Six ans après un accident d’avalanche qui a failli lui coûter la vie, Simon Akam, journaliste et auteur britannique multiprimé, se donne quatre mois pour se réapproprier les techniques du ski de montagne et relever un défi majeur : la Patrouille des glaciers. Dans le troisième volet de cette série, il s’entraîne avec Maximilien Drion, deuxième et troisième lors des épreuves de la Coupe du monde en Andorre au début de l’année. Stimulant, mais tout de suite, ça calme, avoue-t-il.
Il y a quelques jours, j’étais au pied du funiculaire de St-Luc, le village voisin de Chandolin dans le Val d’Anniviers en Suisse, ma base en ce moment, sous le doux soleil de la fin de l’après-midi. Je venais de terminer mon dernier jour de cours avant de remonter la vallée avec Christophe Hagin, directeur de l’école de ski de la station. Nous avions passé une journée inoubliable : ciel bleu, toute une série de descentes hors-piste, y compris quelques unes bien raides, parmi les plus engagées que j’aie jamais skiées. J’étais épuisé et un peu inquiet, j’avoue. Car j’avais greffé à ces épreuves de descente une autre dans l’autre sens, la lutte contre la gravité qui est au cœur de ce projet.
Mais je me réjouissais de rencontrer l’un des meilleurs skieurs alpinistes de la région, Maximilien Drion, 25 ans. Monté deux fois sur le podium cette année, lors des épreuves de la Coupe du monde organisées en Andorre. A son actif aussi : en 2018, la victoire en 2 heures 44 minutes sur la « Petite » Patrouille des Glaciers – la variante courte de la course, 30 kilomètres et 1900 mètres de dénivelé, à laquelle j’espère participer l’année prochaine. L’année suivante, en 2019, Maximilien a également été filmé lors d’une épreuve moins formelle mais on ne peut plus spectaculaire : Il a fait la course contre un téléski en montée, et a gagné haut la main !
Ensemble, nous nous sommes éloignés du funiculaire et avons repris la piste. Je savais bien sûr qu’il irait à une fraction de son rythme normal pour moi, mais ce qui m’a frappé, c’est son rythme. Alors que nous nous dirigions vers St-Luc, dans la lumière plate de la fin d’une journée alpine, j’avais l’impression de voir à l’action un moteur très puissant réglé sur une vitesse très basse.
Maximilien n’est pas suisse. Il est né en Belgique, mais sa famille a déménagé dans le Val d’Anniviers lorsqu’il avait 10 ans. Une course de trail locale, La Dérupe, où il a parcouru 2,5 km et 400 m de dénivelé en 21 minutes, a révélé son aptitude à l’athlétisme en montée. Puis il s’est mis à la course à pied en été et à la compétition de ski alpinisme en hiver avec de plus en plus de sérieux, à une époque où ce sport commençait à être en plein essor. « Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de skieurs alpinistes professionnels qu’il y a dix ans », m’explique-t-il – environ 30 hommes et 20 femmes dans cette catégorie, d’après lui. Et il espère pouvoir participer aux Jeux olympiques d’hiver de 2026, auxquels le ski-alpinisme sera inscrit pour la première fois
Le taux de graisse corporelle de Drion est actuellement de 7 % – à titre de comparaison, pour les hommes âgés de 20 à 39 ans, un taux supérieur à 25 % est considéré comme obèse, et un taux inférieur à 5 % est dangereusement bas. Au-delà de ce physique de lévrier, j’ai été frappé par son équipement. Je n’avais encore jamais vu de près de matériel de course de ski alpinisme – or il doit concilier performances en descente et légèreté en montée. Ses chaussures avaient tout de l’accoutrement du chevalier médiéval… mais conçues en fibre de carbone. Elles pesaient environ 510 grammes chacune (une chaussure de ski alpin typique peut peser jusqu’à 2 kg) et n’étaient pas entièrement fermées ; lorsque ses chevilles fléchissaient, on pouvait voir ses chaussettes. Comparés aux miens, ses skis étaient également réduits : 162 centimètres de long pour 64 millimètres de large, contre 180 cm et 94 mm. Ils ne pesaient, fixations comprises, que 850 g chacun.
J’ai également dû procéder à quelques rapides ajustements psychologiques. Mettez deux hommes ensemble dans n’importe quel contexte sportif et le potentiel de compétition s’impose, forcément. Mais l’idée d’une compétition avec Maximilien était totalement absurde. Il est absolument impossible que je puisse un jour m’engager dans une compétition de ski alpinisme à son niveau. Il a 12 ans de moins que moi, c’est un athlète international. Je suis écrivain et j’ai un projet de livre sur la reconstruction mentale et physique.
J’ai dû rapidement abandonner toute idée de séance d’entraînement avec lui et me résoudre au fait que c’était déjà un privilège de passer un peu de temps sur des skis avec quelqu’un de ce niveau. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce qu’il pensait de moi, alors que je tripotais mes fixations en amateur. Son attitude était polie, amicale. Elle m’a fait penser à un autre athlète suisse, Roger Federer, toujours d’une extrême courtoisie lui aussi, même lors des événements les plus banals auxquels ses sponsors lui demandaient de participer. Est-ce qu’au fond Maximilien ne jugeait pas mon projet totalement ridicule ?
Mais la question qui me taraudait, c’était de savoir si skier en professionnel n’avait pas émoussé sa passion pour la montagne. Au final, n’était-ce plus qu’un travail, une équation d’entrées et de sorties cardios à gérer avec sa smartwatch ? Ses victoires valaient-elles ses 25 heures d’entraînement hebdomadaires ? Alors que nous grimpions, je lui ai demandé s’il était encore intéressé par le ski de randonnée allant de refuge à refuge, sans compétition, l’activité méditative qui – objectif de course ou non – est vraiment l’aspect le plus important de ce projet pour moi. Non, m’a-t-il dit : « car ce que la plupart des gens font en cinq ou six jours, je le fais en cinq ou six heures ». N’y voyez pas de fanfaronnade, mais plutôt un simple constat. Les niveaux peuvent varier, bien sûr, mais un groupe effectuant une randonnée à ski de plusieurs jours dans les Alpes peut généralement parcourir entre 1 000 et 1 500 mètres de dénivelé par jour. J’ai demandé à Maximilien quel était son maximum à ce jour. Il a pointé les sommets surplombant la vallée. À la fin de l’hiver 2021, il a relié Vercorin à Chandolin, en passant par Zinal, le village situé à l’extrémité du Val d’Anniviers. Soit soixante-cinq kilomètres horizontaux et 5 200 mètres de dénivelé positif, parcourus en sept heures et quarante-cinq minutes.
Mais la magie, était-elle toujours là ? Sans aucun doute pour lui. Il m’a montré le résultat d’une ascension d’entraînement bouclée le matin même avec son père au-dessus de Vercorin – il lui avait donné un avantage pour qu’ils arrivent tous les deux au sommet en même temps. « En montagne, chaque entraînement est différent car le terrain est varié », m’expliquera-t-il plus tard. « Je ne m’ennuie jamais. J’arrive toujours à m’émerveiller en regardant la nature et les paysages qui m’entourent. »
Ensemble, nous avons passé une heure sur les skis et monté 450 m, soit moins d’un onzième du record personnel quotidien de Drion, avant de redescendre en trombe vers St-Luc. Même sur des skis « pygmées », il descendait toujours aussi rapidement. Une expérience qui vous rend singulièrement humble. Mais ça faisait du bien aussi : n’avait-il pas eu la gentillesse de m’emmener avec lui ?
Quelques jours plus tard, une fois installé dans la vallée, j’ai pris une autre piste de ski de randonnée balisée au-dessus de Zinal. La journée avait été frustrante pour diverses raisons, mais quelques 750 mètres de dénivelé m’ont remonté le moral. Peut-être pour des raisons essentiellement physiologiques – l’endorphine est un puissant narcotique – mais la vue sur les grands sommets m’a vraiment fait du bien. Il y a quelque chose de magique dans le fait de skier en montée, même à une fraction du rythme de Maximilien Drion.
Simon Akam est un journaliste et auteur britannique. Son premier livre, The Changing of the Guard – The British Army since 9/11, publié en 2021, a été élu livre de l’année par le Times Literary Supplement et a remporté le Templer First Book Prize. On peut trouver Simon à @simonakam sur Twitter, @simon.akam sur Instagram.
Photo d'en-tête : Simon Akam