Sur son passeport suédois, elle est Lill Maria Kotka, 41 ans. Dans la vie, c’est Mimmi – comme on dit affectueusement « Kiki » pour Kilian Jornet – une des athlètes les plus aimées dans l’univers de l’ultra. Des plus impressionnantes aussi, membre du team La Sportiva. Grande bringue au sourire indéboulonnable, même quand elle n’est « que » sur la troisième marche du podium, ce qui n’arrive pas souvent à celle qui compte à son palmarès la victoire sur la CCC, la TDS et le marathon du Mont Blanc. Pas de quoi la ramener pour autant, Mimmi ne s’embarrasse pas trop des trophées, préférant voyager léger, quitte à prendre des décisions radicales, sur les sentiers comme dans la vie. Une femme forte et entière, qu’on va suivre de très près demain, le 24 juin, lors du Lavaredo Ultra Trail – seule marche italienne des UTMB WORLD SERIES, 120 km 5.800 m+ – où, dossard 22, elle fait partie des favorites. L’occasion de faire le point avec elle sur le trail, la nutrition, le surentrainement et… JJR Tolkien.
C’est une bavarde. Aussi à l’aise en interview qu’à l’écrit, son autre passion dans la vie, outre le trail et les sciences. Et souvent, ses phrases font mouche. Jointe au téléphone alors qu’elle est en Suède, l’un de ses deux points d’attache avec la France, plus précisément un village du côté de Chamonix, elle revient pour Outside sur certaines de ses déclarations qui au fil des années ont marqué les esprits.
« Not all those who wander are lost », « Tous ceux qui errent ne sont pas perdus »
Là, ce n’est pas Mimi Kotka qui parle, mais JJR Tolkien, auront reconnu les fans du « Seigneur des anneaux ». Une citation que l’athlète a choisie en tête de sa bio express figurant sur le site de son sponsor La Sportiva et qui ne doit rien au hasard.
« Le seigneur des anneaux, c’est toute mon adolescence », explique-t-elle. « Cette phrase, tu peux l’interpréter de plusieurs façons. Pour moi, ça veut dire tracer son propre chemin. L’idée, c’est que tu dois faire tes propres expériences, quitte à essayer plusieurs voies, ce qui ne veut pas dire se perdre, mais tester, essayer, prendre des risques. Si j’ai déjà eu le sentiment de me perdre dans le passé ? Pas vraiment, ma famille m’a donné de profondes racines, c’est comme ça chez nous, on est très « grounded », ancrés. Alors bien sûr il y a des moments dans la vie où tu es plus ou moins sûr de toi, mais je n’ai pas connu de grande crise. En revanche, j’ai connu des ruptures dans mes choix de vie. Notamment quand mon mari et moi nous avons décidé de vivre nos passions à fond.
« Un jour, autour d’une tasse de café, on s’est dit, que non, ce n’était plus la vie qu’on voulait »
Tous les ans, pendant la semaine précédant Noël, on fait une pause, Toni et moi. En Suède les nuits sont alors très longues, il fait froid, et on est bien à la maison à se poser un peu ensemble, dans la cuisine. C’est un moment important, calme, à la veille d’une nouvelle année. En 2013, il y a eu un déclic pour nous. Ca n’a pas commencé par une grande discussion sur la vie, la mort, tout ça, non, on s’est tout simplement demandé si notre vie correspondait à nos attentes. Allions-nous vraiment dans la bonne direction ? Au fond qu’est-ce qui nous faisait vibrer, lui comme moi ? J’ai alors réalisé que moi, c’était être dehors, vivre une vie d’aventure. Petite je rêvais d’être Indiana Jones. J’étais carrément obsédée par ce personnage incroyable. Ado, je vivais pour le ski, la plongée, la nature. Puis sont arrivées la fac, la ville et la vie qui va avec. Bien sûr Toni et moi, on était dehors aussi souvent que possible mais ça se résumait à des week-ends, des moments de parenthèse. Alors on a décidé de se donner à fond dans nos passions, en adaptant nos ressources.
Concrètement ça voulait dire des changements radicaux : réduire notre « train de vie », en clair posséder moins de choses, mais vivre plus d’expériences essentielles. A l’époque nous venions tout juste de finir la rénovation de notre maison, ce qui nous avait pris beaucoup d’énergie, nous possédions aussi un petite maison de vacances, des voitures. J’avais un bon job depuis quinze ans en tant que consultante en nutrition auprès de grands groupes, quant à mon mari, il était chef de projet dans les IT. Bref, tout pour être heureux. Mais ce n’était pas le cas. Alors on a tout lâché et loué un petit appartement dans un village tout près de Chamonix. C’est notre deuxième maison après la Suède où nous habitons une partie de l’année. Et j’ai commencé à prendre le trail très au sérieux en me disant que même si je démarrais un peu tard, à 32 ans, j’avais peut-être une chance d’en faire quelque chose.
« Passionnée d’outdoor. Coureuse. Nutritionniste spécialiste du sport »
C’est ainsi que se présente Mimi Kotka sur son site. Dans cet ordre ? “Oui, la nature, l’outdoor, c’est toute ma vie, depuis toujours. Enfant, j’étais scoute, toujours dehors à apprécier la beauté de la nature, à essayer tous les sports, hiver comme été. Je ne suis pas trop dans l’accumulation de choses, mais c’est un des rares moments où je craque pour de bons produits, de l’équipement de qualité. Quand j’ai découvert la course, j’ai tout de suite aimé la simplicité de ce sport. Contrairement à d’autres pratiques, tu peux limiter ton équipement à l’essentiel. Dès mes premières courses sérieuses, en Suède, j’avais repéré La Sportiva et couru avec. En 2016, c’est moi qui les ai contactés, je pensais qu’on pouvait être en phase. Ils m’ont suivie et je crois ne pas les avoir déçus. Cette année là j’ai remporté la CCC (mais aussi la MaXi-Race – Marathon Race et le Gran Trail Courmayeur 90 km, sans parler en 2017, de la TDS et du Marathon du Mont-Blanc ndlr). Dans mon sac, j’ai toujours leurs grands classiques, les Akasha, Bushido ou les Kaptiva. De pures chaussures de trail avec un bon grip, bien protectrices aussi, parfaites pour l’ultra. Je pioche aussi avec bonheur dans leur gamme de skimo pour mon programme de cross training.
Coureuse ? Oui, en deuxième position parce que je n’ai pas un passé d’élite. J’ai commencé bien trop tard pour ça. En 2012, je me suis mise au jogging, pour me remettre en forme, j’arrivais à la trentaine, et en Suède nous avons un rite : les « sweedish classics » qu’à 30 ans beaucoup de gens tentent. Il consiste en 30 km de course à pied, 300 km de vélo dans la région des lacs, 90 km de ski nordique et de la natation. Un challenge dans chaque catégorie à faire l’année de tes 30 ans. J’ai commencé par la course avec la Lidingöloppet, et… j’ai zappé les autres disciplines, j’étais accro pour la vie !
Nutritionniste spécialiste du sport. J’ai un diplôme universitaire en nutrition moléculaire. J’ai fait de la recherche pendant des années et travaillé au développement de produits. J’ai multiplié les expériences professionnelles pour découvrir enfin que certains domaines restaient encore peu documentés. A commencer par celui qui me passionnait : les besoins nutritionnels de l’athlète. J’ai alors intégré le Comité Olympique et me suis penchée à fond sur ce domaine passionnant et quasi vierge, très spécifique, comme j’ai pu m’en rendre compte à titre personnel, en le payant cher ! Désormais athlète pro, je me nourrissais bien, j’avais un régime équilibré, mais j’avais aussi un entrainement très intensif. Or le trail, la course en montagne, sont extrêmement exigeants, et je ne m’en rendais pas compte. Je suis grande, 1,76 cm, je brûlais plus de calories que je n’en ingérais, je creusais tous les jours un déficit. Les conséquences n’ont pas tardé à me rattraper. Après des années où j’ai enchainé les podiums, mon corps a commencé à montrer des signes de défaillance. J’étais vidée. J’ai alors contacté une endocrinologue, j’ai revu mon alimentation, mais aussi mon entrainement car en période de préparation de compétition je peux avoir besoin de 4000 à 5000 calories par jour. J’ai vraiment beaucoup appris, alors même que j’étais déjà une professionnelle de la nutrition. C’est toutes ces connaissances et ces expériences que j’ai notamment concrétisé dans le projet « Moon Valley », une gamme de barres énergétiques lancée avec mes amies Emelie Forsberg et Ida Nilsson ( les deux autres stars suédoises de l’ultra-trail, ndlr).
« Ce qui me pousse à courir, c’est la curiosité, j’ai envie de tester mes limites physiques et mentales »
De là à mettre sa santé en péril, comme a failli le faire une Mimmi Kotka qui a souffert de RED-S, acronyme anglais pour « déficit énergétique relatif en sport ». Une athlète aussi qui a déclaré un jour «Nous les coureurs d’ultra, on adore se mettre mal, se mettre dans le rouge. On dirait qu’on aime souffrir, s’épuiser jusqu’à la moelle, être dans le dur » ?
« Non, je ne suis pas allée jusqu’à des disfonctionnements au niveau alimentaire. Pour moi, manger, cuisiner fait partie de la récupération et des plaisirs de la vie. Dans le trail, on est dans la quête d’une aventure extrême mais qui n’est pas dangereuse. En ultra, oui c’est vrai qu’il y a beaucoup de souffrance, mais ce n’est pas « pour de vrai », on n’est pas dans une zone de danger. Notre quotidien moderne est si confortable, tout est à notre portée d’un seul clic. Là, tu te sens vivante, ton corps est exposé aux éléments, à la nature. Moi, j’adore quand le temps devient mauvais, vraiment mauvais, c’est là que commence l’aventure. C’est aussi pour cela que j’adore courir de nuit. Tu es plus fragile, tu es épuisée, seule avec la petite lumière rouge de ta frontale, tu vis un moment proche de la méditation. C’est une expérience très cool, unique.
« Le La Sportiva Lavaredo Ultra Trail, une expérience ‘super naturelle’ »
Je viens de finir la MaxiRace ( 2e cette année, sur le marathon, ndlr), un de mes événements préférés dont j’ai testé toutes les distances. J’en suis tellement fan que l’année dernière, où elle a été annulée, j’ai fait le parcours seule, avec un ami, pour le plaisir ! Là je me suis entraînée pour le Lavaredo Ultra Trail, j’ai de très bonnes sensations et il me tarde de retrouver cette épreuve. Ca fait du bien de retourner à Cortina où l’organise mon sponsor, La Sportiva. C’est un grand classique, une course véritablement spectaculaire où j’ai vécu des moments intenses. L’énergie y très spéciale, notamment au levée du soleil. J’adore cette course.
Après, forcément, viendra le retour à l’UTMB en août (en 2021 elle s’y classait 3e chez les femmes, 23e au scratch, ndlr). L’UTMB, c’est un vrai projet. J’ai dû payer mon dossard, mais j’ai eu la chance d’en avoir un, alors je me sens très privilégiée. Ca fait des années que j’ai ce projet en tête. Et je vais tout donner pour y parvenir, avec en tête les performances d’Evy Palm, athlète suédoise sur le marathon qui s’est révélée à l’âge de 45 ans. Moi, je me donne jusqu’à 47 pour tout donner. J’espère pouvoir rester aussi longtemps que possible dans cette communauté de l’ultra qui m’a tant apporté.
« Je veux vraiment m’en sortir par le haut sur un 100 miles »
J’ai déjà fait deux 100 miles (160 km, ndlr), mais je ne suis pas encore au top au niveau de la logistique. L’ultra, je connais, mais sur un 100 miles, on entre dans une autre dimension. Il faut que j’y travaille. Avec en tête un objectif, notamment le Tor des géants (330 km, 24000 D +) ou la Transalpine (285 km – 16700 D+).
« Plus je cours, moins j’accorde d’importance aux biens matériels, aux menus problèmes de la vie et à ce qu’on pense de moi »
« C’est vrai pour tous les coureurs, non ? La simplicité de la course te vide la tête et nourrit ton âme, tu n’as plus besoin de grand-chose. C’est de l’or ». Et quand on lui dit que ce n’est pas évident quand on voit la course aux performances et à l’ultra connection dans laquelle tombent certains traileurs, elle rétorque en riant : « Ceux-là, mets les juste sur un 100 miles, on verra ce qui restera de leurs os ! ».
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Photo d'en-tête : Florian Monot / La Sportiva- Thèmes :
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