Il aura fallu cette superbe victoire au sprint lors de la Grande Finale de la Golden Trail World Series en Suisse, le 20 octobre dernier, pour que soit enfin consacré le Marocain Elhousine Elazzaoui, 32 ans. Ce jour-là, il décrochait le prestigieux titre de la GTWS. Depuis 2018 on l’avait repéré, et bon an, mal an, il s’imposait dans le top cinq du circuit international, remportant notamment cette année le marathon du mont Blanc. Mais, trop souvent, il frôlait le podium ultime, et en gardait comme un petit goût amer. Tout dernièrement, en mai dernier, à la Zegama-Aizkorri, c’est la deuxième place qu’il décrochait… derrière Kilian Jornet quand même. Un moindre mal. D’autant que le Catalan l’avait adoubé et intégré en 2023 dans sa team Nnormal. Une nouvelle famille, à laquelle Elhousine dit devoir beaucoup. Car « seul on ne fait rien « , nous raconte ce traileur issu d’une famille de chameliers nomades de onze enfants, parvenu au plus haut, moins par chance que par détermination.
« Ce n’est jamais trop tard », aime à rappeler Elhousine Elazzaoui. Nul doute que ce proverbe berbère, lui est revenu en tête le 20 octobre, lorsqu’à l’issue d’une course menée à un train d’enfer il s’est adjugé la victoire de la Grande Finale du GTWS (23,5 km, 1 400 m D +) devant le Suisse Rémi Bonnet, double tenant du titre (2022 et 2023). De quoi boucler une saison impeccable, déjà marquée par trois podiums, et décrocher le titre de la Golden Trail World Series. Cinq ans qu’il attendait ce moment, comme il le confie dans un post sur Instagram.
« Cela n’a pas été facile et ne le sera jamais…
J’ai dû voyager dans le monde entier, puis revenir à la maison et tout donner pour réaliser le rêve que j’avais commencé il y a cinq ans !
Au cours de ces années, j’ai connu des hauts et des bas, mais j’ai compris que ce n’est jamais fini tant que vous n’avez pas décidé que c’était fini. 💪🏻
Cette année, je me suis entraîné et j’ai travaillé plus dur que jamais, mais comme je le dis toujours, dans le sport, seul, on ne peut rien faire ✊🏻
Merci à ma formidable équipe @nnormal_official et à mes amis ❤️🫶🏼
C’est ma maison et ce sont mes gens!🥰
Mais je n’oublie pas mes origines et d’où je viens….
Le rêve est devenu réalité mais le rêve n’est pas terminé. Flying Berbere continuera à voler »
Sans surprise, c’est donc vers le Maroc qu’il va s’envoler d’ici peu pour donner un coup de main à sa famille pendant quelques mois, une vie qu’il aime beaucoup. « Retourner aux sources, à mes origines, c’est ça qui me donne de la force », nous confie-t-il depuis Lugano, en Suisse, où il réside une bonne partie de l’année, maintenant qu’il peut se consacrer à sa passion, le trail. Là-bas, du côté de Zagora, sa terre d’origine, l’attendent ses parents, « des gens extraordinaires qui l’ont toujours soutenu », et ses 11 frères et sœurs, immensément fiers de son succès dans un pays où on ne compte plus ceux qui se sont mis à la course pour suivre son chemin.
« Je courais déjà dans le ventre de ma mère »
Si les Elazzaoui sont aujourd’hui sédentaires et tiennent une petite agence de voyage dans la région de Zagora, aux portes du désert, le grand-père puis le père d’Elhousine, forts d’une caravane d’une quinzaine de dromadaires, participaient au commerce transsaharien. Et, pour le jeune Berbère, courir n’est pas un sport, mais un mode de vie, « je courais déjà dans le ventre de ma mère », raconte-t-il en riant. « Je n’étais jamais à la maison, toujours dans le désert. » Dehors, quand il n’aide pas ses parents, ce sont des jeux sans fin avec ses frères et sœurs, « la vie en pleine nature, le temps passait vite », raconte-t-il. A ses pieds, des « chaussures de nomade », de simples sandales à semelle de pneu.
A son menu, des dattes, du lait de chèvre, des soupes de pois chiches, mais aussi les tagines, couscous et galettes cuites dans le sable de sa mère qu’il apprendra vite à préparer, lui aussi, lorsqu’il emmènera de petits groupes de touristes dans le désert, histoire de donner un coup de main à son frère. Il en gardera un goût sûr pour une alimentation simple et naturelle, dit-il.
L’école est à une dizaine de kilomètres, et il n’a pas de vélo. C’est en courant qu’il s’y rend. Aussi, lorsqu’en 2010 il apprend au marché de Zagora qu’une course de 5 km est organisée, il veut s’y rendre. Pas question, lui dit son père, c’est l’heure de la soupe. Elhousine a 14 ans et déjà une certaine détermination. Il n’est pas équipé, mais il se cache, et cette course, il la fait. Et la gagne. La première d’une longue série qui le mène jusqu’au championnat du Maroc où il termine à la sixième place, se qualifiant ainsi pour le championnat d’Afrique. Mais, n’ayant pas de passeport, il ne peut pas y participer.
Son diplôme de fin d’études secondaires en poche, il commence à étudier à l’université de Marrakech, mais doit rapidement abandonner, faute de moyens financiers. Guide de tourisme diplômé, il travaille dans la petite agence familiale, et continue inlassablement de s’entraîner. « Ici, on n’a pas la télévision, on se couche tôt », raconte-t-il. « A 5 ou 6 heures du matin, avant de préparer les petits-déjeuner, j’allais courir. Comme ça, pour le plaisir. A la lueur de la lune, puis de la frontale qu’on me donnera. » Pas vraiment courant dans la région, au point qu’il sera même arrêté une nuit par les gendarmes, se souvient-il.
La rencontre avec Kilian et Nnormal
Sa chance viendra de Suisse. Une jeune touriste le convainc de tester ses talents d’athlète en Europe, il a 24 ans déjà, pas de sponsor ni de coach et pour seul bagage un diplôme officiel de guide. Pas de chaussures de trail non plus. Sa première course, un 27 km, 1500 D+, il l’a faite équipé pour la route. « Je tombais tout le temps » dit-il, mais il finit 2e. Fin mars 2018, il s’installe en Suisse où il peut enfin s’entraîner correctement avec le bon matériel. En 2018 et 2019, il domine plusieurs compétitions locales au Tessin et se classe dans le top 10 de diverses compétitions helvétiques. En 2019, il intègre la jeune équipe italienne Team Tornado, où il est encadré par Pier Cassol. Il se classe deuxième, lors du Trophée Nasego à Vertical, à quelques secondes de Davide Magnini et termine deuxième avec Nadir Maguet lors de la Skyrace delle Dolomiti (une course du circuit GTNS). En 2020, Salomon le remarque, il devient ambassadeur de la marque. Cette année-là, faute d’organiser la légendaire GTWS, pandémie oblige, la marque rassemble les meilleurs coureurs de trail dans un seul événement de quatre jours (CTC) aux Açores. Elhousine décroche une quatrième place au classement général, et entre dans le Top 5. Il ne le quittera quasiment plus. Mais avec des hauts et des bas.
Car l’année suivante s’il décroche une première place à la Swissalpine K43, à la Limonextreme vertical et dans quelques courses locales ; une deuxième à la DoloMyths run GTWS, il est quatrième à la Stralugano. Un changement d’entraînement, et des ajustements au niveau de la nutrition vont faire la différence en 2022. Et les résultats ne vont pas tarder à venir dans la GTWS, circuit qu’il affectionne depuis 2019. L’année 2023 sera décisive, au détour d’une course, il rencontre Kilian Jornet. « Pas facile de l’approcher », dit-il, « mais je suis quelqu’un qui regarde les chaussures d’abord, c’est comme le volant de la voiture, c’est important ». Des chaussures, le créateur de Nnormal va lui en envoyer. Mieux, le talent de celui qu’on surnomme maintenant de « Berbère volant » ne lui a pas échappé, cette année-là, il l’intègre dans l’équipe de sa marque. Et c’est avec une paire de Kjerag qu’il a décroché son titre à la GTWS, il y a quelques jours. Une consécration pour un athlète qui a connu beaucoup d’échecs, dont il est sorti plus fort, dit-il. « J’ai le sentiment de faire les choses plus intelligemment, maintenant ».
« Il faut rêver, toujours ! »
« J’étais toujours dans le top 5, ces dernières années, mais je n’en étais pas content. Je n’avais pas trouvé les gens pour me soutenir. Et, tout seul, tu n’y arrives pas. Je voulais grandir, et chez Nnormal, on s’est intéressé à moi. Aujourd’hui, je suis entouré. Je fais relativement peu de volume – parfois jusqu’à 200 km par semaine – mais de la qualité. Contrairement à ceux qui sont sur du long, je ne cours parfois que le matin. C’est important, car on voit bien que le niveau monte dans le trail, notamment avec l’arrivée des Kenyans, mais pas seulement. Ca commence à développer notre sport. Mais aussi le dopage, c’est vrai. Ca, c’est un mot que je n’aime pas. C’est dommage pour le trail, car d’abord, ce qui compte, c’est la santé. Tu vas prendre l’argent, mais tu vas perdre la santé. »
Va-t-on le voir demain sur d’autres courses majeures ? « Pourquoi pas sur des courses courtes de l’UTMB, ou Sierre Zinal, je ne sais pas encore, je n’aime pas trop en parler à l’avance, car ça met une pression. Mais il faut rêver, toujours ! Je continuerai bien sur la GTWS, j’aime bien ce circuit, son organisation, c’est comme une famille. »
En attendant, Elhousine Elazzaoui, rêve aussi à tout autre chose : « Organiser une course pour les jeunes nomades chez moi, pour les enfants. », dit-il. « Quelque chose d’humain. Un vertical, on a un peu de dénivelé (+500 m) et un 20 km. Il faudrait leur ramener des chaussures. Et j’aimerais que les filles y participent, qu’elle voit autre chose, elles aussi ».
Photo d'en-tête : NNormal- Thèmes :
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