Qui sont ces coureurs ayant pour unique concurrente la barrière horaire ? Comment vivent-ils leur épreuve ? Vainqueurs pour leur seule gloire à l’issue de près de 44 heures de course non-stop sur les sentiers du massif du Mont-Blanc, ces héros anonymes portent bien plus qu’un numéro de dossard : une histoire, leur histoire qu’ils nous ont racontée. Hier, mercredi 24 août, c’est Yassine Moussali qui devenait le dernier finisher sur la TDS (145 km, 9 100 D+), en 43:59:18, au sprint.
19h40. À vingt minutes de la barrière horaire finale, de nombreux coureurs passent encore la ligne d’arrivée, après plus de 43 heures de course. On s’attendait à rencontrer des traileurs éreintés, arrivant dans le silence complet. Or, sur le point de vaincre les 145 km et 9 100 D+, les athlètes sont « frais » pour la plupart. Un exploit personnel, qu’ils vivent sous les acclamations de la foule, en même temps que les premiers que l’on récompense quelques mètres plus loin.
Mention particulière pour l’avant-dernier, Warren Yabsley, un Britannique arrivé trois minutes avant la barrière horaire, avec ses habits de randonneurs, son gros sac chargé de nourriture… en marchant (depuis le début de la course), presque avec nonchalance. « Tout était sous contrôle. J’avais planifié l’intégralité de mes temps de passage », explique-t-il. Habitué aux longues randonnées (de plus de 100 km), ce juriste s’entraîne au nord dans son pays, dans des endroits plus vallonnés.
Mais c’est Yassine Moussali, arrivé en sprint 42 secondes avant la barrière horaire, qui s’impose comme l’ultime finisher sous la barrière horaire de 44 heures. Coureur parisien, il avait notamment terminé la CCC l’an dernier. Cette année, c’était la première fois que ce médecin anesthésiste de 36 ans, qui gère également une start-up dans le domaine de la santé, courait une distance aussi longue.
Après 145 km, 9 100 D+ et 44 heures de course dans les jambes, tu te sens comment, là ?
Fatigué. Même si ça dépasse ce sentiment. Pendant deux jours, tu ne penses qu’à l’arrivée, au fait qu’il faille terminer. Aux centaines d’heures d’entraînement, aux gens à qui tu as dit que tu faisais la course et qui s’attendent à ce que tu la finisses, même s’ils ne te le disent pas. Tu as envie d’aller au bout. À la fin, toutes ces émotions ressortent, d’autant plus en arrivant dernier.
À 42 secondes du temps imparti, tu as passé de peu la barrière horaire. Avais-tu envisagé ce scenario ?
Plus ou moins. À l’origine, j’avais en tête de finir en 35 heures, mais mon plan a complètement foiré. C’était plus difficile que prévu… C’est alors que j’ai décidé de préparer le finish. Comme j’étais dans les derniers depuis un petit moment, et que je savais que j’avais le temps, j’ai ralenti, pour faire un peu stresser les copains. Mais je savais que je pourrais sprinter à la fin. Ca s’est passé comme prévu !
Comment s’entraîne-t-on pour un trail, avec 9 100 D+, en étant parisien ?
Ca, il faut demander à Casquette Verte (traileur parisien, top 50 à l’UTMB 2021, ndlr). Il ne faut pas trouver d’excuses, il y a Montmartre, les escaliers. Bien sûr, ce n’est pas aussi bien qu’à la montagne mais pour faire la TDS en mode amateur, c’est largement suffisant. […] Pour compenser le manque de descente, j’ai acheté un petit boîtier d’électrostimulation. Ca a clairement joué – la preuve, j’ai pu sprinter à l’arrivée. Sinon, j’ai eu la chance de venir une semaine en montagne, il y a un mois, faire du dénivelé, des sentiers techniques. Ca aide !
Quels ont été les moments forts de ta course ?
D’abord, les paysages ! Le parcours proposé par les organisateurs, très technique, nous a fait passer dans des endroits fous. On en a pris plein les yeux, pendant toute la course ! Je connaissais déjà la vallée, ayant fait la CCC l’an passé mais là on est passé dans d’autres zones. Ce massif reste un trésor assez peu connu – c’est une belle façon de le découvrir. J’ai eu un gros coup de coeur pour Les Contamines.
Outre les paysages, ma course a aussi été marquée par les rencontres. Déjà, deux amis sont venus me voir dont un m’a fait une surprise complète dans la deuxième nuit. Un soutien imprévu, ça fait trop plaisir. Sinon, entre les coureurs, il y avait deux types de moments. Parfois, j’étais un peu autiste, en mode introspection. Dans ce peloton de fin, au bout de 36 heures de course, chacun est un peu dans son monde. Tu sens que c’est un combat pour tous. On pense à sa vie, ses problèmes mais aussi il nous arrive d’être pleinement concentré sur le moment présent. Mais parallèlement à cela, j’ai bien sympathisé avec l’une des finisheuses avec qui j’ai fait toute la fin de course, qui s’est retrouvée blessée, qui a même eu des hallucinations… On a quasiment passé les douze dernières heures ensemble. Honnêtement, j’ai pu finir grâce à elle et inversement.
Tu as certainement dû passer des coups de blues en quasiment 44 heures de course…
Bien sûr ! Notamment la première nuit, après cinq heures de course, à 5h du matin. Là, j’ai eu un gros coup au moral. Je me suis demandé ce que je faisais là. J’avais faim, envie de dormir, et déjà mal aux jambes. Dans ces moments-là, il faut trouver un moyen de sortir de cet état. Ton corps et ton cerveau t’envoient tous les signaux qui signifient « rentre chez toi, arrête ». Et en fait, c’est là où il faut réussir à ne pas se faire avoir par son premier instinct. Pour ça, je regardais des petites vidéos de motivation, des petites musiques. T’écoutes ça et trente secondes après, c’est reparti. Et tu te rends compte de la chance que tu as de pouvoir faire ça. Au final, tu as choisi d’être là, tu t’es entraîné pendant des heures. Tu ne peux pas dire au bout de cinq minutes, j’arrête.
Qu’est-ce qui t’a poussé à avancer et à finir cette course ?
Une sorte de mantra, une phrase assez bateau. « Don’t stop when you are tired, stop when you are done » (Ne t’arrête pas quand tu es fatigué, mais quand tu as fini, ndlr). Ca résume tout. Sinon, je savais qu’il y avait mes amis qui attendaient, qui étaient venus me faire un coucou sur la fin du parcours. Je pensais à la première douche, au premier moment sous la couette – à des trucs que tu as tous les jours finalement.
Au final, que retires-tu de cette expérience ?
Comme tout le monde le dit, c’est difficile ! Cette course est exigeante. Je crois qu’il y a eu 800 abandons alors qu’on a eu des conditions exceptionnelles, une super météo. De mon côté, je vais pouvoir cocher une case. C’est un gain pour la confiance en soi, dans la vie tu te sens plus fort. Tu as su faire preuve de discipline, de persévérance, de résilience… Ces qualités-là, tu les retrouves dans plein de sports, pas nécessairement qu’en trail, et dans d’autres activités, dans l’entreprise, à l’hôpital.
Et si c’était à refaire ?
J’y retournerais ! Même si je n’aurais pas dit ça il y a quelques heures.
Quel conseil donnerais-tu à ceux qui veulent tenter la TDS l’année prochaine ?
Préparez-vous, ça va être dur. Il y a beaucoup de dénivelé par km (9 100 D+ pour 145 km, ndlr). L’autre conseil : faire attention de ne pas trop se rapprocher des barrières horaires. Les distances ne correspondent pas exactement à celles qui sont annoncées. Beaucoup de coureurs se sont fait avoir là-dessus.
Quel est ton prochain objectif ?
Au départ, je m’étais dit que j’allais arrêter avec tout ça… Mais au final, ça va dépendre des copains, quelle que soit la course et la distance. Sinon, la Lavaredo Trail (120 km, 5 850 D+, ndlr) me fait bien rêver. En 2023 ou 2024, on verra.
Photo d'en-tête : Thibault Ginies
- Thèmes :
- Trail Running
- UTMB