Libérer la parole grâce à la course à pied : cette tendance de niche séduit des thérapeutes depuis les années 70. La méthode porte-t-elle ses fruits ou est-ce juste un séduisant concept ? Notre journaliste new-yorkais Martin Fritz Hubert a enfilé ses baskets et tenté l’expérience.
“Évacuez la colère qui est en vous”, entendis-je soudain. Juste avant, confortablement installé dans le cabinet de mon psy, je lui avais parlé pendant une heure de mes problèmes, comme lors de n’importe quelle séance de thérapie classique. De façon déjà moins conventionnelle, nous nous étions ensuite dirigés vers Central Park. Tout en luttant pour avancer en courant, je commençai à essayer péniblement de trouver les mots pour parler de mes névroses. Mais mon psy avait autre chose en tête.
“Courez au rythme qui vous convient et laissez votre colère s’exprimer”, ajouta-t-il, joignant l’exemple à la parole : “CA M’ENERVEEEEE!” se mit-il à crier, au grand dam du petit écureuil qui avait eu le malheur de se trouver à proximité.
C’était la première fois que j’expérimentais la running thérapie. Le principe ? Combiner les bienfaits psychiques de la psychothérapie avec ceux de l’exercice physique. Même si la dimension sportive reste présente, cette forme de thérapie n’a pas pour but de faire maigrir ou de garder la ligne. L’idée est de favoriser l’introspection par la mise en mouvement. Selon mon psy, “c’est une manière d’apprivoiser les émotions qui nous envahissent. Il ne s’agit pas de les éviter mais au contraire de plonger dedans, la tête la première”.
Calmer le cortex préfrontal
Chez une autre psychothérapeute adepte de la méthode, Sepideh Saremi, l’approche est moins frontale. “Il s’agit d’être présent et attentif à son corps et à ce qui nous entoure de manière consciente et d’utiliser la course pour libérer la parole thérapeutique”, explique-t-elle.
Plusieurs théories ont cherché à en démontrer les avantages. Selon l’une d’entre elles, le fait de courir côte à côte plutôt que d’être assis face à face permet au patient de se sentir moins vulnérable. Ailleurs, la running thérapie est décrite comme encourageant l’honnêteté vis-à-vis de soi. Dans son ouvrage, Running is my Therapy, Scott Douglas décrit très bien la façon dont la course permet de dépasser les blocages que l’on peut avoir dans la capacité à s’exprimer. Il cite notamment la psychologue clinicienne Laura Fredendall, qui émet l’hypothèse selon laquelle la course à pied calmerait le cortex préfrontal, avec des résultats apparemment proches de la sensation ressentie après avoir descendu quelques petits verres…
La course peut aussi permettre de renforcer le lien de confiance entre le patient et son thérapeute. “Je suis persuadé que le fait de courir côte à côte avec votre patient, qui vous voit faire le même effort que lui, crée une connivence… Être soudain sur un pied d’égalité, transpirer ensemble, sentir mauvais à deux… Je suis convaincu que tout cela favorise l’efficacité thérapeutique”, affirme le psychothérapeute William Pullen, auteur de Running therapy : Courir en pleine conscience pour ne plus courir après sa vie, qui propose cette forme de thérapie à ses patients.
Pullen n’est pas le premier à faire ce constat. En 1976, le médecin américain Thaddeus Kostrubala publiait The Joy of Running, une sorte de manifeste sur le pouvoir transformateur du sport. Lui-même avait très vite intégré la pratique de la course à des séances de thérapies de groupe. “J’en suis arrivé à la conclusion que nous avions découvert-là une façon novatrice de pratiquer, tout en restant au départ très prudent ”, écrivait-il.
Quatre années plus tard, en 1980, Kostrubala fondait l’Association internationale des professionnels de la running thérapie (International Association of Running Therapists), dans le but d’établir un ensemble de règles à destination des praticiens. Il était par exemple catégorique sur le fait que tout thérapeute souhaitant proposer cette forme de thérapie devait d’abord courir un marathon. La méthode n’a jamais vraiment pris et aujourd’hui le nombre de thérapeutes la proposant sont peu nombreux : la running thérapie a conservé son statut de niche et n’a jamais été réellement validée scientifiquement.
Une thérapie à proposer au cas par cas
Pour autant, les scientifiques les plus sceptiques reconnaissent les effets bénéfiques de l’exercice physique sur les troubles de l’anxiété, ce que mettent également en avant les thérapeutes pratiquant cette méthode. Comme le relève Sapideh Saremi, étant donné que séparément l’exercice physique et la psychothérapie ont des bienfaits psychiques, vouloir combiner les deux semble assez logique.
Cela ne signifie pas que la running thérapie convienne à tout le monde. Sapideh Saremi ne la conseille pas à ses patients souffrant de troubles alimentaires ou sujets à des pulsions autodestructrices par exemple. Mais selon elle, les capacités physiques n’entrent pas en ligne de compte et les patients les moins sportifs sont souvent plus réceptifs à cette méthode, en opposition aux plus dynamiques, qui ont sans doute moins besoin de cette approche. Elle met cependant en garde : même si l’exercice physique a des bienfaits psychiques, la running thérapie ne doit pas être pratiquée sans la supervision d’un professionnel.
“La relation avec le thérapeute est fondamentale, explique-t-elle. Courir seul ou avec un ami peut faire du bien, mais cela ne remplace en aucune façon une thérapie.”
Je dois avouer que je n’ai pas eu de révélation – pas plus que de point de côté ou de claquage musculaire – lors de ma session de running thérapie. Mais je me suis réellement senti mieux après. Mes problèmes me semblaient moins insurmontables et j’ai même ressenti une bouffée d’optimisme en me dirigeant vers la bouche de métro. En d’autres termes, je me suis senti exactement comme après une séance de jogging normale.
Photo d'en-tête : Hannah McCaughey- Thèmes :
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