La décision force le respect : arrêter la compétition de haut niveau pour des raisons écologiques. C’est ce que vient de faire aujourd’hui le navigateur français Stan Thuret, 25e de la dernière Route du Rhum, qui ne se retrouve plus dans le système de la course au large. « Je ne veux plus être tiraillé entre dire qu’il faut changer et ne pas changer moi-même » explique-t-il dans un long post. Exemplaire.
Vingt-cinquième de la dernière Route du Rhum en Class40, Stan Thuret alternait depuis sept ans entre sa caméra, métier de cinéaste oblige, et son bateau. Après avoir pris goût aux courses au large, notamment lors de la Mini-Transat en 2017, achevée à la 34e place en Série, il ne cessait d’enchaîner les épreuves. Autre performance notable : une 26e place sur la Transat Jacques Vabre aux côtés du snowboarder Mathieu Crepel en novembre 2021. Nul doute que le skipper de 35 ans avait un bel avenir de compétiteur devant lui. Mais le Français a fait le choix de la cohérence.
Certes, les courses au large lui ont beaucoup appris, tant dans le dépassement de soi que dans la découverte. « Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie de compétition sans limite à la performance. Car c’est un non-sens total. Car le prix à payer est lourd » explique-t-il sur Instagram. » […] Chaque humain ne peut émettre plus de 2T équivalent CO2 par personne et par an si nous souhaitons rester sous les 2 degrés de réchauffement » poursuit-il. « Un Français moyen 10T ? Un Class40 neuf 50T ? Un Imoca 600T ? Des centaines de milliers de tonnes pour l’organisation des courses ? […] D’autres aventures nautiques sont possibles. Celles d’aujourd’hui sont déjà obsolètes et bientôt nous allons avoir honte de ce que nous avons pu laisser faire ».
Marin engagé, co-président de La Vague, une association qui tend à faire évoluer la course au large vers plus d’éco-responsabilité, Stan Thuret souligne également « l’égoïsme », « l’indécence » mais surtout « la déconnection [du milieu de la course au large, ndlr] avec la réalité sociale et environnementale […] Je le sais, car j’ai été un de ces enfants gâtés ». Incompatible avec ses engagements personnels donc. Une décision sans doute douloureuse mais alignée avec ses valeurs. Par ailleurs, il invite tous les marins à s’interroger sur leurs motivations principales. Selon lui, « toute action qui contribue à dépasser les 2T devrait être remise en question ».
Un choix courageux qui nous rappelle celui d’Andy Symonds, ultra-traileur britannique, 5e à l’UTMB en 2019 notamment, ayant renoncé aux championnats du monde de sa discipline pour éviter d’aggraver un bilan carbone déjà trop lourd, ou encore celui d’Innes FitzGerald, jeune athlète de 16 ans qui a également refusé de représenter son pays lors des championnats du monde, de cross-country cette fois-ci, pour des raisons écologiques. « Je ne me sentirai jamais à l’aise de prendre l’avion en sachant que des personnes pourraient perdre leurs moyens de subsistance, leurs maisons et leurs proches à cause de cela » a-t-elle expliqué.
Photo d'en-tête : @stanthuretJ’arrête la course au large pour raison écologique.
J’ai décidé d’arrêter la course au large telle qu’elle existe aujourd’hui en 2023.
L’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité sont incompatibles avec la manière de vivre de la course au large et la compétition.
J’ai commencé la voile pour aller voir ce qu’il y avait derrière l’horizon et découvrir la beauté de l’océan.
La course au large m’a attrapé car le solitaire, je trouvais ça fou et hors-norme.
J’aime le défi, l’apprentissage, et le dépassement. C’est ça qui m’a mis à la voile.
Pour découvrir ce qu’il y a derrière l’horizon et se découvrir soi-même.
La compétition avait cette vertu là, d’inciter à donner le meilleur de soi-même face à son bateau et à l’océan, et de rassembler au même endroit au même moment d’autres fous comme moi.
Mais aujourd’hui, je n’ai plus envie de compétition sans limite à la performance.
Car c’est un non-sens total.
Car le prix à payer est lourd.
Et je ne veux plus être tiraillé entre dire qu’il faut changer et ne pas changer moi-même.
Quand je regarde objectivement ce milieu, je vois des enfants qui jouent entre eux et se disputent le meilleur jouet sans regarder ce qui se passe autour. De manière très égoïste.
Avec beaucoup d’indécence.
Complètement déconnectés de la réalité sociale et environnementale.
Je le sais, car j’ai été un de ces enfants gâtés.
A peine une grande course terminée qu’on annonce vouloir faire du neuf, plus vite, plus rapide pour gagner.
La compétition, c’est de la création de conflit.
C’est de la sélection.
C’est faire preuve de soumission. C’est du conformisme. C’est accepter un système. C’est de l’addiction facile.
Bien loin de la création, de la poésie, de l’exploration, de la recherche d’équilibre et de sens à laquelle j’aspire, comme de plus en plus de personnes de ma génération.
Je trouve cela d’une grande vanité.
Cela me rend triste, mais je ne perds pas mon optimisme.
Bien au contraire.
C’est aussi la nature, la sélection naturelle, pourrait-on rétorquer. Mais n’est ce pas justement à nous d’élever notre niveau de conscience pour dépasser ce stade primaire ?
La course au large serait là pour nous faire rêver.
Mais qu’y a-t-il encore à raconter ?
La com’ et le marketing arriveront toujours à créer et vendre des concepts.
Mais cela commence à se voir cette coquille vide.
Certes la course au large parle d’inspirer via la liberté, l’horizon, le changement de cap… Mais toujours à bord de machines de guerre, prêtes au combat, pour une mise en avant personnelle… Aidez-MOI ! Je mérite de réaliser MON rêve !
Pourtant l’humain et l’universel sont le coeur de ce qui nous passionne dans la voile et l’océan.
Mais combien de marins ont pris le temps de se questionner sur leurs motivations ?
Combien de marins ont pris le temps de se former pour essayer de comprendre scientifiquement l’océan, alors qu’ils l’utilisent tous les jours ?
On se voile tous la face à entretenir ce brouillard qui nous arrange bien.
Alors qu’aujourd’hui, si nous voulons espérer un futur pour nos enfants nous devons travailler avec nous même, avec la nature, et trouver l’équilibre ensemble dans des rêves collectifs et fédérateurs.
Les réseaux sociaux, où se construisent désormais nos rêves et nos envies, nous enferment trop souvent à vouloir copier ce que nous propose la norme actuelle, pour mieux nous contrôler, nous comparer et nous rendre triste.
Mais d’autres aventures nautiques sont possibles.
Celles d’aujourd’hui sont déjà obsolètes et bientôt nous allons avoir honte de ce que nous avons pu laisser faire.
Depuis 3 ans et mon engagement écologique avec l’association La Vague, je ne fais que m’ouvrir à une vérité scientifique dure à entendre et à comprendre.
On ne va pas dans la bonne direction.
L’urgence climatique est là.
On peut être éco-anxieux.
Ou éco-inconscient.
Que disent les chiffres des scientifiques ?
Chaque humain ne peut émettre plus de 2T équivalent CO2 par personne et par an si nous souhaitons rester sous les 2 degrés de réchauffement.
Un Français moyen 10T.
Un Class40 neuf 50T ?
Un Imoca 600T ?
Des centaines de milliers de tonnes pour l’organisation des courses ?
Certes la voile n’est pas le gros pollueur.
Mais toute action qui contribue à dépasser ces 2T devrait être remise en question.
Chaque initiative, chaque question posée, même si l’on n’est pas parfait, va dans la bonne direction pour initier une transition.
Il est vrai aussi que la moindre action est polluante, et que si l’on arrête tout, on revient à Voltaire qui cultive son jardin…
Il y a un entre-deux et un équilibre à trouver, une question d’échelle à assimiler.
Car la technologie ne sauvera pas tout, mais elle doit pouvoir trouver sa place et un usage raisonné.
Depuis 3 ans je me dis qu’il faut rester dans le milieu et essayer chacun, de faire bouger les choses à son échelle, de l’intérieur.
Mais aujourd’hui, comme dans la société et en politique, tout le monde se regarde, et personne n’agit véritablement et nous sommes très loin d’être à la hauteur des enjeux.
L’interdépendance des classes, des organisateurs de course et des communicants est si forte que tout le monde se tire la couverture sans penser au bien commun.
Soit je me tais et je reste frustré d’être dans l’imposture de cette kermesse médiatico-réseaux sociaux- commerciale…
Soit je pars à l’aventure dans l’honnêteté, dans une vérité, dans ma vérité, dans une transition.
Certainement moins rentable. Mais bien plus libre et créative.
Pleine d’inspiration positive.
Donc oui, je vais aller vers plus de sobriété, plus de simplicité, plus de low-tech.
Avec l’écologie en arrière-plan comme principe de base.
Mais aussi sans doute plus de vérité, d’authenticité, et d’universalité.
Car la finalité c’est le bonheur non ?
Je veux aller chercher ça ailleurs que dans ce que l’on veut nous vendre artistiquement, sportivement, économiquement et socialement depuis qu’on est tout petit.
A nous de ré-inventer de la joie, de la vie et du collectif.
Le sportif et la science peuvent avoir une dimension artistique avec du sens et de la beauté.
Aller vers la beauté, vers la simplicité, se reconnecter, c’est la seule chose qui peut encore nous sauver.
Tout ce que je raconte peut paraitre naïf, utopiste, simpliste ou en dehors de la réalité…
Je le sais, mais c’est ce qui me plait.
Quand on passe du temps sur l’eau, on se rend compte de l’absurdité de l’existence et qu’il faut être a l’écoute de soi-même.
Je ne sais pas où ce chemin va me mener.
Et je suis bien content de ne pas le savoir.
Je suis toutefois reconnaissant de tout ce que j’ai vécu et appris au contact de la course au large et de ce que j’ai pu partager avec mes sponsors et les amis qui m’ont suivi.
Si j’écris ce texte c’est d’abord pour moi-même.
Mais je veux partager ma réflexion à tous ceux qui rêvent et s’inspirent de la course au large.
Je ne souhaite pas casser les rêves de ceux qui aspirent au large.
Seulement montrer que d’autres imaginaires sont possibles.
Dans la voile comme dans tous les autres domaines.
Je n’abandonne pas le navire.
Il y a encore tellement de choses à imaginer.
Pleins de défis et de sillages à tracer, et je suis prêt à travailler avec des passionnés motivés.
Une classe de bateau monotype et durable associée à des aventures océaniques nouvelles ?
Je déclenche juste un empannage vers une zone non cartographiée où les fichiers météo ne peuvent pas me donner de routage sur ce qui va se passer.
Les choix que nous faisons aujourd’hui nous laissent deux options :
– soit on casse le futur
– soit on commence à le réparer
Faire mieux, avec moins, ensemble, sur une expédition artistique engagée.
Je vous raconte bientôt mes nouveaux projets.
Merci à tous.
Stan
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