Un type qui s’est mis à la course à pied parce que c’était le moyen de transport le moins cher, on a forcément envie de lui poser quelques questions. Surtout quand il s’agit du Franco-Américain Joe Grant, 2e à la Hardrock 100 en 2012, adepte du « less is best » – plus on est léger, mieux c’est- comme son ami Anton Kupricka.
Des parents profs d’anglais, une enfance à Sainte-Luce sur Loire, du côté de Nantes, rien ne prédestinait Joe Grant à devenir cet athlète impressionnant, un rien mystique et curieux de tout, accessoirement l’un des meilleurs coureurs d’ultra du moment, aussi connu pour ses performances que pour sa versatilité au niveau athlétique. Tout sauf une bête de courses. Plutôt un explorateur en baskets, avec la course à pied comme mode de vie, installé aujourd’hui à 2700 m dans le Colorado, à 20 mn de Boulder, la Mecque de l’outdoor US.
Rien donc, si ce n’est la découverte des grands espaces américain à 18 ans. Bus, stop et déjà un micro budget pour ce Franco-Américain. « Pour faire le tour de la ville, aller visiter un musée, j’utilisais la course comme moyen de transport », se souvient-il. « Pas cher et utilitaire ». Sa première expérience du trail ? L’ascension du Mont-Tremblant au Québec, avec pour seul ravito, une boite de thon, mangée à même la boite. « A l’époque, on était sans repères», explique-t-il, le trail était naissant. Mais il y prend vite goût. Pour le plaisir mais aussi par pragmatisme. Ce passionné de montagne aime bien la rando et l’escalade mais ces activités exigent de transporter encore trop de matériel. Lui veut vivre le plus d’expériences possibles en s’encombrant le moins possible. « J’étais alors dans une recherche de minimalisme absolu », explique-t-il. « A la fac, j’avais résolu le problème de l’habillement en limitant ma garde-robe à cinq tee-shirts blancs et un jean. Mon but : être jugé sur ma personne et non sur ce que je portais. Bon, j’avais 18 ans et j’étais un peu extrême. Je me suis un peu nuancé depuis, je suis moins rigide aujourd’hui, mais je ne regrette rien. J’ai gardé cette vision minimaliste avec un peu plus de recul. Ajouter un tee-shirt avec un logo ne me tue pas pour autant !
A l’époque, le trail c’était Scott Jurek et les Ultrafondus »
« J’ai 37 ans aujourd’hui, et j’ai vu l’univers du trail évoluer. A l’époque, c’était un sport de niche. La presse était plus pure, il y avait aussi moins de pub, pour nous, ça se résumait aux « Ultrafondus ». A part Scott Jurek et Karl Metzler, il n’y avait pas beaucoup de grandes figures. Et traileur, ce n’était pas vraiment un métier à plein temps. Aujourd’hui, c’est l’explosion. A commencer par le matériel obligatoire sur les compétitions. En 2009, tu partais sur ton trail avec une banane et une gourde ! On a beaucoup évolué, pour des raisons de sécurité, bien sûr mais aussi pour des raisons commerciales.
Pour moi la course, ça reste le plaisir d’être en montagne et d’explorer. Au fil des années, c’est devenu un métier, certains compromis doivent être faits, mais quand je collabore avec une marque, je suis très impliqué dans le produit. Avec Black Diamond par exemple, on parle le même langage. Tu vois le truc : « On a un athlète, on fait une campagne de pub, tu cours, on fait une affiche » , ce n’est pas pour moi. je veux être plus impliqué sur bien des plans. C’est nettement plus enrichissant sur le plan personnel.
Ce n’est pas un hasard si c’est après mon gros projet personnel, le « Tour de 14ers », en juillet 2016, que j’ai rencontré Black Diamond qui, venu de l’univers de la montagne, commençait à s’intéresser au trail. Cette année-là, j’ai fait le tour du Colorado en vélo et ascension en course à pied des 57 sommets de plus de 4000 m en 31 jours, 8 heures et 33 minutes. Plus d’un mois, en autonomie totale. Très dur. Je voulais sortir de la compétition, revenir aux sources, comprendre pourquoi j’étais venu à ce sport. Le vélo, c’était pour aller un peu plus vite entre les sommets et ça m’a donné un profil différent et généré un film, un slide show. Pour moi, ça a aussi marqué un palier au niveau athlétique. En un mois, j’ai dû utiliser toutes les expériences acquises jusque-là. Celle de l’ultra, où les grosses journées de 16 à 18h exigent beaucoup au niveau du mental. Mais aussi de l’escalade, certains sommets étant très techniques. Or j’étais sans cordes ni assistance. On est là au cœur du backpacking, une tendance qui se développe énormément aux États-Unis. Et toujours dans une approche minimaliste. »
« Faut pas tomber dans le ‘stupid light’ quand même »
Joe s’inscrit en effet dans la lignée d’un Mike Foote, Pablo Vigil, Gordy Ainsleigh, et bien sûr d’Anton Krupicka. « Anton et moi on est de bons amis », raconte-t-il. « Comme lui, je fais des tests, on expérimente, on fait tous ça. On a tous cet idéal de courir en montagne avec presque rien. Kilian (Jornet, ndlr), qui influence beaucoup notre sport, est aussi est dans cette recherche exigeant d’entraîner le corps et l’esprit. Sans tomber quand même dans le « stupid light ». Je n’ai pas besoin par exemple d’avoir un amorti à la Hoka, mais il me faut quand même un peu de protection et de grip pour les pierriers, les falaises. Il faut juste trouver le juste milieu.
Là tu vois, demain je pars faire un tour du Sud du Colorado à vélo. Deux, trois jours, on est encore en pleine épidémie de Covid-19, mais ici c’est le Far West, un peu le bordel. Je pars léger, et je sais que je pourrai compter sur deux ou trois endroits pour me ravitailler, mais je minimise les risques en restant tout près de chez moi. Et côté matériel, je devrais pouvoir faire sans tapis de sol. L’été dans le Colorado en forêt, le sol est soft, tapissé d’aiguilles de pins. En revanche, quand j’ai fait l’Iditarod, c’était forcément avec tapis. Dans le passé … j’aurais été plus extrême.
De même, au niveau alimentaire, si je fais des expériences hors courses ou je suis plutôt bio et local, en compétition ou en expédition où la performance prime, je reste pragmatique et surtout adaptable. Ça va donc du trail mix et des barres aux burritos, haricots/fromage, que tu trouves dans toutes les stations-services. Il faut savoir s’adapter, comme en montagne, où on a beau tout essayer de verrouiller au niveau sécurité, il y a beaucoup de choses qui sont hors de contrôle. Là comme ailleurs, il faut donc continuer d’avoir un esprit ouvert. Continuer de douter, d’exercer sa curiosité et poursuivre son apprentissage.
Plus que les courses, la communauté me manque
Si j’imagine une vie sans compétition ? Oui, je ne suis pas très compétiteur par nature. Bien sûr il y a une part d’égo, de reconnaissance de la communauté et j’ai hâte que les courses reviennent, mais ce qui me manquerait, et qui me manque aujourd’hui avec l’épidémie, c’est le côté rencontre, communautaire du trail. Plus jeune, après une école de commerce à La Rochelle et des stages en ONG, en Afrique et en Inde où j’ai pu constater que les Occidentaux tentaient avant tout d’appliquer leurs méthodes, je me suis demandé comment je pouvais avoir un vrai impact, à mon niveau. Au final, j’en suis arrivé à la conclusion, que c’est chez moi, autour de moi, que je pouvais peut-être apporter quelque chose. Et c’est via la course que j’y suis parvenu, en devenant une sorte d’ambassadeur de la montagne, en essayant de véhiculer certaines valeurs. C’est assez unique. La course m’a ouvert tant de portes. Je ne savais pas que c’était possible ».
Que trouve-t-on dans le sac de 8 l de Joe Grant?
Joe a un sac fétiche, le « Distance pack » . Un 8 litres, développé pour la « Nolan 14 », son projet de 2018 ( 14 sommets du Colorado de plus de 4200 m, soit 128 km / 13 400 m de D+, avalés en 49h et 38 minutes, en solo, sans assistance). Un modèle hybride qu’il utilise beaucoup depuis trois ans. Il lui sert sur différents projets. « Pas pour faire une course de 50 km en sky running – trop de volume – plutôt un sac ‘aventure’ « , dit-il. « Avec le 15 l, on peut même envisager un bivouac avec un tout petit sac de couchage et un sursac. Pour plus de confort, il faudra miser sur un modèle plus grand. ». Tout dépend du terrain et de l’objectif bien sûr, mais en règle générale, voici ce que Joe y glisse :
• 2 flasques avec un filtre à eau
• Toujours un coupe-vent
• Souvent une frontale
• Souvent des bâtons
• En été : une toute petite doudoune, par sécurité
• Une couverture de survie
• Un petit kit pour réparer, différent suivant la saison, été ou hiver
• Une petite corde de 20 m, 6 mm, si j’ai besoin de faire du rappel
• Un baudrier hyper light sur les sites techniques
• De la nourriture
• Parfois des dégaines, crampons et piolets.
Enfin Joe court sans montre, s’oriente à la carte – plus sûr – mais utilise parfois une montre GPS, utile aussi pour l’heure et l’altimètre.
Pour en savoir plus sur Black Diamond, c’est ici.
Photo d'en-tête : Woodward / Black Diamond