Gilles Lamiré et Antoine Carpentier ont remporté la Transat Jacques Vabre, ce vendredi 8 novembre, un peu avant 6h00, heure française. À bord de leur trimaran à foils de 15,24m, ils ont franchi la ligne d’arrivée à Salavador des Bahia, au Brésil, en 11 jours 16 heures et 34 minutes. Alors qu’on attend les gagnants des catégories IMOCA pour samedi, et Class40 un peu plus tard encore – avec notamment le duo Aurélien Ducroz et Louis Duc à bord de Crosscall Chamonix-Mont-Blanc – Outside s’est posé une question simple : comment suivre une course au large ? Réponse d’Eric Loizeau, un des plus grands skippers français.
La voile, plus que d’autres disciplines encore, est un sport de spécialiste. Décrypter une course au large peut sembler compliqué pour un novice. Frustrant, quand on sait que les plus grandes épreuves, telles que la Transat Jacques Vabre, le Vendée Globe ou la Route du Rhum sont de vraies aventures qu’on suivrait volontiers au jour le jour. Reste à comprendre comment décrypter la masse d’informations disponibles en ligne.
Eric Loizeau, l’un des plus grands skippers des années 80, et par ailleurs alpiniste – il a notamment gravi l’Everest en 2003 – pointe, pour Outside, les éléments importants pour comprendre une course de voile.
Gilles Lamiré et Antoine Carpentier ont remporté cette nuit la Transat Jacques Vabre, ils avaient simplement le meilleur bateau ?
Ce cas concret est un exemple parfait pour expliquer les clés d’une course au large. En l’occurrence, la victoire de Gilles et Antoine est assez improbable. Il n’avait pas le meilleur bateau au départ, ce qui prouve que malgré l’importance du matériel, la qualité des skippers est encore très importante.
C’est-à-dire qu’il peut y avoir de vraies surprises sur ce genre de course ?
Non, il ne faut quand même pas exagérer, car la qualité du bateau reste primordiale. On peut gagner une course sans avoir le meilleur bateau, mais on ne peut tout de même pas combler un gros écart de technologie.
La technologie justement, on peut avoir tendance à imaginer que la voile aujourd’hui, c’est comme de la Formule 1. Les bateaux sont de véritables machines technologiques ?
C’est vrai que ce sont des machines de pointe, ça ne cesse de progresser. Malgré tout, comme je l’expliquais, le bateau ne fait pas tout et bien heureusement ! Stratégie de course, analyse de la météo, les seuls décideurs à bord ce sont les skippers, il ne faut jamais l’oublier.
Quels sont les éléments essentiels pour suivre une course au large ?
Être novice en voile n’est pas du tout un problème pour suivre une course comme la Transat Jacques Vabre. Aujourd’hui grâce aux progrès technologiques, notamment en informatique, toutes les courses de ce niveau proposent des cartes qui donnent toutes les informations nécessaires.
C’est très facile de comprendre puisqu’il y a tout sous vos yeux. Vous voyez où sont les bateaux à 3 mètres près, en quasi temps réel.
Justement, parlons de cette carte. On peut y voir la trajectoire des bateaux. Dans l’ensemble on remarque que la majorité d’entre eux suivent plus ou moins la même ligne. Mais certains décident de faire cavalier seul. Comment l’interpréter?
Pour comprendre pourquoi certains bateaux prennent des trajectoires différentes, il faut revenir aux éléments qui permettent aux skippers de choisir telle ou telle stratégie.
Sur le bateau, on a tout un tas d’outils technologiques qui nous donne des informations en temps réel. Évidemment, l’un des points essentiels pour un marin est la météo. On reçoit des prévisions et c’est grâce à elle qu’on va établir notre trajectoire. Il existe désormais des systèmes de routage : on entre les caractéristiques du bateau (notamment sa vitesse en fonction des différents paramètres de navigation) ainsi que les cartes météo. Le logiciel analyse tout cela et propose ensuite une ou plusieurs routes possibles.
Donc, pour caricaturer, la machine fait le boulot, le skipper n’a qu’à suivre ce qu’elle lui dit de faire.
C’est plus compliqué que ça. Ces systèmes de routage sont une aide à la décision, bien sûr. Mais derrière la machine, il y a toujours un être humain qui doit trancher. Par ailleurs, il faut savoir que les cartes météo ne sont pas toujours totalement fiables. Sur ce point, l’expérience et le talent du marin vont jouer énormément pour décrypter les nuages qui se trouvent dans son environnement et analyser la situation. C’est un mixte entre technologie et analyse personnelle.
Les skippers connaissent-ils à l’avance les zones les plus compliquées, au niveau de la météo ?
Disons qu’il y a des passages où l’on sait que les données météo seront très fiables et d’autres où il faudra plus compter sur sa propre analyse. Par exemple pour la Transat Jacque Vabre, jusqu’à Gibraltar il n’y a généralement aucun problème. On peut faire confiance aux prévisions météo. Par contre, sur le passage du “Pot au noir” (ou zone de convergence intertropicale) la météo change tellement vite que son propre ressenti est aussi très important. Il existe aujourd’hui des données satellites qui nous permettent d’être plus précis, mais ce n’est pas encore parfait, loin de là.
La zone de convergence intertropicale est une ceinture d’une centaine de kilomètres qui suit l’équateur. Cette zone de basse pression est formée par la convergence des masses d’air chaudes et humides anticycloniques provenant des tropiques. Elle se caractérise par la formation importante de cumulonimbus.
À l’heure où nous nous parlons, le deuxième équipage de la catégorie Class 40 a 62 miles nautiques de retard sur le premier. Un tel écart est-il rédhibitoire ?
Non, loin de là. Il suffit de peu de choses, en quelques heures l’écart peut être comblé. Mais de manière générale il ne faut jamais oublier que la voile est un sport “mécanique” et en cela rien n’est joué tant qu’on n’a pas franchi la ligne d’arrivée. Une casse matérielle, et tout peut être remis en question. Les revirements de situation sont nombreux dans ce sport.
Justement, en ce qui concerne la casse matériel, que faut-il craindre lorsque l’on est marin ?
Le problème majeur ce sont les OFNI – objets flottants non identifiés. Ils sont entre deux eaux, on ne peut pas les voir, et si on a la malchance de tomber sur l’un d’entre eux, ça fait généralement de gros dégâts. Il y a d’une part les conteneurs, mais aussi les baleines. Et il y a également les bateaux de pêcheurs, notamment sur la côte africaine. Sur la Transat Jacques Vabre c’est un danger à prendre en compte, car souvent ces pécheurs n’activent pas leur AIS (Système d’identification automatique), qui est normalement obligatoire, ce qui fait qu’on ne peut pas les repérer.
Curieux de savoir comment se prépare un départ de course ?
Jetez un œil sur cette video, couvrant les dernières heures à terre des skippers du Crosscall Chamonix-Mont-Blanc, Aurélien Ducroz, double champion du monde de ski freeride et Louis Duc, navigateur.
Briefing, point météo, interview, moments en famille, ou 24h dans la vie d’un navigateur.
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