« L’ultimate run », la ligne parfaite. L’Italien Markus Eder en rêvait depuis six ans. C’est chose faite. Résultat, un des plus beaux films de ski jamais réalisés, un concentré de toutes les facettes du free ski réunies dans une séquence de 10 minutes, admirablement shootée par Christoph Thoresen, cinéaste et ancien snowboarder professionnel. Créativité, virtuosité, esthétique et engagement…difficile de faire mieux.
« Parfois mon esprit devient un peu fou quand je pense ski et je me demande, et si… ? » , s’interroge Markus Eder, sans doute l’un des riders les plus polyvalents du moment. Et si vous pouviez enchaîner tous les virages en poudreuse, tous les rails, toutes les chutes de falaise, tous les tricks en un run ultime ? C’est ce qu’a fait l’Italien dans « The Ultimate Run » !
En 2019, il remportait le Free Ride World Tour et annonçait dans la foulée son retrait du circuit. Son projet ? Se concentrer sur la vidéo et travailler sur un projet personnel. Et quel projet ! ne peut-on s’empêcher de dire au visionnage de « The Ultimate run », une virée parfaite depuis les sommets suisses de Zermatt jusque dans la vallée italienne de Luttach, en Italie. Il aura fallu pas moins de 105 jours de tournage dans les Alpes, dans la région d’origine de Markus, pour réaliser ce qui s’impose aujourd’hui comme son Opus Magnum, un pot-pourri de face shots, de tricks massifs et de drops encore plus grands, menés avec un virtuosité qui laisse sans voix.
« Tous les aspects du freeski m’ont toujours fasciné », explique Markus, 30 ans. On veut bien le croire. Il suffit de le suivre depuis les hauteurs de Zermatt, où débute le film et où il se jette dans une étendue de poudreuse, avant de se frayer un chemin à travers des blocs de glace de la taille d’un bus, de sauter des falaises de glace, puis de glisser dans le ventre du glacier, pour réapparaître au-dessus de sa station natale de Klausberg. Une première séquence saisissante. Part II, changement d’ambiance : poudreuse fraîche et session entre potes au snowpark local. Fun et vertigineux. Part III : autre ton, autre rythme et shooting insensé dans les dédales du château de Taufer avant de sillonner une ville minière. Six années de ski de rêve condensées en dix minutes de pure joie et d’adrénaline. C’est beau, c’est fort, c’est innovant et c’est absolument incontournable.
Interview express de Markus Eder
Interrogé par Red Bull, coproducteur du film, le rider revient sur la genèse de « The Ultimate run » et les difficultés de ce tournage, dont 80% des plans ont été shootés dans sa région natale, vers Luttach, en Italie, et en particulier dans sa station, Klausberg. « D’ordinaire, nous n’avons pas de neige, nous avons donc été très chanceux », reconnait le rider. » Au départ, nous n’avions pas imaginé pouvoir tout tourner dans une seule région, mais tout s’est parfaitement aligné. »
Comment t’est venu ce projet ?
J’en rêvais depuis longtemps et j’avais déjà tenté de le réaliser en 2015, malheureusement, je m’étais disloqué l’épaule dès la première séquence. Mais l’envie est restée. Après avoir gagné le Freeride World Tour en 2019, je me suis donc rapproché des gars de Legs of Steel et ça leur a tout de suite plu. À partir de ce moment-là, ça n’était plus mon seul projet, mais le nôtre. J’ai toujours eu envie de dévoiler toute l’étendue de ma pratique dans un seul projet fluide. J’aime m’adonner à toutes les disciplines, et ce Ultimate Run m’a permis de les rassembler.
Des sommets montagneux aux villes minières, le film couvre de nombreux styles de spots. Comment les as-tu choisis ?
J’imaginais depuis longtemps déjà les lignes dans le château et à travers Klausberg. En fait, mon père est né dans ce château et j’ai appris à skier à Klausberg. Autant dire qu’on parle de deux spots très spéciaux. J’ai découvert les autres au fil de l’eau. Je suis notamment tombé sur la ville minière en cherchant des décors urbains sur Google street view. Elle n’était en fait qu’à une heure de route de ma ville natale. Cette véritable Mecque a été l’une de mes plus grandes révélations dernièrement.
Il semble que la variété des décors t’ait aidé à imaginer des figures uniques. Quel trick a la meilleure histoire ?
Celle du backflip depuis le camion est assez marrante. Mon pote Tofi a utilisé celui de sa boîte de construction, et le seul moment où j’avais assez d’élan pour rentrer le trick, c’est lorsqu’il se crashait contre un mur de glace. Il devait donc freiner tard et foncer droit dans le mur. Autant dire que le camion était pas mal amoché à la fin. Le passage sur le rail de Klausberg a aussi été compliqué à réaliser, puisqu’il a nécessité plus de 200 tentatives.
Et le gros 360 envoyé à Zermatt ?
Je voulais faire un gros air, et le gap de Zermatt était parfait pour ça. Et comme j’ai rentré facilement la plupart de mes tricks au cours de la saison, j’ai tenté celui-là sans m’échauffer. Sauf que ça ne s’est pas passé comme prévu. J’ai mal jugé la direction prise pendant le décollage et j’ai atterri plusieurs fois dans une zone pleine de gros morceaux de glace. C’était super gênant. D’habitude, je sais ce que je peux faire ou non, mais visiblement pas sur ce spot.
Comment as-tu géré la pression qui accompagne un tournage de deux ans ?
Comme toutes les idées venaient de moi et que nous avions assemblé une équipe d’élite, j’ai effectivement subi pas mal de pression. Je ne pouvais pas me blesser. Le moindre souci aurait fait dérailler le tournage, dont toutes les séquences devaient s’enchaîner. D’habitude, tu testes quelques gros trucs sur chaque élément. Cette fois-ci, je devais tester le spot, tenter une figure difficile et ensuite boucler la session. Il y a de nombreux plans que j’aurais pu mieux faire, mais de façon globale, je ne pouvais pas trop m’engager parce qu’il fallait que je me préserve physiquement.
Tu es habitué à faire des compétitions et filmer avec des crews plus importants. Est-ce que le fait d’être le seul skieur en lumière n’a pas été trop dur à appréhender ?
Être le seul skieur impliqué a clairement été le plus gros challenge, mais c’était aussi très cool. Quand vous filmez avec un gros crew, vous ridez ensemble, vous prenez des décisions ensemble et vous galérez ensemble. Mais cette fois-ci, j’étais en solo et c’était assez compliqué mentalement. J’ai appris que rider un rail effrayant est beaucoup plus facile quand d’autres skieurs le font aussi. J’ai très envie d’y retourner avec une plus grosse équipe. Pas d’être à nouveau isolé sur un projet très personnel.
Ce run couvre tous les styles de freeride. Comment as-tu réussi à rester motivé en passant d’une discipline à l’autre ?
Après avoir fait du backcountry pendant un mois, je n’avais qu’une envie : passer au park le suivant. Sauter d’un style à l’autre m’a surexcité. Dès que je m’ennuyais, je changeais. Je pense que c’est le secret pour maintenir un tel niveau de maîtrise. D’habitude, une fois qu’on se lance dans le backcountry, on ne fait plus machine arrière. Mais le parc est tellement fou que je pense le rider toute ma vie.
Pour en savoir plus sur les coulisses du tournage, direction Red Bull TV. Un film de 17 minutes avec des interviews de Markus Eder et du réalisateur, Christoph Thoresen (en anglais avec sous-titres dans cette langue).
Photo d'en-tête : Legs of Steel