pilote a circulé dans la zone Natura 2000 du Haut Giffre, aire protégée afin de préserver des habitats et des espèces représentatifs de la biodiversité européenne ».

Red Bull et la stratégie de la démesure

Cette affaire ne peut que nous inviter à questionner la stratégie de contenu de la marque autrichienne qui a fait de l’extrême son ADN. Le point fort de Red Bull, ce n’est pas la création de produit. Mais sa création de contenu. Sa philosophie ? Communiquer sur des sujets comme les sports extrêmes auxquels le public associe la boisson énergisante ; bien plus que sur leurs produits. 

À travers des performances d’abord. Comme celles de Thomas Pagès mentionnées plus haut. Mais aussi celle de l’autrichien Felix Baumgartner, un parachutiste et sauteur extrême autrichien qui a battu le 14 octobre 2012, le record du monde du saut le plus haut, devenant le premier à dépasser le mur du son en chute libre. Une expérience visionnée en live par plus de 8 millions d’internautes. Coût de l’opération marketing : 50 millions de dollars. 

Autre stratégie : les événements. Tels que la Red Bull Rampage (aka le Super Bowl du mountain bike), le Red Bull Dual Ascent (ascension d’une grande voie artificielle de 220 mètres, ouverte sur un barrage), ou encore le Red Bull Dual Shapes (une compétition de snowboard, créée avec le double champion olympique Pierre Vaultier, sur un pump track unique, avec ses 14 modules, ses 1500 m3 de neige, et ses 300 mètres de pente). Une communication qui prône la démesure, parfois au détriment de l’environnement. Ce concept sent encore fort les années 80 – période de la création de la marque – et s’il fait toujours recette, il pourrait bien à l’avenir atteindre ses limites, dans un univers de l’outdoor tiraillé entre ses convictions environnementales et l’irrésistible attrait du sensationnalisme.

Photo d'en-tête : Oliver Godbold / Red Bull Content Pool
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