Sortie en mars dernier, juste avant l’arrêt brutal de la saison de ski, la Duke PT s’annonçait très prometteuse. Forcément elle nous intriguait. Nous avons passé les 11 derniers mois à la tester. Et nous n’avons pas été déçus.
Il y a près d’un an maintenant, la marque allemande sortait sa Duke PT (600 euros). Une fixation de freerando conçue pour les skieurs qui veulent… tout, ou presque. Soit les performances en descente d’une fixation alpine haut de gamme, mais aussi la légèreté et la technicité d’une bonne fixation de rando pour assurer en montée.
La promesse n’est pas nouvelle. Les marques de ski essaient depuis des décennies de développer ce type de fixation. Au fil des ans, on a vu arriver sur le marché toutes sortes de solutions, mais aucune n’était vraiment parfaite. Pourquoi cette obsession ? Une seule réponse : qui n’a pas été tenté un jour par un hors-piste uniquement accessible au prix de quelques conversions ? Or la Duke PT est peut-être un peu pénalisée par son poids, mais c’est le premier système qui assure en montée tout en vous permettant vraiment d’envoyer en descente et de vous faire plaisir sur de grosses sessions freeride.
Avant la Duke PT que trouvait-on sur la marché ?
Pendant des décennies, la plupart des autres fixations de freerando étaient nulles, que ce soit en descente ou en montée, ou les deux. Prenons le cas des fixations « low tech » telles que celles de la marque Dynafit. Légères et très efficaces, elles sont idéales pour les longues randonnées où l’économie d’énergie prime sur la performance en descente. Mais elles pêchent dès que vous prenez de la vitesse en descente ou lorsque vous skiez sur terrains accidentés. Car leur système n’offre pas de véritable débattement élastique, la talonnière bloque le talon de la chaussure sans absorber les chocs, ce qui vous prive de puissance en fin de virage. D’où une conduite trop rigide manquant de précision.
Dans une fixation alpine, de gros ressorts hélicoïdaux agissent comme des amortisseurs, permettant à la chaussure de se déplacer subtilement d’un côté à l’autre mais aussi de revenir au centre. Les fixations « low tech » déchaussent aussi, mais pas de la même manière que les fixations alpines, ce qui pose un problème de sécurité. Dans certaines situations, elles ne déchaussent pas latéralement et dans les bosses ou en terrain accidenté, le talon peut déchausser prématurément. Ce sont les meilleures fixations pour la montée, mais en descente vous devez lever le pied.
Depuis la fin des années 1990, les fabricants ont essayé différentes approches, notamment en travaillant sur la hauteur de la fixation ou de la plateforme. Mais cela n’a conduit qu’à une perte de sensibilité et à de moindres performances en descente ; on pense notamment à la « Duke original » de Marker ou à la « Guardian » de Salomon.
Récemment, des fixations de freerando comme la Kingpin (environ 500€), toujours chez Marker, et la Shift (environ 450€) chez Salomon, se sont rapprochées d’une fixation capable d’envoyer en toutes situations. Mais la Kingpin souffre toujours de cette sensation de rigidité au niveau de l’avant du pied. Et bien que la Shift soit considérée comme la solution parfaite par de nombreux skieurs – elle combine la sécurité de l’alpin et une efficacité impressionnante en montée – mais elle n’est finalement pas si performante car elle ne possède pas les renforts métalliques et les ressorts d’une fixation alpine haut de gamme. J’ai été l’un des premiers à l’adopter et je suis un fan de ce système depuis près de quatre ans – le mécanisme est extrêmement facile à utiliser et son poids suffisamment léger pour les grandes journées de rando, si vous êtes en forme – mais si la mâchoire avant de la Shift se compare à ce qu’il y a de mieux en alpin, sa talonnière légère et son débattement élastique limité font qu’elle n’est pas au niveau en descente. Pour être plus précis, elle n’exerce pas autant de pression vers le bas au niveau du talon, de sorte que dans un virage un peu relevé, les forces G peuvent faire bouger la chaussure latéralement. Lors de mes essais, je n’ai rien senti en poudreuse, mais sur neiges dures, c’était nettement plus flagrant. Il en résulte une perte de puissance et une sensation de sécurité moindre, d’autant qu’on a la nette impression que les carres n’accrochent pas aussi fort.
Tout cela nous ramène aux besoins des skieurs experts. Jusqu’à présent, ces skieurs-là n’avaient qu’une seule option : le système de fixation CAST qui permet de retirer sur le terrain une mâchoire d’alpin et de le remplacer par une mâchoire technique pour la montée. Comme il ne fonctionne qu’avec les fixations Look Pivot, qu’il est compliqué à installer et qu’il n’est pas disponible en magasin, on l’a surnommé le « One Percenter », du coup, il est plutôt conçu pour les pros. Reste que pour info, cette saison, CAST en a vendu plus de 2 000 exemplaires !
Et là-dessus, est arrivée la Duke PT.
Focus sur la Duke PT
En mode alpin, il est difficile de distinguer ce nouveau modèle freerando de la Jester, la référence alpine de Marker pour le freeride. Mais en appuyant sur le mécanisme à l’avant, la mâchoire s’ouvre miraculeusement, révélant une merveille de technologie. À ce stade, vous avez deux options. Si vous partez pour une randonnée courte, il vous suffit d’appuyer sur la butée et de verrouiller les inserts. Pour les randonnées plus longues, enlevez complètement la butée amovible. Vous pouvez mettre la pièce dans une poche ou votre sac à dos, ce qui est nettement moins fatigant que de la porter au niveau du pied. D’un geste, verrouillez le frein pour vous mettre en mode rando complet. A noter que pour faciliter la montée, un système intégré au frein vous offre 10 degrés de portance.
En descente, il suffit d’inverser le processus. La Duke PT existe en deux versions : La PT 12 (environ 550€) qui pèse 1 090 grammes au total ou 850 grammes sans la butée. La PT 16 (environ 600€), avec son ressort plus épais et son talon renforcé, qui pèse 1 280 grammes ou 1 000 grammes sans la butée. À titre de comparaison, la Shift pèse 860 grammes, et une Dynafit ST Rotation (450€) pèse 605 grammes. Enfin la Duke PT est compatible avec les chaussures alpines ordinaires, les GripWalk et les chaussures de randonnée avec inserts.
Notre test sur le terrain
J’ai testé le système pendant six jours en rando et quelques jours encore en station. Au pied, j’avais des Dalbello Lupo Air 130, une chaussure de freerando avec inserts et les nouveaux Volkl Blaze 106.
A première vue la Duke PT a l’air assez imposante, mais en fait elle passe très bien. Après quelques runs d’échauffement, j’ai pu passer du mode ski au mode randonnée en glissant les deux butées amovibles dans ma poche en moins de 15 secondes. En les laissant attachées, je gagne encore plus de temps. Une petite accumulation de neige a ralenti ce processus (comme pour la Shift, je conseille d’emporter dans votre sac une petite brosse pour chaîne de vélo). Le retour au mode ski est presque aussi rapide, mais il faut un peu d’entraînement pour prendre le coup. Pourtant, je l’ai fait en moins de 20 secondes pour les deux skis. A noter que Marker a également modifié l’emplacement du pivot du talon dans plusieurs de ses fixations haut de gamme, dont le Duke PT, il est désormais plus facile de revenir en arrière.
En montée, les fixations Duke PT 16 que j’ai testées étaient, bien sûr, sensiblement plus lourdes que mes Dynafit Superlites et un peu plus lourdes que mes Shifts. Cela dit, il est assez difficile de dire qu’on ressent vraiment les 115 grammes supplémentaires (par paire) quand on porte des chaussures déjà assez lourdes. Mais dans l’ensemble, elles fonctionnent parfaitement et je n’ai jamais appuyé accidentellement sur le stop-ski, contrairement à ce qui m’arrive au moins une fois par jour d’habitude. En ce qui concerne les performances en descente, la Duke PT 16 est au niveau de la Jester Pros que j’ai utilisée pendant des années. Objectivement, la PT offre deux à trois fois plus de débattement élastique au talon que tout autre fixations de freerando, et la pression vers le bas sur le talon est nettement plus forte. Au niveau de la butée avant, la Duke présente les mêmes points de contact et de retour au centre que la Jester. Tout cela pour dire qu’on a le même résultat qu’avec les fixations alpines les plus robustes du marché. Et du coup, je ne me suis pas privé du plaisir de les pousser au max en descente.
Le verdict
En matière d’équipement, j’essaie de ne pas être trop réducteur. Beaucoup d’excellents skieurs skient très bien avec des fixations « low tech ». Et de mon côté, pour les grandes randos ou les approches extra-longues, je préconise toujours de miser sur un équipement léger.
On sait déjà que la Salomon Shift est parfaite côté sécurité et skiabilité en rando. Alors, que peut bien apporter la Duke PT ? Si la Shift est une freerando qui sacrifie un peu de performance en descente au profit de l’efficacité en montée, alors la Duke PT est un modèle qui sacrifie l’efficacité en montée pour donner nettement plus en descente. Pour l’expliquer autrement, je dirais que ce serait l’équivalent d’un vélo à double suspension avec 150 millimètres de débattement. Comme la Duke PT est lourde, elle ne sera pas aussi efficace qu’une Shift en montée, mais vous l’oublierez vite, dès lors que vous prendrez de la vitesse en descente.
En fin de compte, avec le recul de 20 ans d’expérience, je peux dire que c’est un modèle qui excelle en descente et qui assurera aussi en montée. elle sera parfait sur les terrains difficiles et conviendra à tous ceux, plutôt exigeants, qui recherchent de la fonctionnalité en montée et de la performance en descente, mais aussi pour tous les bons skieurs plutôt axés station, tentés de quitter la piste pour se lancer dans une rando un peu engagée.
Photo d'en-tête : Marker