« Dangereux », « inconscients », les freerideurs japonais n’ont pas vraiment la cote dans l’Archipel. Une réputation en passe de changer si l’on en juge par le témoignage de Wakana Hama, icône de la scène nationale, présente au Freeride World Tour, dont la première manche de la saison 2019 s’est tenue au Japon ce week-end.
Au Japon, pays bouleversé depuis des siècles par les cataclysmes naturels – tremblements de terre, éruptions volcaniques et tsunamis – le freeride a longtemps eu mauvaise réputation. Autour des stations de ski, la pratique du hors-piste est souvent interdite. Les autorités redoutent les avalanches et tiennent également à préserver les vastes forêts qui couvrent les montagnes de l’archipel. Quand on demande à Wakana Hama, star nationale du freeride, si elle a dû lutter pour imposer sa passion à son entourage, elle sourit. « Quand j’ai dit à mes parents que je voulais en faire mon métier, ils m’ont répondu : ‘Fais ce que tu aimes, mais sois prudente. On veut te voir rentrer à la maison’. Ils ne me disaient pas ça parce que j’étais une fille. Au Japon, que vous soyez un homme ou une femme, tout le monde vous dit de faire attention aux avalanches. C’est une véritable obsession”.
Et Wakana Hama n’échappe pas à la règle. La veille de la manche du Freeride World Tour à Hakuba, la freerideuse participait à un atelier de prévention d’avalanches. Avec deux autres concurrents japonais du circuit, elle a creusé à la pelle la neige, simulant une coulée qui aurait enterré une fausse victime. « J’ai une longue expérience de la montagne, mais j’apprends à chaque fois de nouvelles choses dans ce type d’exercice. On ne veut pas penser au pire, mais il ne faut pas oublier qu’une avalanche peut toujours nous emporter là où on s’y attend le moins. Depuis que j’ai débuté ma carrière, j’ai vu des freeriders disparaître en montagne », rappelle-t-elle.
“Le hors-piste est encore tabou”, confirme Yojiro Fukushima, à l’origine de la venue du Freeride World Tour à d’Hakuba, station des Alpes japonaises. “ Rien n’a été fait pour développer cette pratique. Aussi le freeride est-il longtemps resté très marginal”, poursuit-il. Reste que les acteurs de l’industrie du ski ont dû se rendre à l’évidence. La crise économique et le vieillissement de la population ont provoqué un effondrement du nombre de skieurs au Japon, passant de 18 millions dans les années 1980 à 5 millions aujourd’hui. Il leur fallait réagir. Dès lors, le développement du freeride est devenu crucial pour attirer un nouveau public, chaque jour plus friand de nouvelles stars, parmi lesquelles Wakama Hama fait désormais figure de tête d’affiche.
« Pour nous, riders japonais, l’organisation de cette étape dans notre pays est une formidable publicité, s’enthousiasme Wakana Hama. Autrefois, pratiquement personne ne nous connaissait, maintenant on est presque devenus des gens célèbres ». Reste qu’à 39 ans, la Japonaise a bien quelques sponsors, mais elle boucle ses fins de mois en travaillant dans des hôtels pendant l’été, une fois la saison de snowboard terminée.
L’essor du freeride au Japon pourrait pourtant bientôt changer la vie des meilleurs skieurs du pays. De plus en plus de compétitions y sont désormais organisées. « Il y a trois ans à Hakuba, il y avait zéro événement : il y en a neuf en 2019 », déclarait fièrement Yojiro Fukushima, lors de la cérémonie d’ouverture de la compétition. Longtemps interdits à la pratique du hors-piste, de nombreux secteurs autour de cette station s’ouvrent peu à la discipline, lorsque les conditions climatiques sont jugées clémentes. A la plus grande joie de Wakana Hama, qui mène une vie de bohème dédiée à sa passion : la poudreuse, qu’elle traque sans relâche.
De Niseko, station japonaise située au pied du Mont Yōtei, à la vallée d’Hakuba, en passant par Whistler au Canada, la quête est infinie, bien qu’un tropisme se précise chez Wakana Hama. « Ce que j’aime le plus, c’est rider dans les forêts. J’ai grandi à Hokkaido et là-bas, les étendues d’arbres sont immenses. Il n’y a pas un bruit, c’est calme. J’adore ce contact avec la nature. La forêt est un lieu protecteur. Quand le temps est mauvais, on peut s’y réfugier pour être à l’abri du vent. C’est aussi là qu’on trouve la meilleure poudreuse. C’est une très bonne chose que le Japon protège ces espaces en y interdisant l’accès. Mais s’il pouvait y avoir un peu plus de zones autorisées pour le hors-piste, ce serait aussi un très bon point pour le développement de la discipline. Cela dit, vous savez, nous, les freeriders japonais, on sait se glisser dans les coins où personne ne nous embête ».
Photo d'en-tête : J.Bernard Freeride World Tour