Partir. Larguer les amarres, se retrouver face à soi-même, on a tous envie de le faire. Ces quatre-là, Eliott Schonfeld, Mélusine Mallender, Sandrine Pierrefeu et Matthieu Tordeur, ont sauté le pas. En pirogue, à moto, à la voile ou à ski. Mais toujours seuls. Romantique parfois. Terrifiant, souvent. Alors, qu’est-ce qui les fait avancer quand, franchement, tout va mal et qu’ils se demandent pourquoi ils ont laissé derrière eux, amours, amis, famille ? Chacun de leurs récits est une réponse captivante.
Amazonie : sur les traces d’un aventurier disparu
Eliott Schonfeld. Payot. 160 pages. 16€
« Je rentre de Guyane, un des lieux les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. » nous racontait Eliott Schonfeld en novembre dernier. « Ma tête et mon cœur y sont encore ». Parti 45 jours au plus profond de la jungle, seul et sans moyen de communication, le Parisien de 27 ans s’est glissé dans les pas de l’explorateur français Raymond Maufrais. Disparu en 1950 dans l’enfer vert guyanais, son corps ne fut jamais retrouvé. Eliott, lui, entendait boucler le projet de l’écrivain : « traverser seul toute la Guyane pour rejoindre les légendaires monts Tumuc-Humac, avec l’espoir de rencontrer une tribu d’indiens aux yeux bleus, très grands, vivant à l’âge de pierre comme la rumeur les décrivait ». Dans son sac, l’ouvrage de Maufrais : ‘Aventures en Guyane‘, son « guide » pendant l’expédition qu’il considère aujourd’hui comme la plus éprouvante qu’il ait entreprise à ce jour, tant la progression dans la montagne y fut dure et la solitude profonde. « J’ai eu peur de mourir, de ne jamais y arriver », avoue-t-il. Il en revient avec 15 kg en moins et le sentiment d’avoir « touché à l’origine du vivant » dans la jungle. De cette expérience, il tire un excellent documentaire de 52 minutes, Amazonie, dans les pas de Raymond Maufrais,
Mais ceux qui auraient la chance de l’avoir déjà vu ne devraient surtout pas faire l’impasse sur l’ouvrage qu’il a tiré de son périple, immergé dans la jungle et la solitude. Publié chez Payot, « Amazonie. Sur les traces d’un aventurier perdu » est son récit, sous forme de journal. Du 19 juillet 2019 au 11 septembre 2019, Eliott Schonfeld y consigne sa peur, sa douleur, ses interrogations, mais aussi son enthousiasme et son émerveillement devant la beauté et la puissance de la nature. Et ce qu’on aime avec lui, c’est qu’il avoue ses doutes. Jamais il n’a pas peur de montrer sa vulnérabilité ni d’avouer son ignorance et ses incompétences. Oui, malgré son expérience de l’extrême dans l’Himalaya, il n’est pas très bien préparé pour cette aventure dans la jungle. Et non il n’est pas Mike Horn, il n’est pas un ex des forces spéciales et il ne s’entraîne pas à l’aube à tracter des pneus de camion, d’ailleurs il ne sait même pas pêcher. Mais ce type-là, un peu fou, un peu rêveur, a beau porter un regard parfois triste mais lucide sur cette planète que nous massacrons un peu plus chaque jour, il possède en lui une énergie et une détermination qui forcent le respect. Rares aujourd’hui sont les aventuriers de cette trempe. Alors, s’il y a un récit d’aventure à dévorer, c’est bien celui-là.
Les voies de la liberté
Mélusine Mallender. Robert Laffont. 368 pages. 21€
A moto et en solitaire, Mélusine Mallender arpente les routes du monde depuis bientôt une décennie. De ses voyages au long cours sur les routes d’Iran, d’Afrique de l’Est, du Pakistan ou du Bangladesh, elle a rapporté des films, dont elle a tiré un documentaire, “Les voies de la liberté”. On l’y suit, à la rencontre de l’autre, poser la question qui l’obsède : « La liberté, c’est quoi pour toi ? ». « Les voies de la liberté » , c’est aussi le titre de son livre paru cet automne chez Robert Laffont. La baroudeuse de 39 ans y raconte le parcours singulier d’une femme incroyablement gonflée.
Comment ne pas être impressionné par celle qui a longtemps travaillé comme habilleuse-costumière au théâtre et que rien ne prédestinait à prendre la route, seule, pour rejoindre le Japon depuis Paris sur une 125 Varadero Honda. A l’époque, elle n’a pour seule vraie expérience qu’une expédition en 2009 en Patagonie avec son compagnon, l’explorateur, Christian Clot. « À ce moment-là », raconte-t-elle. « je n’avais jamais campé de ma vie, jamais vraiment marché sur la longueur… Ça a été un énorme apprentissage. » Un an plus tard, en juin 2020, seule cette fois, elle entreprend de conduire sa moto, avec laquelle elle avait déjà fait 110 000 km jusqu’au Japon, sa « terre natale ». Contre toute attente, celle que certains n’imaginaient même pas dépasser le périph y parviendra, surmontant sa peur des nuits en solitaire dans sa tente, son désarroi devant les problèmes mécaniques. Elle en reviendra plus forte, et y gagnera un contrat de sponsoring avec la marque japonaise. De quoi lui redonner les moyens de repartir quelques années plus tard vers l’Iran puis vers l’Éthiopie, le Somaliland, le Rwanda, le Bangladesh ou le Pakistan, où partout elle questionne la notion de liberté. Une question qu’elle pose plus particulièrement aux femmes – « parce que ce sont celles que l’on écoute le moins », dit-elle. « Étant une femme, j’ai aussi plus facilement accès à celles-ci. Mais ça reste une valeur globale, humaniste avant tout. »
Et quand on lui demande quels conseils elle pourrait donner à ceux et celles qui auraient envie de se lancer, eux aussi, dans l’aventure, elle répond : « La première fois, tu as peur d’aller vers l’autre, tu sues à grosses gouttes, c’est l’enfer. Et petit à petit, ça devient plus facile. Des fois ça ne marche pas et tant pis. On ne réussit pas la première fois, c’est un apprentissage. C’est ça, l’aventure. »
Partir 66° Nord : chroniques d’une apprentie capitaine
Sandrine Pierrefeu. Glénat. 168 pages. 15,95€
Sandrine Pierrefeu est marin professionnelle depuis 2013, mais elle est aussi écrivaine et journaliste. A son actif, une quinzaine d’ouvrages et une centaine de grands reportages. Alors quand il s’agit de résumer « Partir 66° Nord », ces « chroniques d’une apprentie capitaine », récit de son premier commandement en Arctique, ses premiers mots sont ceux qui vont nous guider vers les quelques rivages inconnus restant à découvrir sur cette planète.
« Partir. Plein Nord, 66° ! Retourner à Isafjordur, au cap nord-ouest islandais. Retrouver le bateau dont je suis tombée raide au premier regard, Aurora, et sa troupe d’Islandais amoureux de mer, de littérature et de poésie. Siggy, le capitaine Père Noël, et ses équipages de marins-montagnards. De là-haut, ils regardent le monde, ne donnent pas cher de sa peau et se marrent. En attendant que le monde se prenne les pieds dans le tapis, ces bons vivants se gavent de beauté, de neige, de froid, de pêche, de ski et du ballet des baleines dans les fjords ou de leur chair crue marinée au gingembre.(…) Pour mon premier commandement, ils m’offrent l’est du Groenland sur un plateau. (…) Chaque fois que je pense à cette portion de planète entrevue d’avion il y a trois ans, quelque chose explose en moi, comme une détonation, façon amour passion : des frissons de la tête aux pieds et l’envie de pleurer de joie et de tendresse. Pourquoi ? Aucune idée, mais j’y vais » écrit-elle. Et nous d’embarquer avec elle pour 150 pages d’aventure arctique.
Le Continent blanc
Matthieu Tordeur. Robert Laffont. 252 pages. 19€
Rallier le pôle Sud en solitaire, sans assistance et en autonomie totale : en janvier 2019, cet exploit fait entrer Matthieu Tordeur dans le cercle très exclusif des aventuriers. Il est alors le premier Français à le réaliser, mais également le plus jeune explorateur. De cette expédition, Matthieu a tiré « Le continent blanc », un récit de son quotidien, sous la forme d’un journal. Le 11 novembre 2018, il quitte donc la France. Il vient de passer deux ans à monter son expédition, menant de front ses études à Sciences Po et ses entraînements en milieu polaire, en Norvège et à Svalbard. Au total 50 jours dans le froid à tester l’équipement et l’alimentation. C’est précisément, tout le « back stage » d’une aventure maintenant bien connue qui intéressera le lecteur. L’explorateur en a en effet déjà tiré un documentaire “Objectif Pôle Sud” diffusé sur Ushuaia TV en juin dernier, et tout récemment encore un film en Réalité Virtuelle « A la conquête du Pôle Sud ».
Découverte du fonctionnement de la compagnie américaine Antarctic Logistics & Expeditions ( ALE), assurant la logistique de cette expédition, dilemme à l’heure de charger en nourriture son traineau – ni trop, ni trop peu pour cette traversée de 1130 km en autonomie complète. Matthieu rentre dans tous les détails d’une aventure déjà bien balisée – il rappelle qu’à date 21 personnes l’ont déjà réussie – mais qui peut vaciller d’un instant à l’autre, tant le terrain est hostile. Cette année-là, ils sont sept à tenter leur chance. On ne vous fera pas l’affront de vous dévoiler leur sort, retenez juste que le principal ennemi de Matthieu Tordeur ne sera pas la faim – il a bien estimé ses réserves – ni l’orientation, il est bien mieux équipé qu’en son temps un Jean-Louis Etienne, son mentor, mais … la chaleur. Anormalement élevée en cette période de l’année, elle rend son avancée sur la calotte polaire périlleuse : « c’est les Tropiques ! » , écrit-il. C’est donc une course contre la montre et contre le thermomètre qu’a réalisée un Matthieu Tordeur hyper connecté, équipé de deux GPS, un téléphone satellite et un boitier de communication satellite, attentif à délivrer son mail quotidien pour informer sa communauté de son avancée et à recevoir les bulletins de l’agence ALE l’informant de l’avancée de ses « concurrents ». Une avancée dont il trompe parfois l’ennui ou la lassitude en écoutant des podcasts préenregistrés ou les sons de « Beach house » , groupe de dream pop psychédélique américain. Une approche qui colle certainement à l’époque mais enlève un peu de poésie à l’aventure.
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