« Comment remonter sur les skis après avoir failli perdre la vie en montagne ? «, c’est la question que se posait Simon Akam dans un premier article publié dans Outside. Six ans après son accident, le journaliste et auteur britannique multiprimé se donne quatre mois pour se réapproprier les techniques du ski de montagne et relever un défi majeur : la Patrouille des glaciers. Un cheminement qu’il raconte dans un récit dont voici le deuxième volet. Après avoir révisé, sur piste, les gestes de base, corrigé sa position, et retrouvé une certaine confiance, il s’est aventuré en marge de la petite station suisse de Chandolin, sa base du moment.
« La première fois que nous nous sommes partis hors des sentiers battus – ou, plus précisément, hors de cette création hautement artificielle qu’est la piste de ski damée où la neige naturelle flirte parfois avec la neige de culture – nous étions encore loin d’un environnement de montagne vraiment sauvage. Une semaine s’était écoulée depuis le début de ma formation, une semaine déjà dans le projet que je m’étais donné : me réapproprier les techniques du ski-alpinisme, activité qui a failli me coûter la vie en Russie en 2017.
Mon instructeur et moi nous trouvions à proximité du Tsapé, un restaurant situé à 2 580 mètres d’altitude à Chandolin, le petit village suisse de haute altitude où je loge en ce moment. Pour cette première expérience hors-piste, il avait choisi une pente douce, ronde comme un coussin, toute proche de la zone réservée aux débutants. Christophe Hagin, le directeur de l’école de ski, a demandé à voir comment je l’abordais. Malgré le faible dénivelé, j’étais embarrassé. Je ne savais pas trop quoi faire de mes jambes. De quoi immédiatement me tirer de ma zone de confort. Derrière cette intimidation, je dois avouer que se cachait des sentiments profonds à l’idée d’y retourner après avoir frôlé la mort il y a six ans. Lorsque Christophe et moi nous sommes assis au sommet de cette pente douce et vierge, il serait faux de dire que je tremblais. Non, ce n’était pas le cas. Après la Russie, je n’avais pas skié pendant un an, mais je m’y étais remis doucement l’hiver suivant. En fait, la première fois que j’avais skié à nouveau, c’était pour suivre la partie ski du concours d’entrée à la formation des guides de haute montagne français, en vue d’un reportage pour un magazine en 2019. Je me souviens avoir eu comme l’impression de remonter sur un cheval après en avoir été rudement éjecté. Mais je suis remonté à cheval.
« Mon vrai problème, c’était la technique »
Bien avant ce projet de ré-apprentissage, je pouvais skier – pas forcément dans un style grandiose, mais toujours de manière raisonnablement sûre et contrôlée – presque toutes les pistes qu’une station pouvait me proposer, dans les limites du possible bien sûr. Mais avec le hors-piste, on entrait dans une autre catégorie. J’en avais déjà beaucoup fait, mais principalement lors de randonnées à ski. Les conditions – sac à dos, skis légers difficiles, épuisement – n’aidaient pas, mais mon vrai problème, c’était la technique. Le résultat était souvent un désastre. Chute après chute, chaque fois plus difficile à surmonter qu’avant. La neige qui pénètre partout là où elle ne devrait pas – dans les gants, à l’intérieur des vestes et des lunettes… Si bien qu’au final, dans le passé, mon « ski » hors-piste se résumait souvent à une descente de survie plaquée contre l’arrière des chaussures. Je connaissais les principes – des skis plus serrés pour la neige fraîche, de la souplesse. Mais du principe à la pratique, il y a un monde.
En faisant du hors-piste cette année, je n’ai pas ressenti de terreur. Il serait plus exact de dire que j’ai eu le sentiment tenace que cet environnement pouvait cacher de mauvaises choses. Et surtout, il m’a brutalement sauté aux yeux que, comme pour les bases du ski sur piste, j’avais tant à apprendre.
Pour évoluer en toute sécurité dans cet environnement, il faut des connaissances qui me font encore défaut. Mais j’apprends. L’ironie, dans le ski de randonnée, c’est que la plupart des risques – notamment les avalanches – surviennent dans des environnements qui ne semblent pas spécialement présager des dangers : des pentes de 35 à 45 degrés, des journées baignées d’un ciel d’azur après une chute de neige. Le risque en matière de ski de randonnée n’est pas comparable à celui ressenti en escalade, où la raideur et l’exposition génèrent un sentiment de danger qui est parfois bien supérieur au risque réel. Notamment sur les voies « sportives » où les pitons percés dans la roche fournissent des points d’ancrage solides.
Un long processus d’apprentissage
Le meilleur moyen de sortir de mes impasses techniques et émotionnelles était donc une approche douce et graduelle. De ce hors-piste pour débutants, parallèle aux pistes damées, Hagin et moi sommes donc passés à une autre section de terrain non damée, parallèle à une piste bleue sur l’Illhorn, le principal sommet au-dessus du village : un vallon dégagé, puis boisé. La neige fraiche de début janvier avait déjà disparu, mais cette zone était parfaite pour me maintenir à la limite de ma zone de confort. Et plutôt que de courtes longueurs, Christophe m’a vite fait parcourir de plus longues sections, jusqu’à ce que les cuisses me brûlent.
Si les sentiments ressentis en pénétrant dans un environnement sauvage sont nuancés, la sensation de progression l’est tout autant. Et à certains moments, j’ai eu l’impression de faire de grands progrès. Au-dessus du bas des pentes de l’Illhorn, les flancs supérieurs de la montagne sont lacés de poutres métalliques pour éviter les avalanches qui menacent le village. Là, alors qu’il y avait encore de la neige fraîche et profonde, nous avons franchi ces barrières surréalistes et j’ai ressenti alors cette sensation de flottement si chère à mon cœur. Quelque chose que je n’aurais jamais pu envisager avant cette année. J’étais comblé.
Mais à d’autres moments, lorsque j’étais fatigué, après une énième chute ou quand je ne maîtrisais plus mes skis, j’avais l’impression de ne pas être plus avancé qu’au départ. Je pense que c’est normal dans tout processus d’apprentissage, en particulier lorsque les fonctions motrices sont impliquées et que le cerveau doit intégrer une énorme quantité d’informations. L’esprit conscient et inconscient et la mémoire musculaire forment une interaction compliquée. Cela prend du temps. S’arrêter, repartir… Nous faisions du ski hors-piste, cela aurait pu être du tai-chi.
Pourtant, globalement, je progressais, comme j’ai pu le constater sur une section située derrière le Col des Ombrintzes, entre Chandolin et St. Luc, tout près de l’endroit où la compétition locale de freeride a lieu chaque année, en mars. Cette pente raide reçoit peu de soleil, la neige reste plus fraîche, et bien qu’elle soit balisée et sécurisée, la piste n’est pas damée. La première fois que je l’ai prise, elle m’a semblé effrayante. Puis, petit à petit, c’est devenu le moment fort ma journée. Là où je filais après les cours, comme irrésistiblement aimanté. Au moment où j’écris ces lignes, mon séjour à Chandolin touche à sa fin. Mais ce week-end, je remonte la vallée jusqu’à Zinal, une région réputée en Suisse pour le freeride. Avec de la chance, je vais continuer à progresser.
Simon Akam est un journaliste et auteur britannique. Son premier livre, The Changing of the Guard – The British Army since 9/11, publié en 2021, a été élu livre de l’année par le Times Literary Supplement et a remporté le Templer First Book Prize. On peut trouver Simon à @simonakam sur Twitter, @simon.akam sur Instagram.
Photo d'en-tête : Collection Simon Akam