Il était guide de haute montagne, expert en prévention des avalanches. La montagne, c’était sa vie. Aussi lorsqu’en 2019 le Canadien Tyson Rettie perd la vue en huit mois seulement, tout s’effondre. Mais convaincu qu’il ne s’agit pas pour lui de renoncer au ski de rando mais de skier autrement, de nouvelles perspectives s’ouvrent. Mieux, il ouvre un centre d’apprentissage au backcountry destiné aux aveugles et malvoyants. Une première, à découvrir dans un documentaire d’une dizaine de minutes réalisé par Anthony Bonello et Bruno Long.
« La tranquillité, la douceur » … voilà ce qu’a ressenties Peter Quaiattini, 59 ans, aveugle suite à un glaucome, après avoir réussi sa première série de virages dans une poudreuse d’un mètre de profondeur, raconte-t-il sur la page Instagram de Braille Mountain Initiative. Ce plaisir incomparable que toute skieur de backcountry ne connait que trop bien, il le doit à Tyson Rettie, fondateur de cette ONG qui n’a d’autre but que de rendre accessible la montagne aux malvoyants. Pas seulement sur pistes, comme ils peuvent déjà le faire dans nombre de stations en France et dans le monde, mais sur des faces vierges, en pleine nature et en toute liberté.
Une expérience unique à laquelle ce Canadien de 32 ans, guide de haute montagne, expert en prévention des avalanches, n’était absolument pas prêt à renoncer lorsqu’en novembre 2018 il constate que sa vision est floue au niveau de son œil droit. Quelques jours plus tard, il ne voit pratiquement plus rien de cet œil-là. Il ne faudra que huit mois pour qu’en juillet 2019 le même phénomène affecte son œil gauche. Diagnostic : maladie mitochondriale. Plus de vision centrale, vision réduite à une vision périphérique « Légalement, j’étais devenu aveugle », dit-il. « Le plus dur ce sera les six premiers mois » lui prédit-on. « Non, ce sera le reste de ma vie », ne peut-il s’empêcher de répondre car il sait que le ski, la montagne « c’est plus qu’une passion, un mode de vie », et qu’il n’est pas question pour lui d’y renoncer.
L’avenir prouvera que oui, se remettre à skier dans les pas d’un guide c’est dur quand on est habitué à être en tête, mais peu à peu, il se réapproprie la montagne et les sensations. Il apprend la confiance en l’autre et retrouve sa confiance en lui. Dès lors il n’aura de cesse de voir comment il pourrait faire découvrir cet univers à ceux qui, comme lui, en sont écartés, faute de pouvoir s’y diriger en toute sécurité. Il crée donc Braille Mountain Initiative, en pleine année Covid.
Deux plus tard, en avril 2022, c’est avec trois malvoyants qu’il part en montagne. De tous niveaux. De Tonny, la trentaine, nageur paraolympique et bon skieur (zéro vision et pratiquement aucune perception de la lumière) à Spencer, 21 ans, albinos ( 10% d’acuité visuelle) et Peter, 59 ans (perception réduite à la lumière) qui skie sur piste depuis l’âge de 10 ans. Tous vont apprendre les bases du ski de rando, technique de sécurité avalanche comprise, et en découvrir le plaisir. « Skier me fait me sentir incroyablement libre, c’est mieux que tous les autres sports que j’ai essayés. Je peux descendre aussi vite que je veux et prendre mes propres décisions », explique le jeune Spencer. Expérience concluante pour le groupe comme pour Tyson qui, malgré son handicap, retrouve son métier et sa raison de vivre. « Je savais que je n’arrêterai jamais le back country. La liberté que la montagne procure est sans comparaison », conclut-il, « car sur certaines descentes, j’arrive à oublier mon handicap visuel ». Un challenge doublé d’un autre dans le deuxième volet de sa vie professionnelle. Après avoir postulé à un certain nombre d’emplois et essuyé une série de refus, Tyson a décroché un poste à la radio où, équipé de logiciels spécifiques, il fournit tous les jours un bulletin météo avalanche. Là aussi, c’est une première.
Tyson Rettie : « Je me fie à mes sensations »
Interviewé par notre confrère Skymag ( groupe Outside), Tyson Rettie expliquait en décembre 2021 comment il avait adapté sa pratique depuis qu’il avait perdu la vue.
« La première fois que j’ai fait du ski de randonnée après avoir perdu la vue, c’était très bizarre de passer du statut de guide à celui de guidé. Mais j’ai appris à jouer un rôle interactif dans la prise de décision. Je peux toujours définir un profil de neige, je peux toujours sentir la neige sous mes pieds.
Je me fie à mes sensations. Je fais glisser la carre extérieure de mon ski de montée le long de la trace de la peau pour suivre la trace. À la descente, tant qu’il n’y a rien devant moi – et que je peux m’y engager – c’est exactement comme si je skiais comme une personne voyante. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me sentir à l’aise et avoir confiance dans le fait qu’il n’y avait aucun obstacle et que je pouvais tout simplement me lancer. Mais j’en suis là maintenant.
On ne peut pas vraiment imaginer les difficultés d’une personne handicapée tant qu’on n’a pas soi-même un handicap. Une fois ma vue perdue, j’ai très vite commencé à penser aux choses qui allaient me manquer. Puis j’ai pensé à tous ces gens qui ont été aveugles toute leur vie, et qui eux n’avaient même pas eu ma chance. On pense qu’il est impossible pour un athlète aveugle de faire du backcountry. C’est donc un obstacle important à surmonter. Le manque de formation en est un autre. C’est une chose que nous allons intégrer dans nos stages pour nous assurer que nos athlètes ont l’entrainement nécessaire pour continuer à pratiquer ce sport. Le ski de randonnée est le moyen le plus simple d’enseigner tout cela tout en offrant un accès facile au terrain et en restant abordable.
Nous allons offrir aux skieurs aveugles la possibilité de skier sans être « micro-managés ». En station, leurs virages sont souvent dictés par un guide. Ce n’est pas une expérience très autonome. Nous allons les conduire sur de grands glaciers ouverts, leur expliquer que là, sur 500 mètres, ils ne pourront rien toucher, et les laisser skier avec la même liberté qu’une personne voyante.
Pour moi, c’est l’occasion de rester actif dans mon secteur, d’oublier ma déficience visuelle et de me retrouver dans un scénario où les choses me semblent normales et où je ne me bats pas. Je n’ai pas encore skié dans une station depuis que j’ai perdu la vue et ça ne m’attire pas. Le ski de randonnée est donc le seul sport que je pratique. »
- Pour en savoir plus sur Braille Mountain Initiative, l’ONG créée par Tyson Rettie, c’est ici.
- Ecoutez sa chronique radio météo avalanche : ici.
- En France aussi on peut skier quand on est malvoyant, tout au moins sur piste et en station, comme à Serre Chevalier, pour ne citer que ce domaine. Pour davantage d’informations, contactez l’office du tourisme de la station où vous allez vous rendre. Vous pouvez aussi vous informer auprès de l’ESF, avant votre départ. Des moniteurs spécifiquement formés pourront vous initier au ski alpin ou au ski de fond.
- Intéressante également l’Association Sports & Loisirs pour Aveugles & Amblyopes (ASLAA), Créée en 1976, elle a pour but « d’organiser et de promouvoir des activités sportives, ski et tandem, pour les personnes déficientes visuelles.
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