Que sont devenus les 15 aventuriers confinés dans la grotte de Lombrives, à 400 mètres sous terre ? Après 40 jours à étudier le comportement de groupe dans un espace réduit, sans voir la lumière du soleil ni aucun repère temporel, ils retrouveront enfin la civilisation samedi 23 avril. Nous avions suivi leur expérience à mi-parcours, il y a 20 jours, alors que les premières tensions et explorations de la grotte se faisaient savoir. Suivez en direct leur sortie demain, sur Facebook.
Eux n’ont plus aucun repère temporel, mais c’est bien demain que sortiront de la grotte de Lombrives les 15 participants de l’expédition Deep Time, après 40 jours confinés sous terre, sans montre ni lumière du jour. Leur sortie s’effectuera progressivement, en respectant le rythme de chacun des aventuriers. La consigne : interdiction de réveiller les membres encore en train de dormir, afin de respecter leur cycle biologique naturel – l’un des objets des divers sujets d’études menés lors de la mission Deep Time.
Pour voir en direct les aventuriers émerger de la grotte de Lombrives, rendez-vous à partir de 10 heures sur la page Facebook de l’Adaptation Institute et/ou de Christian Clot, explorer – le chef de l’expédition. Et pour en savoir plus sur leur aventure, (re)découvrez notre article ci-dessous, publié à mi-parcours de la mission, le 1er avril dernier. Passionnants également, les messages audio envoyés au fil des jours par Christian Clot, depuis les profondeurs. A écouter en fin de cet article.
Premières tensions, désynchronisation, humidité… les 20 premiers jours du projet Deep Time
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Confinés volontaires, ils sont descendus dans les profondeurs pour 40 jours. Et 20 jours se sont déjà écoulés dans la grotte de Lombrives, pour les 15 explorateurs de la mission « Deep Time » . A mi-parcours de leur expérience, ils ont fait parvenir les premiers retours sur leur expérience. Sans aucun repère temporel, ni lumière du jour, les aventuriers ont perdu toute notion du temps et explorent de mystérieux lacs souterrains. Mais les premières tensions apparaissent, et la désynchronisation des cycles de vie est totale. Jérémy Roumian – le directeur des opérations, resté à la surface – nous raconte leur quotidien.
Allô, la grotte de Lombrives, ici la Terre. Enfouis dans une grotte située à fleur de montagne dans l’Ariège, dans un camp de base à 1 km de la surface, les quatorze volontaires et leur chef d’expédition, Christian Clot, arrivent à la moitié de leur mission de 40 jours. Les voilà donc privés de tout contact avec le monde extérieur depuis le 14 mars, mais cela n’a pas empêché Christian Clot de nous faire parvenir deux podcasts depuis leur gouffre. Dont un envoyé le 1 avril – sans faire de poisson d’avril, lui qui n’a plus aucune conscience du calendrier !
Sur les pas de Michel Siffre, le premier géologue français à s’être s’enfermé volontairement sous terre pendant deux mois pour démontrer l’existence de l’horloge biologique humaine, la mission Deep Time multiplie les expériences. Comprendre la désorientation des individus lorsqu’ils sont soumis à un tel bouleversement ; étudier la manière dont le cerveau conçoit et gère le temps en dehors de tout indicateur ; analyser la synchronisation naturelle d’un groupe humain dans des conditions extrêmes… sans oublier toutes les questions scientifiques examinées par les volontaires et l’équipe de scientifiques qui veille à la surface; questions relevant de la spéléologie, ou encore de l’étude du milieu écologique.
Ils puisent leur eau à 90 m de profondeur
Parmi les « anges gardiens » restés à la surface pour assurer la sécurité des cobayes – tous des bénévoles – en cas d’urgence, se trouve Jérémy Roumian, directeur des opérations. Lui et son équipe veillent à protéger l’accès au site, mais aussi – et surtout – à extraire les déchets de la grotte, déposés dans un sas presque quotidiennement. Pour autant, « nous ne communiquons pas avec eux, il n’y a que des échanges à sens unique. Soit par le dépôt des déchets, soit comme aujourd’hui, quand Christian Clot nous a fait parvenir son enregistrement de podcast. Mais nous, nous ne leur partageons aucune information sur le ‘‘monde réel’’ », explique-t-il.
Dans la grotte de Lombrives, les quinze aventuriers se partagent trois espaces principaux de vie. Le premier est le camp de base, dans lequel ils travaillent, cuisinent, et peuvent échanger au quotidien. « C’est le point central de coordination des activités dans la grotte. Ils ont des tableaux de communication, pour organiser le travail, comme s’ils s’inscrivaient pour effectuer certaines tâches, et prévenir ceux qui sont en train de dormir, d’explorer, ou de travailler dans l’espace dédié aux travaux scientifiques. Il faut imaginer que c’est comme une plateforme, où chacun passe dans la journée pour y passer plusieurs heures, échanger des informations, et collaborer avec les autres », commente Jérémy Roumian.
« Leurs journées sont très denses, et s’articulent surtout autour des activités de vie : puiser de l’eau, la purifier, produire de l’énergie en pédalant sur des vélos pour générer de l’électricité, évacuer les déchets, entretenir le camp, travailler, etc. » Car oui, c’est à eux d’aller s’approvisionner en eau directement dans les sources disponibles sous terre, auprès de deux puits, dont un situé à 90 mètres de profondeur. « C’est une activité très engagée qui demande plusieurs heures de travail : il leur faut descendre en rappel tout le matériel pour puiser l’eau, et remonter des quantités de 40 à 50 litres par jour pour l’ensemble du groupe, avant de la filtrer eux-mêmes avec des purificateurs », détaille-t-il.
Leur nourriture, elle, est stockée depuis le début de la mission dans la grotte. « Ils ont des réserves plus grandes que nécessaire, on en a mis pour plus de 60 jours. Comme ça, ils ne voient pas le stock s’écouler, et ne risquent pas d’y trouver un repère temporel », remarque le directeur des opérations. Si les premiers jours, les explorateurs avaient à disposition des produits frais ; maintenant, ils doivent se contenter d’aliments déshydratés, lyophilisés, ou en conserve. Un vrai menu de conditions extrêmes.
Explorer des lacs souterrains
Deuxième lieu de vie, l’espace scientifique. Une bulle isolée de dix mètres carrés, pour éviter que l’humidité n’atteigne les équipements techniques. Contrairement aux estimations, les conditions de vie dans la grotte sont plus difficiles que prévu. Une température de 10°C au lieu de 12, et un taux d’humidité constant de 100%, au lieu de 95. « C’est difficile pour eux, il fait froid tout le temps, et l’humidité gagne tout : les tentes, les tissus de sacs de couchage, les vêtements, le matériel technique… Tout ce qu’on sait pour l’instant, c’est que cela entraîne plus de fatigue, et la récupération physique est plus dure aussi », ajoute Jérémy Roumian.
Le travail scientifique représente environ 2 heures d’activité par jour, et par personne – « enfin, selon nos observations à la surface, car ils n’ont pas la notion du temps. Certains pourraient pensé avoir travaillé une heure, alors que ça ne faisait que dix minutes ». L’un des travaux qui, à entendre le chef des opérations, semble le plus fascinant : une cartographie de la grotte en 3D, avec des scanners.
Mais pour nous, le plus fascinant reste celui de l’exploration du sous-sol du gouffre. « Certains membres du groupe ont réalisé les premières expéditions dans le niveau inférieur de la grotte, en-dessous de l’espace de vie. Ils doivent descendre en rappel à travers le puit de 90 mètres que nous évoquions tout à l’heure, traverser un lac composé de canaux, afin de pouvoir ensuite explorer le réseau inférieur de la grotte. C’est tellement vaste qu’ils peuvent y passer des heures, voire des jours s’ils emportent le matériel nécessaire ».
Analyser les cycles biologiques humain en groupe
Ainsi, le quotidien des aventuriers est rythmé par les protocoles de la mission Deep Time, qui récoltent également « des données pour étudier l’éthologie (la science des comportements en groupe), la sociologie (les systèmes organisationnels du groupe), l’épigénétique (la manière dont l’ADN est codé), la psychologie, la chronobiologie et la physiologie en général, mais aussi la géographie de la grotte. Il y a tout un module d’études sur des plantes, qu’ils font pousser à l’intérieur, et un inventaire géophotographique des inscriptions dans la grotte. Certaines sont historiques, et seront transmises aux chercheurs historiens », précise Jérémy Roumian.
Dernier point, qui intrigue et fascine les experts : la désynchronisation totale du groupe. « Les cycles de tous les participants sont au coeur de cette expérience. Un cycle comprend la période d’éveil, plus celle de sommeil. Ils notent sur une tablette – qui nous transfère leurs données – l’heure à laquelle ils estiment aller se coucher, se réveiller, le temps qu’ils ont pensé dormir… À la fin de la mission, nous croiserons leurs estimations avec celles que nous avons enregistrées, en temps réel. C’est là qu’on pourra étudier l’évolution des cycles biologiques humains, en groupe », explique Jérémy Roumian.
« Le podcast de Christian nous révèle que certains ont déjà quatre cycles d’écart. Ils se sont tous complètement désynchronisés. Le but de cette opération n’est pas d’attendre qu’ils se synchronisent tous ensemble à terme, mais de comprendre comment ils se synchronisent. C’est d’ailleurs normal qu’ils aient des rythmes différents. Notre objectif est de comprendre comment le groupe est capable de fonctionner ensemble. De voir, au bout de 40 jours, quel système d’organisation ils auront trouvé, et d’analyser ce système. Sans repère temporel – qui est l’un des piliers de la vie sociale normalement – il faudra qu’ils soient inventifs pour établir un dispositif de prise de décisions, de répartition des tâches, de partage des informations entre eux sans faire émerger de tensions. »
« Nous ne récupérons pas les données scientifiques en temps réel, mais seulement lors de leur sortie. Tout ce qu’on collecte en direct, ce sont des prises de sang, réalisées à l’intérieur de la grotte où un médecin et une infirmière font partie du groupe, pour les analyser – et parfois, des messages audio de Christian », décrit Jérémy Roumian. « À part ça, on n’en sait pas plus de leur organisation. La seule règle qu’ils ont est de ne jamais forcer quelqu’un à se réveiller. »
La mission prendra officiellement fin le 22 avril. Les participants, eux, prendront leur temps pour sortir de la grotte, et devraient s’en émerger au cours des 24 heures suivantes. Certains auront peut-être besoin d’un accompagnement psychologique. D’autres seront peut-être aussi en plein milieu de leur cycle de sommeil ! », conclut le chef des opérations.
En attendant leur sortie, écoutez les messages audio rapportés par Christian Clot, chef d’expédition :
Photo d'en-tête : Human Adaptation Institute
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