Comment choisir un vêtement en fonction de son faible impact environnemental et social ? Cet impératif commence à affleurer, en particulier chez les amoureux des grands espaces. Les marques adoptent certes diverses stratégies pour y répondre, mais le véritable acte d’achat responsable existe-t-il aujourd’hui ? Outside a enquêté. Gros plan aujourd’hui sur les matières premières : naturelles ou synthétiques, lesquelles choisir ? Les vêtements techniques feront l’objet de notre deuxième volet, à paraître demain.
On ne peut plus dire que l’on ne savait pas. L’industrie textile est bien l’une des plus polluantes du monde. Elle consomme en outre d’énormes quantités de ressources. Fabriquer un jeans ? Entre 7 000 et 11 000 litres d’eau. Un tee-shirt? 3000 litres. Par ailleurs, le lavage en machine de nos fibres synthétiques relâche 500000 tonnes de micro-particules de plastique dans les océans chaque année, soit l’équivalent de 50 milliards de bouteilles.
Une prise de conscience de la fragilité des écosystèmes s’opère à grande vitesse chez les consommateurs, mieux informés de l’urgence climatique et des niveaux de pollutions. Certains activistes passent par des actions spectaculaires pour faire bouger les comportements : le 12 avril dernier, le collectif Extinction Rebellion, né au Royaume-Uni en 2018, bloquait les portes d’une grande enseigne parisienne en y répandant des tonnes de vêtements et de plastique. Le but ? Dénoncer la toxicité des modes de production des marques de fast fashion qui poussent à la surconsommation, au mépris des conséquences sur l’humain, la faune et l’environnement.
Le secteur de l’outdoor, plus qu’un autre, est sous le feu des projecteurs. Comment proclamer son amour pour la planète à longueur de photographies et de slogans faciles si les normes de production, environnementales et sociales, viennent bafouer ces grandes déclarations ?
Février 2019. Juste avant la grand-messe de l’outdoor, à Munich, Patagonia, une des marques pionnières de l’action environnementale, change sa raison d’être. L’emblématique fondateur de la marque annonce : « Notre entreprise existe pour sauver la planète. »
Coïncidence ? Toute une aile du salon ISPO est consacrée aux actions et innovations liées à l’environnement : affichages, tables-ronde, démonstrations de procédés de recyclage et stands d’ONG cherchent à attirer l’oeil et aiguiser la réflexion. La grande majorité des marques font écho à cet imposant dispositif en communiquant sur leurs actions vertueuses et en annonçant leur participation à des actions collectives visant à diminuer leur impact.
Alors, comment faire pour être un consommateur responsable ? Quelles matières ont un réel impact positif ? Le cycle de vie d’un produit est complexe et son usage variable. Et à situation complexe, il n’existe pas de solution simple.
Fibres naturelles ou synthétiques ?
Globalement, la part des fibres synthétiques est en forte augmentation. Leurs microparticules ou microfibres, relâchées lors des lavages en machine, sont en partie responsables de la pollution des cours d’eau et des océans.
Même dans des régions reculées des Pyrénées, on respire des microfibres de plastique ! C’est le triste constat d’une étude française publiée le 15 avril dernier dans la revue Nature Geoscience. Et pas qu’un peu : sur une période d’observation de 5 mois, dans une zone située à 25 km de la première ville (Foix, 9000 habitants), le dépôt quotidien moyen est de 365 microplastiques par m² . Soit autant que dans les grandes villes françaises. Depuis Tchernobyl au moins, on sait que les masses d’air ne connaissent pas de frontières…
Interrogé par le journal Le Monde, Johnny Gasperi, maître de conférences au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains (LEESU, université Paris-Est-Créteil) rationalise cette découverte : « Cela nous met face à nos pratiques : nous utilisons le plastique massivement depuis cinquante ans et nous portons tous des vêtements en fibres synthétiques depuis trente-quarante ans, Tout cela laisse des traces, forcément. »
Comment l’industrie textile outdoor répond-elle à ce défi ?
Une solution consiste à passer par le recyclage : sa production nécessite 59% d’énergie en moins par rapport au polyester vierge, selon une étude de 2017 de l’Office fédérale de l’environnement (OFEV). Les émissions de CO2, elles, seraient réduites de 32 %. Enfin, l’extraction de ressources fossiles est également réduite.
Toutefois, selon Nicolas Deweerdt, responsable export de Payen, une des industries de premier rang du moulinage synthétique européen, la matière se dégrade au recyclage, ce qui peut altérer sa durée de vie et la qualité des vêtements en bout de chaîne. Selon lui, « l’engouement pour les matériaux éco-conçus au détriment de la durabilité ne change pas la logique de production de masse. » On serait donc dans une logique productiviste et consumériste chère à la fast fashion, étayée par des initiatives écologiques, dont les bénéfices environnementaux, considérés globalement, seraient très réduits. Une démarche assimilable à du greenwashing. Plus grave, le polyester recyclé, dont la structure est altérée, libérerait plus de micro-particules lors des cycles de lavage. Enfin, il reste plus énergivore à produire que les fibres naturelles.
Alors, que faire ? Le polyester est prisé des sportifs car il est résistant et évacue bien l’humidité. Il est donc difficile de s’en passer complètement.
L’innovation, elle, continue d’aller de l’avant : Primaloft présentait à ISPO en février dernier un matériau composé entièrement de fibres synthétiques recyclées et biodégradables.
Les matériaux biosourcés et biodégradables sont en plein essor même si leur développement est freiné par des contraintes technologiques, économiques et éthiques : En effet, dans un contexte de tension alimentaire, faut-il utiliser des matériaux comestibles pour fabriquer des vêtements ? Pour pallier ce problème, « il faut privilégier les bioplastiques de 2ème génération voire de 3ème génération » souligne Virgile Aymard, ingénieur textile indépendant. En effet, « contrairement aux bioplastiques de première génération, fabriqués à partir de plantes détournées de leur usage principal (maïs, canne à sucre, pomme de terre…), la deuxième génération utilise des ressources végétales non vivrières comme les déchets verts.»
In fine, devant la raréfaction des matières premières, le recyclage reste « l’avenir du textile et s’inscrit dans une démarche circulaire complète », selon Mara Poggio, responsable de projets de recherche en développement durable du Centre européen des textiles innovants.
Et les fibres naturelles ?
Elles sont nombreuses. D’origine végétale ou animale, le coton et la laine restent les plus connues. D’autres se développent rapidement, tout en occupant des parts de marché encore confidentielles (chanvre, lin). Elles sont disponibles en quantité limitée et posent parfois la question du bien-être animal.
Par exemple, la laine mérinos, issu du mouton éponyme, connaît un fort engouement dans le monde de l’outdoor. Elle comporte de nombreux avantages, notamment celui de mieux absorber l’humidité que le coton et de ne pas retenir les (mauvaises) odeurs comme le synthétique. De plus, c’est un matériau durable et biodégradable. Mais la forte demande augmente la taille des cheptels. En Nouvelle-Zélande, 90% des émissions de gaz à effet de serre sont des émissions de méthane, qui proviennent majoritairement de l’élevage de moutons. L’élevage a donc un impact direct sur le réchauffement de la planète. De plus, la demande accrue de productivité entraîne un regain de maltraitance animale. La pratique du museling est controversée. Il est alors utile de se renseigner sur la transparence et les pratiques de la filière et vérifier que la marque travaille avec des producteurs certifiés soumis à des audits et reconnus par des labels fiables, comme le GOTS.
Un label qui s’applique aussi au coton, qui reste la fibre naturelle la plus produite au monde. Doux et agréable à porter, il est bien sûr moins indiqué pour la pratique sportive, puisque il n’évacue pas l’humidité. Par ailleurs, dans la perspective du recyclage, ses fibres se dégradent rapidement. Et sa culture est très gourmande en espace, en eau et en pesticides : elle concentre à elle seule 15 % des pesticides de la planète.
Une parade ? Le coton biologique . Non seulement sa culture est plus respectueuse de l’environnement, car sans pesticides, mais la façon dont il est produit également : il est filé et blanchi avec des agents non toxiques, et des teintures de bonne qualité. Evidemment, cela a un coût : toutefois,en consommant moins mais mieux, la différence de prix sera facilement absorbée.
Certaines marques choisissent de combiner les deux fibres (coton biologique et polyester recyclé) pour obtenir « un bon mix. » C’est le cas de Hopaal. La jeune marque française affirme : « nos vêtements sont en majorité composés à 60% de coton bio recyclé pré-consommation – des chutes de production, les fibres n’ont jamais été utilisées – et à 40% de polyester recyclé post-consommation, provenant de bouteilles plastique recyclées. Ce mix nous assure des produits confortables, résistants et durables. »
Pour résumer : je fais quoi ?
-Avant tout, s’interroger : ai-je vraiment besoin d’un dixième tee-shirt de course?
-Puis, réfléchir à l’usage du vêtement : sportif, loisir ?
-Opter pour le matériau durable le plus approprié à la pratique choisie.
-Opter pour des fibres de qualité, les plus durables possible.
-Suivre les conseils d’entretien distillés par l’association Stop ! Micro-waste : choisir des cycles courts à basse température ou encore utiliser un sac filtrant les particules lors des passages en machine.
-Miser sur des labels exigeant, répondant à des critères environnementaux et sociaux définis. Nous recommandons : Bluesign,GOTS, Oeko-Tex.
-Examiner la démarche globale d’une marque est essentiel. Cette étape permet de prendre conscience de tous les jalons de la vie d’un produit. Si la qualité des matériaux et leur impact écologique reste un point majeur, il est essentiel de s’intéresser aussi à la traçabilité et à la transparence de la chaîne de production. On peut sur ce point se référer aux études de la fondation Fair Wear, avec laquelle travaillent de nombreuses marques. Les conditions de travail et la qualité environnementale des usines de production, le transport et la logistique, le packaging, la fin de vie des produits : nombreux sont les thèmes qui méritent attention.
-Garder un œil sur les initiatives de certaines marques. Pour plus de clarté, certaines choisissent d’élaborer en interne leur propres labels, sous la supervision d’organismes indépendants, pour donner de la visibilité à leur démarche et informer le consommateur. C’est le cas notamment du Millet Mountain Groupe, dont le label Low Impact, créé en 2005, « analyse l’ensemble du cycle de vie » des produits.
Dans le monde exigeant de l’outdoor, une constante revient : celle de fabriquer les matériaux les plus durables possibles. C’est d’ailleurs ce principe qui préside à la fabrication des vêtements techniques les plus innovants. Point auquel sera consacré la suite de notre enquête, à paraitre demain.
L’industrie textile en chiffres
-L’industrie textile génère plus de CO2 que le trafic aérien et maritime réunis. Elle serait la 2e industrie la plus polluante après celle du pétrole.
-74 millions de tonnes : La quantité de fibres textiles produites dans le monde chaque année. 1/3 de fibres naturelles, 2/3 de fibres chimiques.
-700000 tonnes : La quantité d’articles vendus en France chaque année. (environ 100 tonnes sont collectées pour du recyclage ou des dons aux associations).
-200000 litres : C’est la quantité d’eau nécessaire à la production d’une tonne d’articles textiles.