Il en rêvait, il l’a fait ! C’est une très belle performance qu’a accomplie le Français Seb Bouin dimanche 24 avril, en enchaînant « DNA », une voie située dans le Verdon. L’athlète n’a pas encore fermement statué entre 9b+ et 9c, mais tous les arguments semblent pencher en faveur d’un 9c, comme il l’explique ici. Cette performance serait alors le deuxième enchaînement mondial d’un 9c dans l’histoire de l’escalade !
« Je suis sur deux gros projets en ce moment : « Bibliographie » à Céüse (côté 9c par Alex Megos), je n’étais pas loin d’y arriver cet automne mais… je n’y suis pas arrivé. Je suis quand même tombé trois fois à la fin », nous racontait Seb Bouin en mars dernier dans une longue interview. « Et puis un autre très gros projet dans le Verdon, DNA, dans le 9c aussi. Je l’essaye depuis deux ans. Et, pareil, je suis tombé quatre fois après la section dure. Maintenant, au printemps, ça va être la meilleure période pour ces voies-là. » Bien vu : Le Montpelliérain de 29 ans vient de boucler un projet qui lui aura pris entre 150 et 200 jours, selon lui, étalés sur plusieurs années.
En 2019, il équipe cette voie située à la Ramirole, dans le Verdon. En 2020 : il y consacre cinq mois, de juillet à novembre. Six mois en 2021, de juillet à décembre. Enfin en 2022, il raconte qu’il y fait un premier trip de quatorze jours début Avril. Puis un deuxième. C’est au troisième qu’il atteindra son objectif, après avoir longtemps bataillé, comme il l’explique en détails.
« J’ai équipé cette voie durant l’été 2019 », raconte-t-il. » Après avoir réalisé la première ascension de « La rage d’Adam » (9b/+), je voulais un autre challenge, quelque chose d’encore plus dur. Je me suis dit qu’il me fallait une voie vraiment au-dessus de mon niveau pour que je puisse me dépasser. Une ligne qui me motive à y retourner encore et encore, quelque chose de beau, d’impressionnant, dans un endroit somptueux.
La Ramirole était l’endroit parfait pour ça. C’est une falaise qui est en condition une grande partie de l’année, pas loin de la maison. L’endroit est magique et donne envie de se dépasser. Je connais cette paroi par cœur, j’y grimpe depuis plus de 10 ans. S’il y avait un endroit pour se lancer un tel défi, c’était celui-là. En regardant bien le mur, j’ai vu qu’il y avait une ligne en plein milieu, dans l’immense baume, dans une partie avec très peu de prises.
Je me suis dit que je devais tenter, au risque que ça ne passe pas. Au premier contact avec le rocher, il y avait bien des prises mais je ne savais vraiment pas quoi en penser. Le dévers est tellement gros mais il fallait essayer. Les premières montées ont été laborieuses. Je ne comprenais rien. Ça me paraissait trop loin, trop dur, trop compliqué. Lors de la fin de saison 2019, j’ai commencé à trouver des méthodes et comprendre la ligne. ».
Le deuxième 9c au monde ? « C’est la grande question »
« Il y a deux scénarios possibles, le 9b+ où le 9c », poursuit-il. » Avant de me prononcer je vais peser le pour et le contre pour essayer d’avoir l’esprit le plus clair possible. Je vais prendre en compte différents paramètres pour tenter d’être le plus juste : les comparaisons avec d’autres voies, le temps passé et le style de grimpe.
Si je compare DNA avec d’autres voies que j’ai faite où que j’essaie, c’est vraiment un cran au-dessus. À côté de Move (9b/+) et Bibliographie (9b+), j’ai l’impression que cette voie est simplement plus dure. Le temps consacré à travailler la voie est aussi indicateur de la difficulté. DNA est clairement la voie où j’ai passé le plus de temps, entre 150 et 200 journées. En comparaison, il m’a fallut 40 journées dans Bibliographie, 40 journées également pour réussir Move, 25 pour Mamichula (9b) et 50 journées pour Beyond intégral (9b/+). Non seulement je passais du temps, mais je me préparais aussi physiquement à chaque fois en parallèle. Ce n’était pas juste aller à la falaise et essayer pour voir. Je venais avec la ferme intention d’être prêt. C’est la voie dans laquelle je me suis le plus investi.
Le dernier élément à prendre en compte est le style de grimpe. La Ramirole, c’est la falaise qui me convient le mieux, j’y grimpe régulièrement depuis plus de 10 ans. Le fait que DNA soit 100% mon style de grimpe est à prendre en compte dans la cotation. Par exemple, Bibliographie (Ceuse) me correspond moins avec des petites prises et peu de dévers, ce n’est pas mon point fort.
Donc si je prends en compte le fait que cette voie me convienne parfaitement, que j’y ai mis un investissement beaucoup plus grand que dans les autres voies, et que je ressens cette voie comme plus dure, le 9c semblerait approprié. Cependant, j’ai quand même de gros doutes. Est-ce que cette voie serait du même niveau que Silence ? Est-ce que je n’ai pas passé tout ce temps en partie à cause du processus de première ascension ?
Choisir 9b+ serait la sécurité. Depuis 2014 sur cette falaise je propose des cotations bien serrées et au final personne n’a encore répété une de ces voies. Je pense que si je propose 9b+, il y a peu de chance pour que quelqu’un vienne mettre l’investissement nécessaire pour cette voie. En France, j’ai réalisé plus de 20 premières ascensions entre le 9a et le 9b/+ qui n’ont jamais été répétées.
Choisir le 9c, c’est prendre un risque. Celui de voir sa voie décotée. Comme il n’y a qu’une proposition à 9c dans le monde, c’est assez dur d’être sûr et confiant. Je n’ai jamais essayé une voie de difficulté similaire. Il faut prendre le 9c comme une « proposition », qui a maintenant besoin d’autres grimpeurs pour donner leurs avis – afin de confirmer où d’ajuster. C’est la manière dont sont construites les cotations : la somme des opinions rend la cotation de moins en moins subjective. Notre sport est magnifique, nous n’avons pas besoin de juges, nous avons nous-même ce rôle. Être athlète et évaluer sa propre performance, c’est beau, mais en même temps difficile.
C’est pourquoi j’aimerais inviter d’autres grimpeurs à venir essayer DNA. C’est une voie magnifique, dans un lieu incroyable, pas trop excentré du reste du monde. Je pense que DNA a tous les atouts pour intéresser et plaire. »
Son prochain objectif ? « Après j’aimerais bien aller aux Etats-Unis pour répéter la voie la plus dure des US, Jumbo Love (9b) », nous confiait-il en mars. A suivre de très près, donc.
Bio express
A 13 ans, premier 8a ; 14 ans, premier 8b ; 15 ans, premier 8c, 17 ans, premier 9a. Il lui faut attendre les 20-21 pour le premier 9a+, et 23 ans pour le 9b. En 2019, il atteint le 9b+ à la limite. Cette année, l’athlète visait donc les 9b+ et 9c.
Photo d'en-tête : Lena Drapella