Le 27 juillet, Mohammed Hassan, un porteur pakistanais de 35 ans, trouvait la mort au Pakistan lors de l’ascension du K2 (8 611 m). Une cinquantaine d’alpinistes l’auraient contourné sans lui apporter la moindre aide alors qu’il était encore en vie, trop pressés peut-être d’atteindre le sommet. Parmi eux, Kristin Harila, aujourd’hui sous le feu des critiques. Ce jour-là, elle gravissait elle aussi le 2e sommet du monde, bouclant ainsi son record des quatorze 8000. De quoi soulever un tollé dans la communauté de la montagne. En tête des critiques les plus virulents, la légende de l’alpinisme, l’Italien Reinhold Messner, dégoûté par ce drame aujourd’hui au cœur d’une enquête visant à comprendre ce qui s’est passé exactement et dans quelle mesure les personnes sur place ce jour-là ont une part de responsabilité.
« Ici, l’égoïsme l’a emporté et l’empathie est morte », déclare, accablé, Reinhold Messner dans une interview accordée au média allemand Welt. « Avant, lorsqu’un accident se produisait, tout le monde s’arrêtait et essayait d’aller porter secours », explique-t-il. L’alpiniste italien, 80 ans aujourd’hui, le premier à gravir l’Everest sans apport d’oxygène, a risqué sa vie sur de nombreux sommets de plus de 8000 mètres, il se montre stupéfait par les conditions de la mort de Mohammed Hassan, porteur pakistanais, apparemment laissé sans secours lors de l’ascension du K2, le 27 juillet dernier. Il y voit la preuve que toute éthique a disparu. « (En montagne, ndlr ), il y a une chose qui va de soi, c’est de s’arrêter quand quelque chose arrive et d’aider le ou la blessé(e) à descendre. Cela a toujours été le cas et la plupart du temps, lorsqu’il y avait des morts, on interrompait de toutes façons les ascensions », déclare-t-il à la chaîne de télévision allemande WDR. Selon lui, c’est surtout l’énorme augmentation des expéditions commerciales qui a contribué à ce que ces principes ne s’appliquent plus partout aujourd’hui. « Ce qui me dérange le plus, c’est que l’on continue à monter vers le sommet sans trop réfléchir. Il semble que la mort est de plus en plus oubliée au fur et à mesure que l’on monte. Et c’est bien sûr ce qui se passe quand il s’agit de records et de compétitions ».
Kristin Harila était en route pour boucler son record
Dans sa ligne de mire, plusieurs chasseurs de records en route vers le sommet ce jour-là. A commencer par la Kristin Harila. La Norvégienne n’était pas la seule sur la montagne, loin de là – plusieurs expéditions étaient en cours le jour de l’accident comptant quelque 200 alpinistes, gérés notamment par les agences Imagine Nepal, Seven Summit Club, EliteExped, 8K Expeditions/Summit Karakoram – mais pour elle le K2 avait une valeur toute particulière. En achevant le K2 avec le soutien de Sherpa népalais Tenjen (Lama) Sherpa, elle bouclait son record controversé de l’ascension des 14 sommets de plus de 8000 mètres en 92 jours.
Au cœur du cyclone, l’alpiniste – déjà attaquée en avril dernier par deux de ses anciens sherpas, écartés d’une ascension via la Chine, qui lui reprochaient de s’être montrée peu loyale – a également essuyé la colère de l’alpiniste italienne Tamara Lunger. « Est-il possible qu’une vie ne compte plus ? » écrit-elle sur Instagram (….). « J’ai failli pleurer lorsque j’ai vu dans les médias la vidéo de l’ascension du sommet du K2 le 27 juillet, dans laquelle plusieurs alpinistes ont enjambé le porteur pakistanais Mohammad Hassan, mourant, pour cocher un autre sommet de 8 000 mètres sur leur liste. Je ne veux pas citer de noms maintenant, mais d’autres alpinistes très célèbres ont atteint le sommet ce jour-là ! Et le monde les célèbre. Est-ce que ce sont vraiment les valeurs d’aujourd’hui ? (…) Que des gens soient capables d’agir avec autant d’indifférence, d’égoïsme, d’avidité et de compassion, me donne envie de vomir. (…) L’alpinisme, autrefois un peu romantique, prend une direction qui, pour moi, est tout simplement malsaine et affreuse ! »
Des accusations dont Kristina Harila s’est vivement défendue hier dans un long texte publié sur Instagram et sur son site, insistant sur le fait que son équipe avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver Hassan. « Il est tout simplement faux de dire que nous n’avons rien fait pour l’aider (…). Nous avons essayé de le remonter pendant une heure et demie et mon caméraman est resté une heure de plus pour s’occuper de lui. À aucun moment il n’a été laissé seul.(…) Mais compte tenu des conditions, il est difficile de voir comment il aurait pu être sauvé. Il est tombé dans ce qui est probablement la partie la plus dangereuse de la montagne, où les chances de transporter quelqu’un sont limitées par l’étroitesse du passage et les mauvaises conditions de neige. » a expliqué l’alpiniste précisant que lorsque son équipe a trouvé Hassan, il ne portait plus de gants et son masque oxygène était brisé. Une version que vont confirmer des témoins, notamment Lakpa Sherpa, présent lors d’un drame.
Las, Kristin Harila va se montrer plus que maladroite en ne manifestant sa compassion que bien tard, expliquant dans son texte publié hier, le 10 juillet seulement, que « La raison pour laquelle je n’ai pas encore fait de commentaire à ce sujet est le respect de sa famille. Je voulais savoir si je pouvais écrire sur ce sujet, car ce que je partage aujourd’hui n’est pas seulement mon histoire, mais aussi celle de Gabriel, mon caméraman sur le K2, qui a lui aussi s’est battu pendant des heures pour essayer de sauver Muhammad. (…) ». Pire, elle va joyeusement célébrer son record dans la foulée du drame ; sans trop d’état d’âme diront à juste titre ses détracteurs. Pas de quoi redorer l’image déjà un peu ternie de l’alpiniste ! Car une vidéo tournée lors de l’accident va enflammer les esprits au sujet d’un drame dont les conditions restent à éclaircir.
Encore beaucoup de flou sur les conditions de l’accident
Mohammed Hassan, 35 ans, père de trois enfants, avait été embauché par l’agence Lela Peak Expedition afin d’aider les cordistes lors de la poussée vers le sommet. C’était sa première expédition en très haute altitude, le Pakistanais s’étant cantonné jusque-là à des postes au camp de base. Peu expérimenté, il semble de surcroit qu’il ne possédait pas l’équipement adéquat pour une poussée au sommet du K2, ce qui pose un réel problème et mettrait en cause la responsabilité de son agence. Mais le porteur aurait accepté ce poste afin de payer les frais médicaux de sa mère diabétique. Avant son accident, certains Sherpas lui auraient dit plusieurs fois de revenir en arrière, son équipement et ses vêtements n’étaient pas adaptés mais il ne les aurait pas écoutés.
Parvenu au « bottleneck », traversée dangereuse sous un grand sérac, à 8200 mètres d’altitude, à environ 400 mètres du sommet, c’est là que le drame s’est déroulé, sans que les conditions exactes soient très claires. ExplorersWeb, qui a mené l’enquête, explique que selon les sources, contradictoires, Hassan serait tombé et aurait cassé son masque à oxygène, ou serait tombé et aurait heurté un rocher, voire serait tombé dans une crevasse. Il semblerait au final que le porteur pakistanais soit tombé et soit resté suspendu à l’envers pendant plus d’une heure. Certains alpinistes auraient réussi à le remonter, notamment le Sherpa Halung Dorchi de 8K Expeditions et l’un des cameramen de Kristin Harila. L’homme était alors vivant, ce que confirme une vidéo faite par un drône réalisée par Philip Flaemig, un caméraman travaillant sur la montagne pour Servus TV, qui suscité un fort émoi au lendemain du drame, mais de l’avis général semble-t-il, on ne pouvait pas le sauver, compte-tenu de l’altitude, de la dangerosité du site et des conditions alors très avalancheuses. En photo, comme en video, on verra donc des dizaines d’alpinistes enjamber le corps d’Hassan pour se diriger vers le sommet.
Climbers crossing the most dangerous part of K2; The Bottleneck & the laying man in black & yellow dawn suit is reportedly Muhammad Hassan from Tissar Skardu, who died there and 130 climbers crossed over his body on ascent & descent.
— The Northerner (@northerner_the) August 5, 2023
This is gift of commercial climbing #Climbing pic.twitter.com/m7J22AvqtJ
En aurait-il été ainsi si un Occidental avait été blessé ?
« S’il aurait s’agit d’un Occidental, il aurait été secouru immédiatement », s’insurge Philip Flamig « Personne ne s’est senti responsable de lui. Ce qui s’est passé là-bas est une honte. Un être humain vivant a été laissé gisant pour que des records puissent être établis ». « Il est mort misérablement. Il n’aurait fallu que trois ou quatre personnes pour le faire descendre », a déclaré l’alpiniste tyrolien Wilhelm Steindl qui accompagnait le cameraman, cité par le Standard.
Kristin Harila's team 'treated Pakistani porter Mohammad Hassan like second-class human being' by climbing over him' in pursuit of a record on K2 summit
— سمیرا (@SumairaJajja) August 10, 2023
'A Western climber would not have been left to die and said the scenes would be unthinkable in the Alps'https://t.co/4nN8u4HFEf
Devant le tollé général et le flou planant sur les conditions du drame, une enquête a été ouverte. Comptera alors beaucoup le témoignage de l’autre porteur qui a aidé le malheureux Pakistanais. Le rôle des professionnels présents sur place devrait également être examiné.
« Il est regrettable que personne ne se soit arrêté pour aider cet homme mourant », a déclaré Abu Zafar Sadiq, président du Club alpin pakistanais à la l’agence de presse DPA. Plusieurs avalanches se sont déclenchées le jour de l’accident au « bottleneck » du K2, l’endroit le plus difficile et le plus meurtrier avant le sommet. C’est peut-être pour cette raison que les alpinistes eux-mêmes ne se sont pas précipités pour l’aider » poursuit-il. « Certains ont été touchés par les avalanches, mais heureusement, personne n’a été emporté », a rapporté le président de l’association alpine. « Une autre raison pourrait être que les gens veulent se dépêcher de réaliser leur rêve alors qu’ils ne sont plus qu’à quelques mètres de leur objectif. Quelles que soient les circonstances, quelqu’un aurait dû aider ce pauvre gars ! ».
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