Monter, Rémi Bonnet adore ça. Monter aussi vite que possible à la limite de l’évanouissement, le Fribourgeois en a fait sa spécialité. Les poumons en feu, les jambes bourrées d’acide lactique et le cœur battant à tout rompre ne sont pas une torture pour ce jeune Suisse de 24 ans que l’on compare déjà à son idole, Kilian Jornet. Outside l’a justement rencontré lors de la conférence du Catalan à Lausanne, à quelques jours de la légendaire Sierre-Zinal, à laquelle il va également participer dimanche.
Rémi, pourquoi aimes-tu tant les montées ? Comment en es venu à être un des meilleurs skyrunner mondial ?
En fait, c’est venu grâce au ski alpinisme, ma discipline phare à la base. Pour me maintenir au niveau en été j’ai commencé à m’inscrire à des courses en montagne sur des distances courtes avec beaucoup de dénivelé qu’on appelle les « KV » (kilomètre vertical). C’était pratique, ça ne me demandait pas de temps de récupération et je trouvais ça cool, c’était court.
Les saisons de ski alpinisme sont donc si intenses qu’elles nécessitent de ne pas trop puiser dans ses réserves en été ?
Non, mais en fait je ne voulais pas trop en faire l’été, ce n’était pas mon sport, c’était juste un complément pour l’hiver et une façon de m’occuper. Me mettre des objectifs l’été m’a permis de garder une motivation pour l’entrainement.
Tu es rentré dans le monde du trail sans le vouloir, en fait…
Oui en quelques sortes… J’ai vite vu que j’avais plus de facilité en course à pied qu’en ski. Ça a changé ma mentalité et quand j’ai vu qu’en allongeant les distances ça fonctionnait toujours, j’ai compris que j’étais plus fait pour la course que le ski.
Quand as-tu vraiment commencé à te dire que tu pourrais vivre de ce sport ?
Pendant la deuxième de mes quatre années d’apprentissage, après le lycée, j’ai vraiment commencé à avoir de gros résultats, mais je voulais terminer ma formation en métallurgie. Ça m’a fait murir. J’ai directement mis l’accent sur le sport après le diplôme.
Tu étais alors très jeune, comment as-tu préparé ta vie de sportif professionnel ?
J’ai cherché des sponsors assez tôt, dès que j’ai acquis de bons résultats. Salomon m’a pris sous son aile puis RedBull a suivi l’année d’après. J’ai donc assez rapidement su que je pouvais en vivre. Chaque pays de la marque gère son panel d’athlètes et j’ai donc intégré l’équipe suisse de RedBull. Pour Salomon j’ai directement été mis en contact avec le manager de la branche internationale. Grâce à ces deux sponsors je dédie intégralement mon temps au sport de haut niveau. Alimentation, techniques d’entrainement, compétitions, je gère tout.
As-tu une équipe professionnelle qui te suit avec un entraineur, un kinésithérapeute, un préparateur mental ?
Non, je gère mes entraînements moi-même en m’appuyant sur l’expérience passée avec mes ex-entraineurs. Pour le kiné, j’en ai un avec qui me traite dans mon village.
Comment gères-tu le ski alpinisme et le trail dans ton calendrier et tes entraînements ?
Au niveau du ski alpinisme, j’ai clairement relâché et axé ma priorité sur la course à pied. Et tant que les épreuves de la Coupe du monde de ski alpinisme seront gérées comme ça a été le cas cette année, je ne reviendrais pas (le calendrier de coupe du monde a chevauché d’autres grandes compétitions telles que la Pierra Menta par exemple, ndlr) . Je vais concourir sur quelques courses mythiques hors circuit, comme la Pierra-Menta. Pour la Patrouille des Glaciers, c’est moins sûr car la course tombe à trois semaines de Zegama (course de trail mythique au Pays-Basque espagnol de 42 kilomètres que Rémi a remporté en 2018), mais si je sens que j’ai une équipe pour la gagner, alors je m’alignerai. Pour un Suisse, la Patrouille des Glaciers représente beaucoup (rires) et j’ai terminé deuxième la dernière fois que j’ai participé, donc j’ai quand même envie de la remporter un jour.
On parle d’une épreuve de trail potentiellement aux Jeux Olympiques plus tard, penses-tu qu’il s’agisse d’une bonne idée ou va-t-on vers une dénaturalisation de la discipline ?
Si les Jeux Olympiques génèrent les mêmes problèmes que le ski alpinisme rencontre depuis qu’on en parle aussi pour cette discipline, je ne vois pas d’un bon œil cette décision. Si c’est olympique on risque de se confronter à la multiplication des courses, des dénominations (courte distance, longue distance, courses de montagne, kilomètres verticaux, etc) et des circuits concurrentiels au détriment de la performance. Le niveau va se diluer et les résultats risquent de ne plus être révélateur du niveau du vainqueur.
Est-ce toi qui planifie tes courses ou as-tu des obligations avec tes sponsors ?
Mes sponsors n’exigent rien, mais le circuit des « Golden Trail Series » organisé par Salomon est forcément ma priorité ; davantage parce qu’il y a un niveau incroyablement élevé que parce que c’est mon sponsor qui l’organise. J’aime la confrontation à haut niveau et les « Golden Trail Series » comble à merveille ma recherche de concurrence élevée. Mais aucune obligation n’existe dans mon contrat. Je préfère finir 4ème ou 5ème d’une course relevée que premier d’une course sans niveau.
A quoi ressemble tes entraînements ?
Disons que j’aime varier, donc je mixe course à pied et vélo sur lequel je fais 100 à 120 kilomètres avec du dénivelé.
Quel est ton objectif de la saison ?
Me qualifier pour la finale des « Golden Trail Series » en Afrique du Sud et bien sûr faire un résultat sur Sierre -Zinal (11 août), une course qui me tient très à cœur, elle est chez moi en Suisse avec un niveau extrêmement élevé. L’épreuve suivante est à Pikes Peak aux États-Unis (25 août).
Le plateau de Sierre – Zinal ressemble à un affrontement final de tous les meilleurs coureurs à pied, toutes disciplines confondues. Comment appréhendes-tu l’épreuve ?
C’est incroyable de voir autant d’athlètes de l’élite venus de toutes les disciplines de la course à pied. On a Kilian Jornet, qu’on ne présente plus mais aussi Jim Walmsey, l’Américain, Thibaut Baronian, un de mes amis et beaucoup de coureurs qui courent des marathons à des allures folles ! Il y aura tout le monde, Sierre -Zinal c’est LA course la plus relevée de la saison.
Quelle est ta stratégie sur cette course (31 kilomètres, 2200 mètres de dénivelé positif ndlr) ?
Les années précédentes, je n’avais pas l’âge requis pour m’engager sur l’épreuve phare, c’est une grande première pour moi. Je m’y suis bien préparé et les sensations sont bonnes, donc on va essayer de partir devant et de tenir jusqu’à ce que ça ne tienne plus et puis on verra (rires). On va jouer les cinq premiers j’espère.
On part à fond et on accélère, c’est donc ça la stratégie d’une course pour toi (rires) ?
Non, mais disons qu’à l’entrainement je sais que je suis en capacité de tenir tel rythme pendant un temps donné. Donc je le reproduis en course, enfin j’essaie. Quand tu pars en « mass start » c’est toujours à fond, on part tous trop vite et dans les derniers 200 mètres de dénivelé c’est là que ça explose de tous les côtés, ça fait des dégâts. Partir fort et maintenir la même vitesse, ce serait plus ça la clé du KV.
Quels sportifs t’ont inspiré étant enfant ?
Kilian Jornet ! Forcément, quand j’étais plus jeune, mon grand rêve était d’intégrer l’équipe Salomon et d’y côtoyer Kilian Jornet qui est pour moi le Cristiano Ronaldo du trail. Avoir réussi à réaliser ce rêve est juste exceptionnel. Roger Federer a aussi été une grosse source d’inspiration.
Comment vois-tu ton avenir dans le trail ?
Je pense que je vais continuer autant que possible à courir des distances « courtes » jusqu’au marathon et puis quand je verrai que ma vitesse déclinera, je m’orienterai vers des ultras. L’UTMB fait partie de ma liste de course à laquelle je rêve de participer et de gagner.
On parle d’une épreuve de trail potentiellement aux Jeux Olympiques plus tard, penses-tu qu’il s’agisse d’une bonne idée ou va-t-on vers une dénaturalisation de la discipline ?
Si les Jeux Olympiques génèrent les mêmes problèmes que ceux que le ski alpinisme rencontre depuis qu’on en parle aussi pour cette discipline, je ne vois pas d’un bon œil cette décision. Si c’est olympique on risque de se confronter à la multiplication des courses, des dénominations (courte distance, longue distance, courses de montagne, kilomètres verticaux, etc) et des circuits concurrentiels au détriment de la performance. Le niveau va se diluer et les résultats risquent de ne plus être révélateur du niveau du vainqueur.
- Thèmes :
- Kilian Jornet
- Rémi Bonnet
- Sierre-Zinal