Pour les pros du tourisme, c’est une aubaine. Pour les lacs, criques, rivières, forêts, sentiers et sommets, c’est le baiser de la mort : en cette ère post Covid, jamais l’appel des grands espaces n’aura résonné aussi fort aux oreilles d’autant de gens. Partout dans le monde, et notamment en France, les conséquences ne se sont pas fait attendre : perte de la biodiversité, détérioration des sols, conflits d’usage… les problèmes sont nombreux et exacerbés chaque jour par la crise climatique. Mais que faire ? Taxer ? Sensibiliser ? Définir des quotas, des interdictions ? Des solutions existent, déjà bien éprouvées, ou encore en test. Une à une, nous les avons explorées, l’occasion également de dresser pour la première fois un état des lieux des points chauds à traiter de toute urgence en France et de ceux, déjà menacés par la surfréquentation, où l’on anticipe et envisage l’avenir des sites naturels à long terme, seule approche durable.
L’équilibre est rompu. Foulés par des milliers de touristes, les sites naturels saturent, entre piétinement, érosion des sols, équilibre biologique et biodiversité menacés, hyper vigilance de la faune, pollution du milieu et conflits d’usages. Plus de 30% de visiteurs dans les Ecrins en 2020. 803 touristes pour un habitant à Étretat, soit un million de visiteurs en 2021 sur un territoire de 4 km2. Trois millions de visiteurs dans les Calanques l’année dernière. Dix millions de visiteurs chaque année dans les Parcs Nationaux Français. « Le constat du ‘trop-plein’ est acté et partagé par tous » annonçait le Parc National de Port-Cros dans un communiqué lors sa réouverture au public en début juillet 2021.
Mais quid des sports outdoor, largement popularisés par les réseaux sociaux et les médias. A commencer par Outside, dont la vocation est, paradoxalement, de « faire sortir les gens, découvrir la nature »… mais en la préservant. Un véritable dilemme pour nous comme pour beaucoup, à l’heure où la fréquentation de tous ces lieux qui nous sont chers explose tous les records. Force est donc de constater que nous sommes, nous aussi, au coeur du problème D’où la réflexion que nous engageons aujourd’hui, en échos à l’inquiétude de tous ceux qui sur le terrain, ne peuvent que constater que la situation se détériore, justifiant de prendre des mesures rapides et efficaces.
« La dispersion des gens et la multiplicité des activités et de la présence sur tous milieux est un véritable problème », s’inquiète en effet Suzanne Forêt, conversatrice de la Réserve Naturelle des Hauts de Chartreuse au sein de laquelle la surfréquentation est partout, tout le temps, là comme dans de nombreux autres lieux en France. « Que ce soit sur terre, en randonnée, sur les falaises, en escalade, et aussi sous terre, avec une activité spéléologique croissante. De plus en plus de gens sont là pour consommer les lieux, en tant qu’espaces de loisir, et ne sont pas forcément sensibilisés aux questions d’impacts sur le milieu et sur les espèces […] Tous les massifs montagneux cherchent des solutions. Comment arriver à allier fréquentation, protection de l’environnement et gestion des conflits ? », s’interroge-t-elle.
Comment faire face à ce problème qui n’est pas sans en soulever d’autres… tout en conciliant nos passions avec la préservation des milieux ? Quelles règles mettre en place tout en préservant le droit d’accès à la nature de chacun d’entre nous ? Des questions qui s’imposent sur des centaines de sites en France depuis quelques décennies déjà mais qui appellent des réponses urgentes. Car contre toute attente, en cette ère post Covid la vague d’amateurs d’outdoor, confondant trop souvent espaces naturels et parcs d’attraction, ne cesse de grossir… à l’heure même où le réchauffement climatique réduit en nombre ou en surface les espaces convoités.
Quels sont les principaux points chauds touchés par la surfréquentation des espaces naturels en France ?
Sans surprise, on retrouve les GR préférés des Français (le GR20 en Corse ou encore le GR34 en Bretagne), mais aussi les Parcs Nationaux (Calanques, Ecrins, Port-Cros) et Parcs Naturels Régionaux (Chartreuse, Corse, Camargue, Vercors) très prisés pour les activités outdoor dont la randonnée, l’escalade, le surf, le kite-surf ou encore la highline. Notons également que la plupart des sites mentionnés se situent non loin des villes à forte densité de population. Une liste qui n’est malheureusement pas exhaustive et qui ne cesse de s’allonger.
Eduquer, limiter, punir … ça marche ? Le point sur les solutions en cours, en test ou à l’étude
De la France au Bhoutan en passant par les Etats-Unis, on planche sur le sujet depuis des années avec des résultats plus ou moins variables guidés par une réelle volonté de préserver l’environnement.
1. Sensibiliser, un premier pas indispensable
2. Proposer des alternatives aux sites saturés
3. Encourager une meilleure répartition temporelle des sites
4. Casser l’image de rêve ou le « démarketing »
5. Imposer des navettes pour accéder à certains lieux
6. Limiter la casse en émettant des interdictions spécifiques
7. Imposer des quotas d’accès aux sites naturels
8. Fermer intégralement un site pour lui permettre de se régénérer
9. Taxer pour protéger ?
1. Sensibiliser, un premier pas indispensable
Aller physiquement à la rencontre des visiteurs
Approche adoptée par quantité de sites, notamment au pied du massif de La Chartreuse, exemple particulièrement représentatif en France car une clientèle assez sportive, d’environ deux millions de personnes à 1h30 de voiture, est susceptible de s’y rendre. Sous pression en termes de fréquentation et de demandes de manifestations sportives d’outdoor, le Parc Naturel Régional tente de trouver des solutions. Sur place, outre les interdictions spécifiques que nous détaillerons plus bas, les acteurs locaux ont mis en place une politique de sensibilisation. « Les accompagnateurs de moyenne montagne sillonnent le territoire de mi-juin à mi-septembre pour aller à la rencontre des gens, pour sensibiliser à la question de la réserve, de la règlementation, à la fragilité et à l’intérêt du milieu. Et aussi expliquer les interdictions de bivouac (en certaines zones et périodes de l’année, ndlr). On a embauché depuis le début de l’année un garde animateur » nous explique Suzanne Forêt, conversatrice de la Réserve Naturelle des Hauts de Chartreuse. Coût global de l’opération : 40 000€.
Informer via l’outil Biodiv’ Sports
Développée en collaboration avec des association naturalistes, des gestionnaires d’espaces, les collectivités, les plateformes recensant des itinéraires, les clubs et fédérations de sports et des pratiquantes individuels, Biodiv’ Sports vise à informer sur la présence de la faune et de la flore sauvage sensible, principalement en Chartreuse, dans le Vercors, le Haut-Jura ou encore les Ecrins. Très intuitive et détaillée, elle recense chaque zone sensible (description, fiche présentant l’espèce et les interactions que chaque pratique peut avoir avec cette espèce et d’un fichier .kml permettant d’intégrer cette zone dans un dispositif de localisation). L’intégralité des informations est consultable via le widget Biodiv’sports.
Sensibiliser à travers des vidéos
Forêts sans fin, lacs, tourbières, crêtes et vallées, les Vosges regorgent de lieux exceptionnels, notamment Gérardmer, situé dans la Parc Naturel Régional du Ballon des Vosges, visité chaque année par plus de 4 millions de personnes. « En dix ans, le nombre de visiteurs a doublé. En cinquante ans, le nombre de résidences principales a été multiplié par deux, le nombre de secondaires par cinq » annonce la vidéo de sensibilisation. Largement diffusée par la commune, elle lance la réflexion et invite à trouver une solution à ces problématiques tout en les soulignant, chiffres chocs et images faisant appel à l’émotion.
Former, impliquer, par l’intermédiaire de guides, ateliers ou webinaires
Dans le cadre du déploiement du plan Avenir Montagnes Ingénierie, visant à construire un modèle touristique diversifié et plus durable sur les territoires de montagne, la Fédération Française de la Randonnée pédestre et l’Agence nationale de la cohésion des territoires ont signé un partenariat pluriannuel autour de la fréquentation des itinéraires de randonnée pédestre de montagne. L’objectif ? Déployer, progressivement, entre 2022 et 2024, un réseau national et éditer d’un guide de référence. Comment ? À l’aide d’actions d’information et de sensibilisation, de formations et outils pédagogiques et collaboratifs (ateliers, webinaires, vidéos).
La sensibilisation, ça fonctionne vraiment ?
Oui, mais c’est long et ça ne suffit pas. Sensibiliser aux problématiques de surfréquentation et à la préservation des milieux représente, certes, un premier pas vers l’éducation du public mais ces initiatives ont davantage une visée long terme, et durable. L’enjeu étant de faire comprendre que la nature n’est pas un terrain de jeu, que nous ne sommes pas là uniquement pour consommer les activités qu’elle nous permet de pratiquer, sans prendre en considération les limites que nous devons respecter afin de maintenir l’équilibre subtil d’un tourisme durable. En pratique, on remarque que ces mesures ne viennent qu’en complément d’autres, souvent plus radicales.
2. Proposer des alternatives aux sites saturés
Une hausse de 63% par rapport à mai 2021 : c’est ce qu’enregistrait en mai dernier la plateforme du Parc Naturel Régional Corse gérant sur l’île les nuitées en refuges sur le GR20. De quoi hésiter à partir sur cette mythique traversée, que ce soit pour la pratique de la rando ou du trail, de plus en plus populaire sur ce sentier. D’autant qu’ailleurs sur l’île, les périples de plusieurs jours permettant de découvrir la diversité et la richesse des paysages ne manquent pas. En témoignent les cinq sentiers alternatifs, allant d’Est en Ouest ou à l’Occident de l’île, entre mer et montagne, que la Corse tente de promouvoir aujourd’hui pour délester son GR vedette.
Les alternatives, ça fonctionne vraiment ?
Pas encore. Pour le moment, cette option reste peu développée en France. Du côté de la Corse, on constate que ces sentiers alternatifs attirent encore peu de randonneurs, en comparaison au mythique GR20. Trop dans l’ombre du mythique sentier de Grande Randonnée, ces sentiers secondaires ne sont que très peu promus par les offices de tourisme et les médias. De plus, difficile de faire oublier au randonneur passionné les décennies d’histoire du GR20, itinérance à forte valeur symbolique.
3. Encourager une meilleure répartition temporelle des sites
Autrement dit, annoncer clairement quand plages ou sentiers sont les moins fréquentés dans la journée, la semaine ou l’année afin que les flux se répartissent mieux, allégeant ainsi la pression sur ces sites.
Un « baromètre » quotidien, ça fonctionne vraiment ?
Oui. La solution est déjà adoptée en ligne par certains équipements sportifs, piscines ou patinoires et bien sûr par les magasins et musées. Peu coûteuse, elle est facile à mettre en oeuvre.
4. Casser l’image de rêve ou le « démarketing » : des campagnes d’anti-communication pour mieux protéger
Plus de photos des mythiques falaises d’Etretat
À Etretat, le maître mot de la communication est désormais le minimalisme. Leur campagne ? Le démarketing. C’est simple : la mairie a dit stop aux photos des falaises les plus connues de France dans les dépliants, la barre du million de visiteurs (sur ce petit espace de 4 km2 carrés) ayant été franchie en 2020. Une solution nécessaire pour préserver les sols de l’érosion, la végétation, les habitants.
Des photos de plages bondées, une campagne marseillaise dissuasive
Surchargées, les Calanques incitent les visiteurs à faire demi-tour, et ce, dès le mois de mars 2021. « L’idée, c’est de modifier les usages en changeant les habitudes du public et en prenant des mesures réglementaires », expliquait à l’AFP François Bland, directeur du Parc national des Calanques. Au programme du site web : images de plage bondées, d’embouteillages, communication en temps réel du nombre de visiteurs… bref un paysage « objectif », loin de la carte postale imaginée par les vacanciers, agrémenté de commentaires décourageant, « difficile d’accès », « surfréquentés en été », « eau souvent froide » (sic!), « accidents mortels ». L’objectif étant de casser l’image traditionnelle du territoire attractif afin de mieux le protéger.
Le démarketing, ça fonctionne vraiment ?
Oui, mais cela n’a qu’un temps. Le risque principal face aux visiteurs étrangers à la ville ? Que cette solution ne soit pas durable, l’équilibre subtil résidant entre préservation et tourisme – les acteurs du secteur ont besoin d’un minimum de fréquentation pour vivre. Quant aux Marseillais qui connaissent, et apprécient les calanques depuis toujours, difficile de leur faire avaler que ces criques paradisiaques sont devenus l’antichambre de l’enfer, d’autant que peu d’alternatives leurs sont offertes par ailleurs.
Comment les convaincre d’éviter d’aller nager en eaux libres du côté de Sujiton quand jusqu’à la Pointe Rouge la mer est sillonnée de jetskis et autres bateaux à moteurs ne respectant pas toujours les espaces nageurs. Comment les dissuader d’aller sauter depuis les falaises d’En-Vau quand, à deux pas des calanques, la piscine Olympique de Luminy et son légendaire grand plongeoir, dans le 9e arrondissement, est fermée, laissée à l’abandon depuis mars 2009. Plusieurs projets et appels d’offres ont bien été lancés, mais aucun n’a abouti. Le sujet serait à nouveau à l’ordre du jour pour la nouvelle municipalité, mais va-t-il, lui aussi être enterré ? De même un autre projet, celui du spot de baignade au pied du MUCEM, pourrait lui aussi intégrer un plongeoir que l’architecte du musée, Rudy Ricciotti, se dit prêt à dessiner. Autant d’offres qui, si elles ne remplacent pas les calanques, pourraient les soulager et satisfaire une population jeune et familiale.
5. Imposer des navettes pour accéder à certains lieux
Précurseur dans le domaine, les acteurs de la Clarée (Hautes-Alpes) ont proposé dès 2003 une navette pour accéder à la partie haute de la vallée, au-dessus de Névache, point de départ de randonnées réputées dans le monde entier, menant à de nombreux lacs accessibles après 2h de marche maximum. Si depuis son instauration, des aménagements récents ont été réalisés, complétés par un bus hybride, le projet à terme est de proposer un départ depuis Briançon ce qui désengorgerait la vallée au maximum. Même solution testée du côté du Vercors : l’interdiction du Col de la Molière aux visiteurs motorisés ou navettes payantes. Une opération mise en place fin août 2021, qui tend à se renouveler. Pour rappel, près de 15 000 véhicules se sont rendus sur ce col en 2020.
La navette, ça fonctionne vraiment ?
En partie. En tout cas, les transports en commun sont une des solutions pour lutter contre les émissions de CO2 liées la surfréquentation. Toutefois, cela n’empêche pas les problématiques concernant le piétinement des sentiers et les diverses nuisances envers la faune et la flore locale.
6. Limiter la casse en émettant des interdictions spécifiques
« La mode du bivouac est montée en puissance. Des dizaines et des dizaines de tentes installées sur les alpages gênent le pâturage, couchent l’herbe, génèrent des déchets. Reste également, la question des feux, un réel problème sachant qu’à 1 700 mètres d’altitude, il faut entre 15 000 et 40 000 ans pour constituer 10 cm de sol » déplore Suzanne Forêt, conservatrice de la Réserve Naturelle des Hauts de Chartreuse. C’est pourquoi dans ce massif, il est désormais interdit de bivouaquer sous tente « pour limiter le nombre de personnes tout en continuant de leur offrir l’accès à ce moment particulier qu’est la nuit en montagne. On peut bivouaquer à la belle étoile, mais l’idée c’est de revenir au bivouac d’origine. Cependant, des espaces sont allés plus loin, ils ont interdit le bivouac parce que c’était ingérable, à Chamrousse, au niveau du lac d’Achard ou encore au sommet du mont Aiguille, dans le Parc National du Vercors, en raison des énormes enjeux autour de la flore ».
Autre mesure mise en place dans le Parc Naturel Régional de la Chartreuse : la règlementation autour des activités spécifiques. « On travaille beaucoup avec les fédérations des grimpeurs, de spéléo, du vol libre, très en amont, depuis 2006. En escalade par exemple, on a délimité des zones avec des conventions, d’autres sont interdites, à utilisation saisonnière ou soumises à autorisation » poursuit-elle. « Mais il est de plus en plus difficile de donner à tout le monde ce qu’il veut ».
Les interdictions spécifiques, ça fonctionne vraiment ?
Oui, mais il faut savoir faire passer le message, pas toujours bien reçu par les candidats à l’aventure. Par ailleurs, ces limitations, souvent ponctuelles et/ou localisées, permettent de limiter la casse, sans pour autant éradiquer l’intégralité des nuisances causées par une présence humaine quasi-permanente qui cause, sur la faune par exemple, une hyper vigilance conduisant à de la malnutrition pouvant impacter sa reproduction.
7. Imposer des quotas d’accès aux sites naturels
Solution très récemment adoptée dans le Parc National des Calanques : le système de réservation, mis en place dès cet été pour Sugiton, désormais limitée à 500 visiteurs par jour, soit cinq fois moins que lors des pics de fréquentation observés en été. Une mesure également envisagée par la Corse qui l’a adoptée dès cet été sur les îles Lavezzi – un archipel de 23 îles, îlots et récifs granitiques situé à 10 kilomètres au sud-est de Bonifacio, en Corse-du-Sud où seules 2 000 personnes maximum sont désormais acceptées par jour – ou encore aux aiguilles de Bavella et dans les gorges de Restonica.
Très largement médiatisée à Marseille ou sur l’Île de Beauté, la pratique des quotas n’est pas nouvelle. Réduire l’accès à la nature pour mieux la protéger ? Une solution déjà adoptée par les Parcs Nationaux de Port-Cros (6 000 visiteurs par jour au maximum en direction de l’île de Porquerolles depuis 2021) et du Mercantour, notamment dans la vallée des Merveilles. « Il existe un dispositif qui n’autorise l’accès à certaines zones que si l’on est accompagné d’un guide, avec un quota de visites par jour ». explique aux Echos Aline Comeau, directrice du parc national. « Les gens s’inscrivent et nous étalons la demande sur toute la saison ». Autre levier ici comme sur bon nombre de sites : réduire le dimensionnement des parkings, limitant l’afflux de touristes… au risque de générer de colossaux parkings sauvages. S’ajoute à cela la collaboration de la région PACA avec l’application Waze. L’objectif ? Eviter les embouteillages sur les parkings et les sites touristiques bondés, en alertant les utilisateurs pour leur proposer des solutions alternatives.
Autre restriction d’accès notable en montagne, en vigueur depuis l’été 2019 : pour gravir le Mont Blanc, il est désormais obligatoire de réserver sa nuit en refuge, ce qui, de fait, limite le nombre de personnes sur le toit de l’Europe occidentale à 214 personnes au maximum (le nombre de lits dont disposent les trois refuges de l’itinéraire, le Nid d’Aigle, la Tête Rousse et le Goûter), via la voie normale. Un moyen de préserver les lieux mais aussi de faire face aux risques d’insécurité.
Les quotas, ça fonctionne vraiment ?
Oui, forcément, mais cela ne va pas sans mal ni sans moyens de contrôle. C’est une solution drastique qui limite la surfréquentation sans toutefois interdire totalement un site, ce qui lui permettrait de se régénérer… au risque d’écarter les personnes peu familiarisées avec l’usage des outils numériques mis en place pour les réservations, et surtout de modifier considérablement notre pratique, notamment sa spontanéité qui fait tout le charme de l’aventure. Difficile cet été de se dire un samedi matin au lever du lit : « tiens si on allait piquer une tête à Sugiton ? », les 400 « places » étant déjà atteintes. Reste les autres calanques, bien sûr, encore accessibles sans réservation préalable… mais pour combien de temps encore? Car il semble évident que les amateurs de natation en eau vive, plongée ou saut, vont fatalement s’y déporter.
8. Fermer intégralement un site pour lui permettre de se régénérer
Parfois un film peut tout faire basculer… Suite à la sortie en 2000 du film « The Beach », des hordes de touristes surgies des stations balnéaires de Phuket, Krabi ou Ko Phi Phi se sont ruées vers Maya Bay, plage thaïlandaise présentée comme le paradis sur Terre. Résultat : jusqu’à 5000 de visiteurs par jour en mal de selfies se baignant, couverts de crèmes solaires gorgées d’ingrédients toxiques pour l’océan, arrachant les coraux avec l’ancre de leurs bateaux, grimpant sur les rochers calcaires et s’étalant sur la plage de sable fin rapidement recouverte de détritus. En quelques années seulement, 90 % des coraux étaient décimés, la flore dévastée et la faune, effrayée, avait quasiment disparu. Seule solution, la fermer, suggéra alors le Ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement, au grand dam des professionnels du tourisme, prêts à continuer à exploiter la poule aux œufs d’or, pourtant au bord de l’agonie. La fermeture ne devait durer que quatre mois, mais très vite, les experts soulignèrent que la faune comme la flore avaient besoin de bien plus de temps, d’au moins une année de plus pour se régénérer, vu l’étendue des dégâts. Au final, elle dura plus de trois ans, grâce au Covid qui contraint la Thaïlande à fermer ses frontières. Une vraie respiration pour Maya Bay, où l’on vit alors réapparaître les coraux – 30 000 fragments de corail ont été replantés – et dans la foulée, quantité d’espèces quasiment disparues. Dont le requin de récif à pointe noire ainsi qu’une myriade de poissons et même un crabe rare de Puu Kai, disparu de la zone depuis plus de 10 ans. Mais, à peine rouvert, début 2022, le gouvernement a annoncé que le site allait être fermé à nouveau, d’août à septembre, car, il ne serait régénéré qu’à 14%. Bien peu face à une affluence que certains jugent encore trop excessive.
Fermer un site, ça fonctionne vraiment ?
Oui, c’est une solution viable, si tant est qu’elle soit ponctuelle et une réouverture programmée. L’exemple de Maya Bay est intéressant sur ce point, mais montre combien cette approche est fragile. Plus convaincant peut-être, celui de la falaise de Claret dans l’Hérault, où des grimpeurs et des écologistes ont décidé d’agir ensemble, en déséquipant une quarantaine de voies d’escalade sur les 200 que compte le site, seul moyen de préserver la richesse de la biodiversité. Suite à cette action, un film de sensibilisation a été diffusé. Nommé « Les Emmerdeurs », il invite à la réflexion autour d’une question complexe : « Comment pratiquer sa passion en respectant le sauvage et la nature ? »
9. Taxer pour protéger ?
Payer pour accéder à un site naturel ? Une aberration pour certains, une solution pour d’autres qui y voient un moyen de limiter la surfréquentation. C’est notamment le cas au Bhoutan, pays d’Asie ayant autorisé pour la première fois la venue d’étrangers en 1974, qui impose une taxe journalière aux visiteurs étrangers. À partir du 23 septembre, elle va passer de 150 à 200 dollars (190 euros) par jour et par personne. 80% du montant concernerait les coûts du voyage – transports, alimentation, hôtel, frais de guide, entre autres – mais cela reste un sacré budget ! Un moyen efficace d’éviter le tourisme de masse, c’est certain, mais aussi un triste constat : l’accès au pays est donc limité à une clientèle très aisée. Pas question ici de hordes de retraités en goguette certes, mais pas l’ombre non plus d’un backpacker à pied ou vélo !
Taxer, ça fonctionne vraiment ?
Payer le droit d’accéder à la nature ? Oui, ça marche, mais ça passe mal, très mal parfois, et on le comprend ! Difficile d’accepter le concept. Malgré tout, la question pourrait bien se poser en France, notamment au coeur des Parcs Nationaux, dont les sentiers sont foulés par 10 millions de visiteurs chaque année. Ce serait un moyen de financer les coûts engendrés par la surfréquentation, affirment les défenseurs de cette solution, oubliant sans doute un peu trop vite la question de la justice sociale. L’accès à la nature doit-il être réservé aux catégories les plus aisées ? Quand on sait que les plus démunis, déjà les plus mal logés et les plus exposés à la pollution urbaine, sont ceux qui ont été les plus impactés par le confinement et ses restrictions, on comprend leur soif de nature et combien les exclure serait injuste et au final contre productif. Plutôt que taxer, et donc écarter et créer un sentiment de frustration légitime, mieux vaudrait informer, former et favoriser les expériences in situ, afin que tous en comprennent les enjeux, et que les règles nécessaires au partage des espaces naturels soient respectées. Faire de ces nouveaux amateurs de VTT, d’escalade, de surf ou de rando, toujours plus nombreux, non plus des « consommateurs de loisirs », mais des amoureux de la nature, avertis et respectueux, c’est possible. Mais cela va prendre du temps. Et ce ne sera pas jouable sans investissements majeurs, notamment dans l’information, l’éducation et l’expérience in situ.
Au final, au vu de la complexité des enjeux liés au partage et au respect des espaces naturels, on comprend que les approches vont nécessairement devoir être multiples et ciblées. Mais aussi, et c’est inéluctable, clairement encadrées par le législateur afin que les règles soient respectées via des intervenants locaux dotés de vrais pouvoir de sanctions, lorsque cela s’impose, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Jusqu’où sommes-nous prêts à légiférer ? Quelles règles sont aujourd’hui acceptables ? Le sujet va forcément faire discussion au sein de la communauté outdoor, mais on n’échappera pas à ce débat que nous ouvrons aujourd’hui et auquel la société semble aujourd’hui ouverte.
Rappel des 12 bons gestes à adopter afin de limiter son impact sur la biodiversité
- Privilégions les transports en commun pour rejoindre les lieux de nos activités outdoor.
- Misons sur les sites les moins fréquentés, évitons donc les plus populaires, rapidement saturés.
- Privilégions, quand c’est possible, les périodes creuses de la semaine ou de l’année.
- Restons sur les sentiers balisés pour éviter de piétiner la flore.
- Respectons la faune : ne pas la nourrir pas, ne pas la déranger.
- Respectons la flore : ne pas la cueillir, ne pas l’arracher.
- Ne déplaçons pas les pierres : elles servent d’abris aux insectes et aux lézards.
- Respectons la quiétude des lieux et faisons le moins de bruit possible.
- Prévoyons un sac pour rapporter nos déchets et ramassons ceux trouvés en chemin.
- Tenons notre chien en laisse, si sa présence est autorisée, pour éviter sa divagation.
- Evitons de faire un feu, même si cela est autorisé. Rappelons qu’à 1 700 mètres d’altitude, il faut entre 15 000 et 40 000 ans pour constituer 10 cm de sol.
- Ne fumons pas, au risque de voir un incendie se déclarer