Outside a demandé à l’aventurier polaire Eric Larsen de fact-checker le film de survie “Arctic”, sorti le 6 février. L’explorateur distribue des bons et des mauvais points de survie à Mads Mikkelsen, qui tente de sauver sa peau après un crash d’avion.
Il y a toujours un petit plaisir pervers à regarder un film de survie lové dans le douillet confort d’un fauteuil de salle de cinéma. Pour autant, on ne saurait trop vous conseiller d’enfiler un petit Damart sous votre t-shirt tant nous avons été glacés par le premier film du réalisateur brésilien Joe Penna. Sélectionné pour la compétition officielle au Festival de Cannes 2018, le long-métrage chronique le chemin de croix glacé d’Overgard, aviateur incarné par un Mads Mikkelsen quasi muet et magnétique.
Joe Penna a tourné ce survival movie dans un coin désert d’Islande, recouvert de neige et battu par les vents. Il faut avouer que l’on ne s’attendait pas exactement à un film d’auteur de la part du Brésilien de 30 ans, qui s’est fait connaître en 2006 en devenant l’une des premières stars virales de YouTube, sous le pseudonyme de MysteryGuitarMan … Et pourtant, l’immersion de son oeuvre dans l’âpreté de ces paysages extrêmes offre un film de survie étonnamment convaincant.
Le spectateur est projeté deux mois après le crash d’Overgard, au moment où ce dernier est en train de dégager les traces d’un immense SOS dans la neige. On comprend vite que ce n’est qu’une étape de sa routine, qui consiste à pêcher, trouver de l’eau et guetter le signal d’éventuels secours sur son scanner. Le jour où l’engin se met à biper frénétiquement, rien ne se passe comme prévu, et le pilote devra se montrer implacable dans son envie de survivre pour échapper aux griffes de l’Arctique.
“Arctic” est, vous l’aurez compris, un film captivant. Et on sait comme Hollywood s’est dernièrement passionné pour les survival movies, où l’on aura vu des gens s’amputer (“127 heures”), tabasser un ours (“The Revenant”) ou encore s’empoisonner (“Into The Wild”). Certains de ces long-métrages ayant été critiqués par des spécialistes dénonçant un manque de réalisme, nous nous sommes demandé ce qu’il en était pour celui de Joe Penna. Nous avons donc sollicité un expert avec un solide bagage en matière de fréquentation de l’Arctique : Eric Larsen, explorateur polaire et auteur, que nous avons cueilli à son retour d’une expédition au Pôle Sud. L’homme est particulièrement connu pour être, en toute simplicité, la première personne à avoir atteint le Pôle Nord puis le Pôle Sud, et gravi l’Everest au cours d’une même année
Voici les bons et les mauvais points décernés par Eric Larsen au pauvre Mads Mikkelsen, aka Overgard.
Rester actif pour rester en vie
Au cours du film, on entend régulièrement le bip de la montre du pilote, petit rappel qu’il lui reste des corvées à enchaîner avant la nuit. Eric Larsen se dit plutôt impressionné et confirme qu’il est primordial de rester le plus en mouvement possible, un effort indispensable mais difficile lors des expéditions dans l’Arctique. “ Dans ces moments là, le cerveau n’aspire qu’à une chose, se détendre et déconnecter, explique-t-il. C’est très compliqué de rester motivé et de s’astreindre à un programme quand tu sens à quel point ton environnement essaye d’en finir avec toi. Et ce n’est pas une métaphore : tu le ressens littéralement, car rien autour de toi ne permet la survie de l’être humain”.
Evaluer la quantité de nourriture
Quand Eric Larsen s’embarque pour une expédition, il emporte toutes ses réserves de nourriture avec lui, allant même jusqu’à pré-découper ses tranches de saucisson et de fromage pour éviter de se retrouver avec un doigt entaillé par – 25°C… Notre Overgard, lui, n’a pas eu le luxe de faire des provisions, et se met donc à la pêche, congelant ses prises dans une glacière remplie de glace. Une initiative qui fait sourire notre explorateur, qui rappelle que l’Arctique en elle-même elle déjà une glacière géante – pas besoin de faire du zèle côté chaîne du froid. La pêche est une bonne idée selon lui, mais il considère qu’Overgard ne consacre pas assez de temps à trouver de la nourriture. “Sa seule source vient de ce lac, je pense qu’il devrait pêcher non-stop pour se faire une grosse réserve”.
Conserver toute source de chaleur
Overgard parvient à récupérer un réchaud de la carcasse d’un hélicoptère. Lorsqu’il l’allume, on le sent s’apaiser, on le voit se rapprocher et se blottir contre la chaleur inespérée. Eric Larsen compatit à 100% : “Dans ces expéditions, le réchaud est la seule chose qui nous sépare des animaux. Bénéficier de cette chaleur que tu ne produis pas toi-même, c’est exceptionnel, c’est quelque chose qui te permet de continuer à te sentir connecté à la civilisation. Le froid est d’une telle violence.”
Se trouver un refuge correct
Si Eric Larsen concède qu’Overgard fait mieux de se réfugier dans la carcasse de son avion plutôt que de passer la nuit exposé aux éléments, il a néanmoins quelques remarques : “qu’il fasse -15, -25 ou -30°C dehors, la température sera à peu près la même à l’intérieur”. Le pilote aurait donc dû configurer son espace différemment. “La neige est un très bon isolant, souligne Eric Larsen. J’aurais tenté de m’abriter dans une partie plus petite du fuselage, que j’aurais recouverte de neige, et tenté de réduire au maximum l’espace utilisé afin qu’il fasse le plus chaud possible à l’intérieur.
Rester où l’on est – non à l’héroïsme
Eric Larsen ne valide pas non plus la décision (attention spoiler) d’Overgard de quitter son refuge pour trouver du secours, particulièrement après le crash de l’hélicoptère venu le chercher. “Il semble logique que suite à ce crash, des gens se lancent à la recherche de l’engin”, explique-t-il. L’explorateur ajoute que s’il avait pris la décision de partir, il aurait laissé la femme blessée sur place, le mieux protégée du froid possible, dans l’espoir de pouvoir trouver plus vite des secours. “Mon premier réflexe – et je le mets en pratique lors de mes expéditions – c’est de savoir se montrer égoïste. Il faut se faire passer en premier”.
Se déplacer efficacement
Bien que l’on ne voie pas Overgard s’enfoncer dans la neige jusqu’aux cuisses, il n’est pas pour autant très à l’aise dans ses déplacements en l’absence de skis. “Pour être honnête, je déteste marcher dans la neige, reconnaît Eric Larsen. Overgard aurait dû améliorer ses possibilités de déplacement en improvisant des skis de fortune avec les patins du traîneau.”
Bien gérer ses couches de vêtements
L’une des clés de la survie dans l’Arctique est de rester le plus sec possible : les habits ou les sacs de couchage humides perdent leurs capacités d’isolation. En expédition, Eric Larsen passe des heures autour de son réchaud, dans sa tente, à faire sécher ses habits. Pour Overgard, c’est évidemment un peu plus compliqué : il est bien obligé de faire avec sa parka rouge toute pourrie, sa combi de ski et ses quelques petites couches en dessous. “J’aurais été un peu plus attentif à sa place, souligne l’aventurier. Quand tu voyages en tirant un traîneau, tu surchauffes et il faut enlever des épaisseurs. Il est toujours en mouvement avec des énormes couches, c’est très moyennement réaliste. Même par du -40, -45°C, j’ai déjà enlevé mes gants et mon bonnet en tirant ou poussant un traîneau, tellement c’est exigeant physiquement…”
Repousser l’ours polaire avec du feu
Assez tôt dans le film, Overgard repère des empreintes de pattes d’ours blanc autour de son campement, ce qui est souvent arrivé à Eric Larsen. “C’est très stressant parce que tu sais que tu n’es pas exactement au sommet de la chaîne alimentaire. Tu es dans un environnement que ce prédateur, l’un des plus puissants de la planète, n’a aucun problème à gérer et il peut te manger sans souci”. A l’image d’Overgard dans le film, l’explorateur a lui aussi dû décharger des fusées éclairantes pour éloigner un intrus. “Il perd peut-être une fusée de détresse pour faire signe à un éventuel avion de secours, mais au moins il est vivant. Sans ça, il se serait fait dévorer.”
Apprivoiser le silence
Le silence qui règne tout au long du film est caractéristique des expéditions polaires. “J’apprécie cette absence de bruit, cette attitude pensive délibérée. Tu es concentré sur ce que tu as à faire, tu vis dans ta tête, aucune raison de se mettre à parler”. Eric Larsen emporte néanmoins toujours de la musique pour lui tenir compagnie. Quelle BO choisirait-il pour ses expéditions à l’écran ? “‘Eyes of the Tiger’, répond du tac au tac l’explorateur. Impossible de ne pas se transformer en énorme bad ass avec cette chanson en fond !”
Photo d'en-tête : Helen Sloan SMPSP/Bleecker Street- Thèmes :
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