On l’aura compris, il ne faudra pas compter sur la COP 27 pour accélérer la nécessaire sortie des énergies fossiles, tant la plupart des pays concernés se sont montrés frileux cette année encore. Et c’est donc plutôt du côté des industriels, notamment, que pourraient venir les solutions. En tête, quelques précurseurs, parmi lesquels l’Allemand VAUDE, spécialiste des équipements outdoor, qui affiche des objectifs ambitieux mais totalement réalistes, et mise sur le biosourcing et le recyclage.
Difficile de voir le verre à moitié plein quand on voit le bilan de la COP27 qui s’est achevée le 20 novembre dernier. Certes les 196 Etats réunis à Charm el-Cheikh peuvent se réjouir d’avoir conclu un « accord historique » sur la question des pertes et dommages, mais force est de constater qu’ils n’ont pas renforcé leur ambition climatique, toujours insuffisante. On retiendra en effet qu’ils actent la création d’un fond dédié aux financements des pertes et dommages – question clé du financement des conséquences irréversibles du changement climatique – et qu’ils ont réaffirmé l’objectif de contenir la hausse des températures à 1,5 °C. Mais c’est bien tout. Et c’est encore trop peu.
De ce sommet – le 27e ! – qui s’est pourtant déroulé sur fond d’urgence climatique on ne peut plus concrète après une année marquée d’un bout à l’autre de la planète par des incendies, inondations, ouragans et sécheresses jamais vus à une telle échelle, on attendait vraiment plus. Les délégations présentes n’ont pas réussi à se mettre d’accord pour augmenter leurs ambitions de réduction de gaz à effet de serre, ni pour affirmer la nécessité de sortir des énergies fossiles. Et si quelqu’un sort gagnant de ce sommet, ce sont bien les industriels du charbon, du pétrole et du gaz, présents en force au Caire, responsables de 90 % des émissions de CO2 mondiales. Leurs actions de lobbying auront été malheureusement payantes, alors que plusieurs pays, poussés par l’Inde, étaient enfin prêts à s’engager vers une réduction, voire la sortie de toutes les énergies fossiles.
Pionnière d’un style de vie éco-responsable
Dans ce contexte, c’est ailleurs qu’il faut donc chercher d’autres leviers d’action. Auprès de chaque Etat, que nul n’empêche de mettre la barre plus haut en matière de règlementation sur son propre territoire, mais aussi auprès des industriels eux-mêmes, notamment dans le textile, 2e industrie la plus polluante au monde. Certains n’ont d’ailleurs pas attendu la COP 27 pour prendre le problème à bras le corps. A commencer par VAUDE, spécialiste de l’équipement de montagne, aujourd’hui l’un des plus exigeants en matière d’environnement dans un secteur d’activité à l’origine de produits très techniques.
Déjà climatiquement neutre en Allemagne depuis 2012, la marque visait le même objectif, mais au niveau mondial et dès 2022. Objectif promis par un nombre croissant d’entreprises, cette fameuse « zéro émission nette » tend à de ne plus ajouter, à terme, de nouvelles émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Très ambitieux et surtout complexe à mettre en œuvre ! La société allemande a donc entrepris de compenser toutes ses émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais aussi d’investir un montant égal à celui qu’elle dépense pour la compensation dans la réduction continue de ses émissions. De lourdes charges dont les coûts n’ont pas pesé sur le consommateur final, mais sur son budget marketing, réduit d’environ un demi-million d’euros.
Risqué ? Pas vraiment, selon la marque qui depuis sa création en 1974 n’a jamais hésité à faire des choix radicaux en matière de production durable. Pionnière d’un style de vie éco-responsable, VAUDE lance ainsi dès le milieu des années 90 les premiers essais pour recycler entièrement les vêtements techniques des sportifs outdoor, au sein du réseau Ecolog-Recycling. En 2001, elle est la première marque de l’industrie outdoor à soutenir et utiliser le label Bluesign, l’un des plus exigeants de l’industrie textile. Huit ans plus tard, en 2009, elle va plus loin encore et crée son propre label de qualité « Green Shape », certifiant non pas seulement la matière première textile, mais tous les éléments constituants d’une veste. En toute logique, en 2015, elle signe le Greenpeace Detox Commitment, s’engageant ainsi à éliminer d’ici fin 2020 toutes les substances polluantes de la totalité de sa chaîne d’approvisionnement et à fabriquer toutes ses collections sans avoir recours aux PFC. Quel est son bilan depuis ? « VAUDE n’utilise plus de PFC dans ses membranes depuis 2011 et la collection textile en est exempte depuis 2018 », explique la marque. Cette exigence s’applique aussi à l’ensemble des chaussures et sacs à dos depuis 2020.
Objectif du biosourcing et du recyclage -50 % de CO2
En matière d’énergie, la marque n’est pas en reste. Depuis 2009, à Tettnang (Bade-Wurtemberg), où elle est basée,elle utilise 100 % d’électricité verte provenant de ses propres installations solaires. Le siège de l’entreprise et tous les produits qui y sont fabriqués sont climatiquement neutres depuis 2012. Dix ans plus tard, en 2022, toutes les inévitables émissions nuisibles au climat sont compensées via la production de biogaz à partir de déchets industriels.
Plus importante encore que la compensation, la réduction des émissions. En fait, le défi majeur de la marque. « La plus grande partie de nos émissions est générée par notre chaîne d’approvisionnement mondiale », reconnait VAUDE. Les produits outdoor sont principalement composés de fibres synthétiques et leur production nécessite un niveau élevé d’énergie. C’est donc à ce point que la marque s’est attaquée en priorité. Résultat : d’ici 2024, 90 % de ses produits seront fabriqués à partir d’au moins 50 % de matériaux recyclés ou biosourcés. De quoi réduire ses émissions de CO2 d’environ 50% (selon les produits), par rapport aux matériaux vierges. Objectif déjà atteint pour plus de la moitié (73%) des produits de la collection de vêtements 2022.
Pourquoi 90 % seulement et non pas l’ensemble de la collection, peut-on s’interroger ? « Parce qu’en l’état du marché, cela ne serait pas réaliste », explique Hilke Patzwall, sustainability manager. « Nous comptons un très large éventail de produits dans nos collections, du textile au sac à dos en passant par la chaussure. Pour répondre à l’usage d’un randonneur, d’un skieur ou d’un cycliste, ces produits techniques incluent quantité de composants différents qu’il n’est pas encore possible de tous remplacer, faute d’alternatives acceptables », regrette-t-elle. « Reste que l’échéance de 2024 que nous nous sommes fixée est très ambitieuse. 2024, c’est dans deux collections. Autrement dit demain, à l’échelle d’un industriel. »
Des polyamides issus de pneus recyclés
C’est donc à marche forcée qu’avance VAUDE, consciente qu’une innovation exige des années d’études au sein de son département de recherches. Qu’il s’agisse de biosourcing ou de recyclage.
A son actif déjà plusieurs avancées majeures. Le lavalan®, par exemple. A savoir un rembourrage en laine vierge issue de l‘élevage biologique contrôlé (produite en Allemagne) combiné à des fibres à base de maïs. Une matière facile à entretenir, respirante et thermorégulatrice qu’on retrouve déjà dans nombre de produits de la collection 2022/23, notamment la veste de montagne Larice Halfzip Jacket. Autre réussite, des polyamides issus de pneus recyclés chimiquement grâce à un partenariat avec BASF, que l’on retrouve notamment dans des pantalons de trekking. Dans la chaussure aussi les innovations sont déjà présentes. Pour la semelle intermédiaire de ses chaussures Lavik Eco, Vaude utilise la gamme Desmopan EC de polyuréthanes thermoplastiques (TPU) biosourcés de Covestro. Le chimiste a identifié et testé un nouveau fournisseur de matières premières, Metabolic Explorer, capable de produire du PDO (propane – 1,3 – diol) issu d’huile de palme. Résultat : un matériau résistant à l’abrasion, flexible sur une large plage de températures et élastique sur une gamme de degrés de dureté. Un produit très technique offrant des grades imperméables, une résilience aux huiles, aux graisses et aux solvants, et une grande résistance aux intempéries. Par rapport au TPU d’origine fossile, cette série EC peut réduire l’empreinte carbone de plus de 20 %, sans compromis sur la qualité ou les performances.
VAUDE dispose donc d’une large palette qui s’enrichit au fil des années. A l’heure de composer ses collections, la marque peut également compter sur du plastique ou du nylon biosourcés, contenant principalement de l’huile de ricin. Mais aussi des tissus recyclés, utilisant des déchets tels que des bouteilles en plastique PET, des filets de pêche usagés, de vieux pneus de voiture et même du marc de café. Sans parler du coton et surtout du chanvre biologiques.
Des matières biosourcées dont les propriétés sont excitantes, mais que la marque utilise avec circonspection, bien consciente de leurs limites, comme l’explique Hilke Patzwall. « l’intégration de ces productions agricoles, lin, huile de palme, coton ou chanvre, ne doivent pas se faire au détriment de la production alimentaire ou des forêts, absolument vitales », explique-t-elle, « aussi sommes-nous très prudents dans notre sélection de sources d’approvisionnement. C’est également pourquoi nous croyons beaucoup au recyclage. Principalement pour deux raisons. Tout d’abord parce que nous avons recours à 85% de matériaux synthétiques, compte tenu des attentes du consommateur sur des produits outdoor censés offrir imperméabilité, solidité, durabilité, respirabilité et légèreté. Et sur ce point, nous avons une responsabilité en tant qu’industriel, d’où nos recherches actuelles. Mais on sait aussi que le recours au matière biosourcées à ses limites, la planète Terre qui doit nourrir une population en constante augmentation n’étant pas extensible à l’infini. Il nous incombe donc de continuer à trouver les moyens de valoriser les tonnes de déchets disponibles, malgré la complexité des matériaux synthétiques. Nous, les industriels, avons le devoir d’utiliser plus encore de produits recyclés et de booster l’économie circulaire. Tout en freinant le cycle infernal de la surconsommation. » « Wear less, achieve more », affiche cette année Vaude, autrement dit « achetez moins de produits, agissez plus ». Difficile de faire plus clair.
Photo d'en-tête : VAUDE